4 août 2012
On ne naît pas journaliste VIP, mais on le devient vite
Samedi 4 Août 2012 à 05:00 | Lu 4170 fois I 5 commentaire(s)
Nicolas Beau
Balade dans le monde hallucinant des VIP.
Le second volet de l'enquête est consacré aux journalistes vedettes et à leur statut «en or massif».
Demain, nous décrirons les coupe files des puissants dans les meilleurs hopitaux ; puis enfin les mille astuces des concierges de luxe pour riches. Du beau linge !
Le second volet de l'enquête est consacré aux journalistes vedettes et à leur statut «en or massif».
Demain, nous décrirons les coupe files des puissants dans les meilleurs hopitaux ; puis enfin les mille astuces des concierges de luxe pour riches. Du beau linge !
Les journalistes, «ce sont des cons faciles à manipuler, explique Bernard Tapie. Pour être bien avec eux, il suffit de les inviter à manger, de leur offrir un cadeau, et ça marche !» Quel mépris envers notre noble profession ! Bernard Tapie ne réalise pas l'énergie que doit investir un journaliste pour devenir un apprenti V.I.P., taper l'incruste dans les voyages organisés et se faire inviter à la célèbre fête de Canal à Cannes ou à un grand prix de Formule 1. Certains confrères excellent dans l'art délicat de mettre le pied dans la porte.
Les tentations sont innombrables. Une place au théâtre ? Mécène de la Comédie-Française, le groupe Michelin emmène volontiers ses journalistes préférés au Palais-Royal. Un problème de crèche ? Les mairies d'arrondissement à Paris peuvent arranger le coup. Si, pour les fêtes de fin d'année, le plumitif est un peu à court de bulles, qu'il ne s'inquiète pas ! Le groupe Bouygues a le bon goût d'envoyer à ses plus fidèles spécialistes dans la presse économique une caisse de champagne, et du bon ! D'autres ont envie de concourir au marathon de Paris ? Le groupe Amaury Sport Organisation met à leur disposition, comme ce fut le cas pour un journaliste de Marianne, le brassard que les coureurs ordinaires paient jusqu'à 90 €. Un neveu ne parvient pas à trouver une place dans une bonne faculté de droit ? Le journaliste obtient du président d'université, sur un simple coup de fil, une inscription de faveur. L'auteur de ces lignes doit avouer avoir eu une fois recours à un tel passe-droit. Dans une profession vertueuse, forcément vertueuse, on ne se vante pas de ce genre de coup de pouce.
Les petits arrangements sont innombrables, mais seuls les «grands» du métier accèdent au véritable statut de V.I.P.. PPDA l'a appris à ses dépens, quand l'homme d'affaires Pierre Botton l'invitait dans son avion privé, ce qui lui a valu une condamnation. Lorsqu'ils sont reçus régulièrement à l'Elysée ou Place Beauvau, les journalistes politiques peuvent obtenir facilement auprès de la Préfecture de police la régularisation des papiers de leur femme de ménage étrangère. Autre faveur, 500 journalistes voyagèrent longtemps à l'oeil dans les TGV. La plupart, dont une grande signature du journal le Monde, n'étaient pourtant pas des grands spécialistes du ferroviaire. D'un coup, Louis Gallois mit fin à ces dérives.
Les tentations sont innombrables. Une place au théâtre ? Mécène de la Comédie-Française, le groupe Michelin emmène volontiers ses journalistes préférés au Palais-Royal. Un problème de crèche ? Les mairies d'arrondissement à Paris peuvent arranger le coup. Si, pour les fêtes de fin d'année, le plumitif est un peu à court de bulles, qu'il ne s'inquiète pas ! Le groupe Bouygues a le bon goût d'envoyer à ses plus fidèles spécialistes dans la presse économique une caisse de champagne, et du bon ! D'autres ont envie de concourir au marathon de Paris ? Le groupe Amaury Sport Organisation met à leur disposition, comme ce fut le cas pour un journaliste de Marianne, le brassard que les coureurs ordinaires paient jusqu'à 90 €. Un neveu ne parvient pas à trouver une place dans une bonne faculté de droit ? Le journaliste obtient du président d'université, sur un simple coup de fil, une inscription de faveur. L'auteur de ces lignes doit avouer avoir eu une fois recours à un tel passe-droit. Dans une profession vertueuse, forcément vertueuse, on ne se vante pas de ce genre de coup de pouce.
Les petits arrangements sont innombrables, mais seuls les «grands» du métier accèdent au véritable statut de V.I.P.. PPDA l'a appris à ses dépens, quand l'homme d'affaires Pierre Botton l'invitait dans son avion privé, ce qui lui a valu une condamnation. Lorsqu'ils sont reçus régulièrement à l'Elysée ou Place Beauvau, les journalistes politiques peuvent obtenir facilement auprès de la Préfecture de police la régularisation des papiers de leur femme de ménage étrangère. Autre faveur, 500 journalistes voyagèrent longtemps à l'oeil dans les TGV. La plupart, dont une grande signature du journal le Monde, n'étaient pourtant pas des grands spécialistes du ferroviaire. D'un coup, Louis Gallois mit fin à ces dérives.
Luxe et privilèges
Les grands patrons des rédactions parisiennes peuvent découvrir le dernier film à la mode lors d'avant-premières privées organisées par Vivendi, Publicis ou encore Lagardère (via Europe 1). La carte de presse donne droit pour tous les journalistes à un accès gratuit aux musées. Mais le must, pour les vrais privilégiés, est de ne pas se mêler à la foule des curieux grâce aux nombreuses visites privées. Lorsque, en avril 2004, s'est tenue l'exposition Miro, Jack Lang, ancien ministre de la Culture mais alors simple député, pouvait encore adresser à quelques amis journalistes une invitation dont le nombre, précisait-il, était «limité».
Le monde de l'entreprise se montre lui aussi dévoué à la cause de la presse. Plusieurs secteurs sont en pointe : la voiture, la téléphonie, la haute couture, le tourisme et les dictatures. Un simple geste, pour faciliter le travail des spécialistes ? Quand Air France inaugure une nouvelle ligne, des places en classe affaires sont réservées à la presse. Des réductions à titre personnel sont consenties aux journalistes sur les ordinateurs, les téléphones portables, le matériel high-tech... jusqu'aux aspirateurs !
Hélas, la crise aidant, les V.I.P. se sentent moins chouchoutés qu'avant. Les flottes de bagnoles mises à la disposition des journalistes se sont considérablement réduites ces dernières années. Tout comme les rabais lors des «soldes presse» de grands couturiers, qui ont chuté de 70 à quelque 20 %. Heureusement, le secteur du tourisme reste particulièrement généreux. Les invitations pleuvent, pour un week-end par exemple à l'Oustau de Baumanière, aux Baux-de-Provence. «A cette occasion, vous découvrirez la nouvelle carte du chef Sylvestre Wahid.» Deux jours pour découvrir une table, gare au foie malade !
Pour peu que l'hôtel Imperial Group ouvre ses portes au Cap-d'Antibes - «30 chambres et quatre suites personnalisées et décorées avec élégance» -, un séjour d'une semaine est indispensable pour écrire un papier «dans le calme et la fraîcheur» du patio de l'hôtel de charme.
Lorsqu'il s'agit de découvrir une distillerie, sur une «mythique île d'Ecosse», le journaliste gastronomique a le choix des dates et l'assurance d'être revenu chez lui, le jour même, en avion privé. Personne n'est à l'abri de ces tentations. Sophie Coignard et Romain Gubert racontent dans leur excellent bouquin, l'Oligarchie des incapables, comment l'éditorialiste de RTL et journaliste indépendant Jean-Michel Aphatie n'a pas hésité, les 2 et 3 avril 2011, à rejoindre une joyeuse troupe de chefs d'entreprise, de politiques et de people pour inaugurer un «Festival des moments magiques» du parc Disney.
Les dictatures étaient de formidables eldorados pour nos V.I.P.. La Tunisie de Ben Ali fut particulièrement accueillante pour les directeurs de presse et de média français, comme l'avait raconté le Canard enchaîné, le 29 juin 2011, en exhumant une note de la société Image 7 dirigée par Anne Méaux. Depuis la fin des années 90, ces communicants hors pair avaient organisé un «réseau de relais d'opinion rassemblant les principaux dirigeants de la presse française bienveillants à l'égard du pays». Ainsi, Etienne Mougeotte (le Figaro), Nicolas de Tavernost (M6) ou encore Alain Weill (RMC, BFMTV), ont passé d'agréables vacances à Tunis, du 20 au 24 mai 2009, avec leurs épouses. Aux frais du dictateur, naturellement.
Chroniqueur à iTélé, Jean-Marc Sylvestre était également un aficionado des voyages organisés vers la Tunisie. Lors d'une croisière en voilier avec Gérard Longuet en 2006, le chroniqueur économique était logé aux frais de la princesse à The Residence, l'hôtel le plus luxueux de Tunisie. «MM. Longuet et Sylvestre, devait préciser l'Office du tourisme tunisien aux Inrocks en juin 2011, ont payé les extra, c'est-à-dire le téléphone et le bar.» Des scrupules qui les honorent !
Le monde de l'entreprise se montre lui aussi dévoué à la cause de la presse. Plusieurs secteurs sont en pointe : la voiture, la téléphonie, la haute couture, le tourisme et les dictatures. Un simple geste, pour faciliter le travail des spécialistes ? Quand Air France inaugure une nouvelle ligne, des places en classe affaires sont réservées à la presse. Des réductions à titre personnel sont consenties aux journalistes sur les ordinateurs, les téléphones portables, le matériel high-tech... jusqu'aux aspirateurs !
Hélas, la crise aidant, les V.I.P. se sentent moins chouchoutés qu'avant. Les flottes de bagnoles mises à la disposition des journalistes se sont considérablement réduites ces dernières années. Tout comme les rabais lors des «soldes presse» de grands couturiers, qui ont chuté de 70 à quelque 20 %. Heureusement, le secteur du tourisme reste particulièrement généreux. Les invitations pleuvent, pour un week-end par exemple à l'Oustau de Baumanière, aux Baux-de-Provence. «A cette occasion, vous découvrirez la nouvelle carte du chef Sylvestre Wahid.» Deux jours pour découvrir une table, gare au foie malade !
Pour peu que l'hôtel Imperial Group ouvre ses portes au Cap-d'Antibes - «30 chambres et quatre suites personnalisées et décorées avec élégance» -, un séjour d'une semaine est indispensable pour écrire un papier «dans le calme et la fraîcheur» du patio de l'hôtel de charme.
Lorsqu'il s'agit de découvrir une distillerie, sur une «mythique île d'Ecosse», le journaliste gastronomique a le choix des dates et l'assurance d'être revenu chez lui, le jour même, en avion privé. Personne n'est à l'abri de ces tentations. Sophie Coignard et Romain Gubert racontent dans leur excellent bouquin, l'Oligarchie des incapables, comment l'éditorialiste de RTL et journaliste indépendant Jean-Michel Aphatie n'a pas hésité, les 2 et 3 avril 2011, à rejoindre une joyeuse troupe de chefs d'entreprise, de politiques et de people pour inaugurer un «Festival des moments magiques» du parc Disney.
Les dictatures étaient de formidables eldorados pour nos V.I.P.. La Tunisie de Ben Ali fut particulièrement accueillante pour les directeurs de presse et de média français, comme l'avait raconté le Canard enchaîné, le 29 juin 2011, en exhumant une note de la société Image 7 dirigée par Anne Méaux. Depuis la fin des années 90, ces communicants hors pair avaient organisé un «réseau de relais d'opinion rassemblant les principaux dirigeants de la presse française bienveillants à l'égard du pays». Ainsi, Etienne Mougeotte (le Figaro), Nicolas de Tavernost (M6) ou encore Alain Weill (RMC, BFMTV), ont passé d'agréables vacances à Tunis, du 20 au 24 mai 2009, avec leurs épouses. Aux frais du dictateur, naturellement.
Chroniqueur à iTélé, Jean-Marc Sylvestre était également un aficionado des voyages organisés vers la Tunisie. Lors d'une croisière en voilier avec Gérard Longuet en 2006, le chroniqueur économique était logé aux frais de la princesse à The Residence, l'hôtel le plus luxueux de Tunisie. «MM. Longuet et Sylvestre, devait préciser l'Office du tourisme tunisien aux Inrocks en juin 2011, ont payé les extra, c'est-à-dire le téléphone et le bar.» Des scrupules qui les honorent !
Filles, Caraïbes, fun
Six mois auparavant, le chroniqueur économique si vigilant sur la hausse du Smic passait ses vacances de Noël dans le Sud tunisien, du 19 au 25 décembre 2005, en compagnie de ses deux enfants. Les Tunisiens avaient tout organisé ! Jusqu'au choix du chauffeur ou les réservations «en pension complète» dans les meilleurs établissements du pays, comme le Palm Beach Tozeur. A l'arrivée à l'aéroport, une voiture accueillait la famille.
Avec le printemps arabe et les menaces contre les dictatures, le métier du grand reporter se perd un peu. «Les filles, les Caraïbes et le fun, regrette un ancien de Paris Match, c'est fini.» Qu'on se rassure... Le journalisme V.I.P. a encore de beaux restes !
Découvrez le premier volet de notre feuilleton, ici : Les cartes VIP qui feront de vous des privilégiés.
Avec le printemps arabe et les menaces contre les dictatures, le métier du grand reporter se perd un peu. «Les filles, les Caraïbes et le fun, regrette un ancien de Paris Match, c'est fini.» Qu'on se rassure... Le journalisme V.I.P. a encore de beaux restes !
Découvrez le premier volet de notre feuilleton, ici : Les cartes VIP qui feront de vous des privilégiés.
Commentaire:
Un commentaire sous l'aticle de Marianne, d'une extrême pertinence, d'une lucidité devenue rare à ce qu'il semble, qui fait ne fait pas l'amalgame entre le petit journaliste qui fait ce qu'il peut, quand il peut, et les "seigneurs" de la presse, collabos des puissants... Je vais de ce pas commander "les chiens de garde" que j'avais négligé de lire jusqu'aujourd'hui... :
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