Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 945
Newsletter
30 août 2012

Le businessman qui vise la Maison-Blanche

Sur COURRIER INTERNATIONAL

Redoutable en affaires, Mitt Romney a fait fortune en restructurant des entreprises. Son équipe de campagne mise sur cette réputation d’efficacité, mais, pour certains, il n’est qu’un capitaliste sans pitié.

26.01.2012 | Benjamin Wallace-Wells | New York Magazine


Etats-Unis
New York Magazine
Le programme des républicains. Romney : J’adore virer les gens.  [Fire signifie aussi mettre le feu]. Santorum et Gingrich : “Nous aussi.” Sur le bûcher : Homosexuels, clandestins, protection sociale, etc.

Le programme des républicains. Romney : J’adore virer les gens.  [Fire signifie aussi mettre le feu]. Santorum et Gingrich : “Nous aussi.” Sur le bûcher : Homosexuels, clandestins, protection sociale, etc.

En août 2011, Mitt Romney a prononcé un discours devant quelques centaines de personnes dans l’Iowa. Selon plusieurs de ses amis, la répétitivité de la campagne l’ennuie fortement, et cet ennui est à l’origine du fossé qui sépare l’homme charismatique qu’ils connaissent en privé de la figure mollassonne qui apparaît souvent en public. Romney, bien sûr, n’est pas la seule personne lassée par cette campagne, et ce candidat, censé apporter son efficacité d’homme d’affaires à la Maison-Blanche, peine à susciter l’enthousiasme. “Au cours des prochaines décennies, a-t-il déclaré dans l’Iowa, pour équilibrer notre budget, nous devons nous assurer que nous pourrons tenir les promesses en matière de protection sociale. Il y a plusieurs façons de le faire. L’une d’entre elles consiste à augmenter les impôts des personnes…”

“Des entreprises !”
a-t-on alors crié dans l’assistance. Romney s’est arrêté net et s’est tourné vers les perturbateurs, l’un d’eux étant un ancien prêtre catholique âgé de 71 ans. Bref, l’incarnation de la morale. “Des entreprises”, a répété quelqu’un. Romney a esquissé un sourire. “Les entreprises sont des personnes, mon cher”, a-t-il rétorqué, d’un ton sans appel. Soudainement, des objections ont fusé de toutes parts. “Bien sûr, les entreprises sont des personnes”, a-t-il insisté, avant de développer sa logique :“Tout ce que gagnent les entreprises va en fin de compte aux personnes. Alors…”

Cette réponse rapide, lancée avec naturel semble avoir révélé le véritable Romney. Et bien que la presse ait présenté l’épisode comme une “bévue”, l’équipe de Romney n’a pas cherché à étouffer l’affaire, bien au contraire, ils en ont fait un argument de campagne. Rétrospectivement, Romney est certes apparu comme un homme privilégié, mais l’incident a surtout révélé quelque chose de plus profond chez lui : sa propension à idéaliser le monde de l’entreprise. Il a passé une bonne partie de sa vie – d’abord comme consultant en stratégie, puis comme PDG de la société de capital-investissement Bain Capital – à perfectionner l’entreprise, à en supprimer tous les grains de sable, pour en faire une machine économique bien huilée.

250 millions de dollars de fortune

Romney est un homme d’affaires qui a connu une réussite extraordinaire et qui a accumulé une fortune personnelle de quelque 250 millions de dollars [195 millions d’euros]. Mais, surtout, il a révolutionné l’entreprise. Notre économie a remarquablement évolué au cours des années 1980, lorsque Wall Street a repris le contrôle des sociétés américaines. Et Romney a développé un des outils qui ont rendu cette mutation possible : il fait partie des premiers à avoir utilisé la procédure d’acquisition d’une société pour en modifier le fonctionnement au nom de l’efficacité.

Le système qui a émergé de cette décennie est plus souple et plus efficace que le système d’avant ; mais il est en revanche moins égalitaire, moins stable, et plus brutal. Cette évolution n’était pas inévitable. Elle résulte en partie d’innovations développées depuis un quart de siècle par une poignée d’hommes d’affaires et, aujourd’hui, l’un d’eux a des chances de devenir président des Etats-Unis.

En 1975, lorsque Mitt Romney a obtenu son diplôme à Harvard, il fait partie des meilleurs étudiants de sa classe et le conseil était encore un métier neuf. Les trois plus prestigieux cabinets (aujourd’hui comme alors : McKinsey, le Boston Consulting Group et Bain & Company) offraient une nouvelle approche de gestion des entreprises, quantitative et sophistiquée, pour aider l’industrie américaine à se moderniser. Ils se considéraient comme des intellectuels, et ils payaient mieux que quiconque. Aussi Romney fit-il un choix de carrière évident à l’époque : il devint consultant, d’abord au Boston Consulting Group, puis, trois ans plus tard, au sein de Bain & Company.

Son père était gouverneur

Pour les consultants de Bain & Company qui faisaient la tournée des entreprises américaines à l’orée des années 1980, la période était marquée par une grande désillusion. Les cabinets de conseil espéraient changer le monde en s’appuyant sur une approche quantitative aux antipodes de la manière de faire des affaires à l’époque qui était très paternaliste. Alors que la théorie voulait que chaque société se concentre sur son cœur de métier, la tendance était plutôt aux projets de conglomérats boiteux.

Ces consultants sont toujours dans les affaires. Plusieurs d’entre eux continuent à travailler pour Romney depuis qu’il s’est lancé en politique. Ils sont immensément riches et bronzés, actifs et pleins d’entrain. A leurs débuts, ils n’étaient pourtant que des jeunes loups. “Dans les années 1960 et 1970, faire carrière dans les affaires n’était pas un métier bien vu, se souvient Geoffrey Rehnert, un des premiers associés de Bain. Les meilleurs faisaient médecine, les autres faisaient du droit.” Les hommes de Bain évoluent dans une culture “où rien n’était acquis. Personne n’était issu d’une famille riche, tous venaient du milieu ouvrier ou de la classe moyenne” ; “tous sauf Mitt Romney”, dis-je. Son père avait été président d’American Motors Corporation [un constructeur automobile aujourd’hui disparu], gouverneur du Michigan et membre du gouvernement Nixon. “Même lui n’était pas si riche, insiste Rehnert. Ce n’était pas un rentier.” Peut-être veut-il simplement dire par là que Romney n’est pas un Wasp. A l’époque, il parlait peu de son appartenance à l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Aujourd’hui, il plaisante parfois avec ses collègues juifs en disant qu’ils ont en commun d’être des marginaux sur le plan de la religion.

Une peur bleue de l’échec

A leurs débuts, les consultants de Bain étaient souvent confrontés à un problème persistant : Bain était un cabinet de conseil et “un cabinet de conseil ne peut rien faire directement”, explique David Dominik, ancien collègue de Romney. Les économistes Michael C. Jensen et William H. Meckling apportèrent la solution : trouver les fonds nécessaires et créer sa propre entreprise, une société performante et efficace. Ce modèle adopté par Bain Capital, Romney fut invité à y participer en 1983.

La nouvelle entreprise était à l’image de Romney par son obsession du détail et de la procédure. “Mitt avait toujours peur que quelque chose n’aille de travers, il ne prenait jamais de gros risque, se souvient un de ses collègues. Je pense qu’il avait une peur bleue de l’échec.” Romney ne se fonde jamais sur une théorie. Il se fait toujours l’avocat du diable et formule, jusqu’à l’épuisement, toutes les objections possibles à un projet jusqu’à ce qu’émerge une solution faisant consensus. Travailleur acharné, Romney dirige de manière ­collégiale et certains proches le décrivent encore aujourd’hui comme le PDG idéal.

En 1985, Tom Stemberg, un responsable d’un supermarché de Boston, eut l’idée de créer un détaillant vendant uniquement des fournitures de bureau. Le capital-risque de Boston était un petit monde et le jeune entrepreneur tomba rapidement sur Romney et ses 37 millions de dollars à placer. “La plupart des gens trouvaient l’idée stupide, explique Stemberg. Mitt était une exception et il prit la peine d’étudier le projet.”

Et l’idée devint Staples [la chaîne dispose aujourd’hui de plus de 2 000 magasins à travers le monde]. Aux premiers jours de Staples, les collègues de Romney chez Bain Capital gèraient l’entreprise en employant des méthodes analytiques – ils passaient en revue le nombre de petites entreprises autour d’un site potentiel, le trafic routier. Ils s’efforçaient en outre de calculer quelle taille une commande devait atteindre avant qu’un client puisse exiger sa livraison. Pendant des années, Romney siégea au conseil d’administration de Staples, et sa société gagna près de sept fois ce qu’elle avait investi dans l’entreprise.

Ce genre de coup, Romney et son équipe l’ont répété à maintes reprises, le plus souvent en rachetant des sociétés. En 1986, Bain Capital acquit Accuride, une filiale de Firestone en difficulté qui produisait des pneus et des jantes de camion. Bain choisit donc de rassembler un groupe de responsables qui, auparavant, gagnaient en moyenne moins de 100 000 dollars et leur proposa des primes à la performance. Novatrice, cette approche produisit des résultats étonnants : les dirigeants s’empressèrent de contribuer à la réorganisation de deux usines tout en consolidant les opérations – avec d’inévitables licenciements. Au retour des profits, ces dirigeants reçurent 18 millions de dollars sous forme de participation aux bénéfices. En moins de deux ans, Bain Capital avait obtenu un retour de 121 millions de dollars pour un investissement de départ de 5 millions.

Une couverture santé universelle

Des universitaires ont étudié les résultats obtenus par ces sociétés de financement par capitaux propres depuis leur avènement. Ces analyses concluent généralement que les reprises opérées par ces sociétés améliorent la productivité et réduisent le nombre de salariés. En trois ans, au début des années 1990, selon l’économiste de Princeton Henry Farber, environ 10 % des cadres supérieurs masculins blancs ont perdu leur emploi. Ceux qui ont conservé leur poste ont travaillé plus dur, et les avantages financiers, jusqu’alors distribués à tous les niveaux de la hiérarchie jusqu’aux cadres moyens, l’ont été en priorité aux échelons supérieurs. En 1980, un PDG gagnait 35 fois le salaire d’un salarié moyen. En 2000, il empochait à peu près 300 fois plus. Elu gouverneur du Massachusetts en 2002, Romney prit Tom Stemberg, le fondateur de Staples, dans son équipe de transition, et lui demanda s’il avait des idées à lui proposer. A l’époque comme aujourd’hui, Stemberg était membre du conseil d’administration du Centre hospitalier du Massachusetts. Il lui parla de “tous ces gens sans couverture médicale qui encombraient les urgences”. L’hôpital était obligé de les soigner. “Il y avait une loi qui disait que toutes les compagnies d’assurances devaient financer la gratuité des soins. C’était un système complètement absurde. Je ne croyais pas que Romney se saisirait de l’affaire.” Mais l’équipe du jeune gouverneur, au fil de consultations avec des spécialistes, a élaboré une solution qui oblige presque chaque citoyen de l’Etat à disposer d’une couverture, subventionnant ceux qui ne peuvent pas se le permettre. Trois ans et demi plus tard, Romney présentait son plan de couverture santé universelle.

La chute de l’histoire, c’est que le plan qu’il a concocté a servi de modèle à Obama, pour faire adopter une réforme fédérale de la santé en 2010. [Cette parenté vaut aujourd’hui à Romney de vives critiques venues de la droite de la droite] Mais ce qui distingue le plan de Romney de celui d’Obama, c’est son côté presque accidentel. Romney n’a jamais ambitionné d’améliorer le système de santé. Il a simplement cherché à régler un problème.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité