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3 septembre 2012

Débat Aphatie/Mélenchon au grand journal, leçon d'économie politique

 Sur MEDIAPART

 


Lors de cette émission du 27/8/12, Aphatie et Mélenchon débattent du prix des produits pétroliers. Nous aurons ici la version "officielle" (qui est celle des industriels) défendue par Aphatie, et une version contradictoire mais argumentée défendue par Mélenchon. Je livre ici quelques chiffres éloquents.

En faisant abstraction de la tonalité de l'émission, où tout est blague et divertissement, il faut admettre que cet échange est instructif.

En effet Aphatie explique doctement que les industriels ne peuvent baisser le prix d'extraction, de raffinage et de distribution et que seul l'état a les "moyens" de diminuer les taxes (qui représentent quand même 52.7% du prix à la pompe dans le graphique d'Aphatie). Chacun "sait" qu'en France le raffinage fonctionne à perte, qu'il est en surproduction , il est donc "normal" que les compagnies pétrolières ne payent pas d'impôts et ferment leurs raffineries. Cette petite musique familière à chacun est distillée avec talent par Aphatie. Elle est tellement naturelle qu'aucun document n'est jugé utile pour venir étayer cette thèse qui, notons-le, est parfaitement intégrée par le gouvernement.

 

*

 

Or Mélenchon apporte ici un argument décisif, que personnellement je n'avais jamais entendu. Selon lui il n'y a pas de surproduction des raffineries françaises puisque nous importons chaque années des produits pétroliers raffinés, provenant de zones où les normes environnementales sont plus faibles qu'en France, permettant ainsi d'augmenter les profits des industriels. Mis à part le plaisir de voir l'arrogant Aphatie sans voix devant cet argument, qui ne lui a visiblement jamais effleuré l'esprit, est-ce un procès d'intention?

Lorsque l'on connaît la théorie de la création de valeur pour l'actionnaire (1), on sait que du management à la comptabilité tout a été organisé au sein des entreprises pour obtenir le meilleur ROE (return on equity) et cela dans un environnement concurrentiel mondialisé taillé sur mesure. Les acteurs qui sont plongés dans de telles structures risquent fortement d'agir dans l'optique d'obtenir les meilleurs profits même si leurs structures actuelles en dégagent. Ainsi ce n'est pas un procès d'intention, mais bel et bien les structures du capitalisme actuel qui doivent nous porter au minimum à la suspicion devant les arguments proférés par ces entreprises qui recherchent, en toute logique, le plus haut niveau de ROE.

 

Or voici les chiffres, provenant de l'Union Française des Industries Pétrolières (UFIP):

Évolution de la production et de la consommation de carburants (sans plomb 98 - sans plomb 95 - gazole - GPLc) - France (disponible ici)

 

Nous remarquons que la consommation (hors pêche) de gazole n'a fait qu'augmenter pour atteindre le maximum de 33.59 millions de tonnes par an (mta). La même année nous produisions seulement 20.51 mta, ce qui signifie que nous importions au minimum 13.18 mta de gazole, soit plus que la totalité de l'essence raffinée sur le sol français (11.51 mta)! (En réalité je vais montrer plus loin que l'importation de gazole est bien supérieure, probablement parce que la consommation des activités de pêche n'est pas prise en compte dans ce tableau).

En réalité la production française n'est pas du tout adaptée à son marché (très particulier puisque les moteurs diesels sont largement majoritaires), nous produisons trop d'essence, que nous exportons, et pas assez de gazole que nous importons. Ceci est parfaitement expliqué par le ministère de l'environnement : "Le déphasage entre le marché et les possibilités du raffinage persiste : les raffineries françaises produisent trop d’essence relativement à notre marché actuel, où le gazole est nettement majoritaire, et doivent exporter les excédents, notamment vers les Etats-Unis. Inversement, elles ne produisent pas assez de gazole et doivent en importer, en particulier de Russie." (2)

Le ministère ajoute : "Les importations de produits pétroliers raffinés ont été en 2008 d’environ 36 millions de tonnes, dont 43 % de gazole  (En calculant cela correspond à 15.48 mta importées) ou fioul domestique, 18 % de fioul lourd et 8 % de naphta pour la pétrochimie." (3)

 

Bien que le marché soit censé s'autoréguler, nous sommes obligés de constater qu'il y a là encore un léger dysfonctionnement de la théorie car ces chiffres montrent une autre anomalie, aberrante au premier abord du point de vue de la théorie libérale de l'offre et de la demande. On constate que la production de gazole atteint un maximum en 2008, puis diminue jusqu'à perdre 5mta en 2010 alors que sur la même période la consommation...augmente de 1mta. Autrement dit l'offre diminue alors que la demande augmente! Ceci est parfaitement illustré par le graphique suivant, issu du site de UFIP lui-même (4):

Cependant cette "anomalie" se comprend si le même produit peut-être importé en dehors du territoire à plus faible coût par rapport à la production nationale, expliquant que cette dernière chute alors que les importations augmentent. En effet celles-ci s'amplifient de 6mta depuis 2008 (5mta de baisse de production en 2ans et 1mta d'augmentation de consommation hors pêche), année où nous importions déjà 15.48 mta (43% de 36 mta d'après le ministère de l'environnement) de gazole, soit au minimum 21.48 mta importées en 2010, c'est à dire plus que la production totale de gazole en France la même année (20.51mta)!

Alors que les donneurs de leçons ne viennent pas nous parler de non rentabilité puisque les capacités de raffinages sont sous-exploitées, et encore moins de surproduction.

 

*

 

Pour finir je rajouterai que le moment où la courbe s’infléchit nettement est troublant: il s'agit de l'année 2008. C'est donc à partir du moment où la plus grosse crise que le capitalisme ait connue a éclaté, que les industries pétrolières ont nettement diminué leur production sur le sol français alors que la consommation continuait de progresser. Cela rappelle la thèse de Naomi Klein : la stratégie du choc (5). Chaque désastre étant considéré comme une opportunité afin d'imposer des mesures qui ne seraient jamais passées par temps calme...

 

 

 

(1) La création de valeur pour l'actionnaire : Ou la destruction de l'idée démocratique,  Isabelle Pivert, La république des idées 2011

(2) http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-importations-francaises-de.html

(3) ibid

(4) http://www.ufip.fr/?rubrique=1&ss_rubrique=317&inner=348&ss_inner=495&id=d_35

(5) http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Strat%C3%A9gie_du_choc

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