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3 novembre 2012

Compétitivité: sous le «choc», l'intox

 

 

EXTRAITS:

C’est une faute majeure qu’a commise François Hollande en annonçant, le 9 juillet, en ouverture de la Conférence sociale (lire Sur la pente dangereuse du social-libéralisme), que la première des priorités de son quinquennat serait le dossier de la compétitivité des entreprises. Il s’agit d’une faute politique, car le chef de l’État enfourche ainsi le cheval de bataille de la droite et des milieux patronaux. Et depuis, il ne cesse de payer le prix de cette embardée sur un terrain où la gauche avait tout à perdre – jusqu’à ses valeurs. Il s’agit aussi d’une faute économique et sociale car en vérité les études les plus sérieuses, à commencer par celle publiée cette semaine par le Haut conseil du financement de la protection sociale, mettent en valeur la mauvaise foi des campagnes patronales sur cette affaire de la compétitivité.

De fait, rien ne justifiait que François Hollande commence son quinquennat avec une cascade de mesures antipopulaires – comme pour punir ceux qui venaient de le porter à l’Élysée. Il y a eu ainsi l’annonce d’une hausse ridiculement faible du salaire minimum – avec un « coup de pouce » de seulement 20 centimes d’euros par jour. Puis, presque au même moment, il y a eu l’annonce des premières mesures d’austérité budgétaire. Et pour couronner le tout, il y a eu cette embardée sur la compétitivité : alors que François Hollande avait, à juste titre, raillé les campagnes conduites en début d’année sur cette thématique par Nicolas Sarkozy, il l’a soudainement fait sienne. À droite, toute ! Il a surpris jusqu’aux milieux patronaux en s’alarmant soudainement des coûts du travail en France.

C’est le piège que les socialistes se sont tendus à eux-mêmes : si, progressivement, les soi-disant « pigeons » (mais pour certains d’entre eux vrais évadés fiscaux), puis les grands patrons de l’Association française des entreprises privées (AFEP), ont mené campagne contre le gouvernement socialiste, le sommant de déclencher un « choc de compétitivité », avec à la clef un transfert de charges de 30 ou 40 milliards d’euros à leur avantage, et au détriment des salariés, c’est qu’ils ont bien vu la brèche que François Hollande avait le premier ouverte. Pourquoi tous ces grands patrons se seraient-ils privés de conduire cette fronde, puisque le chef de l’État lui-même leur avait, à sa manière, par avance donné raison en demandant à l’un des leurs, en l’occurrence Louis Gallois, ex-PDG d’EADS, et partisan déclaré du « choc de compétitivité », d’éclairer la réflexion de gouvernement en préparant un rapport sur la question ?

Bref, les faits de ces derniers mois sont malheureusement sans équivoque : c’est François Hollande lui-même qui a allumé la mèche d’une bombe à fragmentation, qui, depuis bientôt quatre mois, n'en finit pas de faire sentir ses effets dévastateurs.

Dans les sommets du nouveau pouvoir socialiste, quelqu’un a-t-il, un seul instant, eu la naïveté de penser qu’en confiant un rapport aussi important à une personnalité telle que Louis Gallois, le travail de réflexion serait ouvert et impartial ? Impossible, puisque par avance, dès le 7 juillet devant le Cercle des économistes (libéraux et conservateurs), comme Mediapart l’a déjà raconté (lire Compétitivité : Ayrault démine une réforme explosive), l’ex-patron d’EADS avait déjà tombé le masque ; il avait préconisé un « choc » de « 30 à 50 milliards d’euros », permettant de transférer sur les salariés, via des hausses de TVA ou de CSG, des charges sociales pesant jusque-là sur les employeurs.

Rien ne justifiait que l’Élysée et Matignon ne viennent sur le terrain privilégié du patronat et de l’UMP. Pour s’en convaincre, il suffit de se plonger dans le rapport de grande qualité que vient de produire le Haut conseil du financement de la protection sociale. Installant ce Haut conseil, le 26 septembre dernier conformément à la feuille de route de la Conférence sociale, Jean-Marc Ayrault avait émis le souhait que les premiers travaux de cette nouvelle instance soient « consacré(s) à un état des lieux du système de financement de la protection sociale, analysant ses caractéristiques et ses évolutions ».

Avant même que ne soit connu en début de semaine prochaine le rapport Gallois et avant que le gouvernement ne commence à lever le voile sur ce qu’il compte vraiment faire, cet « état des lieux », froid et méticuleux, fonctionne comme un antidote, pour ne pas se laisser intoxiquer par les campagnes de mauvaise foi que le dossier de la compétitivité suscite.

Voici donc la « Note » de ce Haut conseil :

Note état des lieux

 

 

Diktat néolibéral

Fourmillant de données statistiques nouvelles, cette note présente un grand intérêt, car elle permet de répondre avec précision à de nombreuses interpellations ou autres lieux communs qui sont souvent véhiculés par ce débat autour de la compétitivité et du coût du travail.

  • La France vit-elle au-dessus de ses moyens ?

C’est un sous-entendu qui revient constamment dans ce débat sur la compétitivité. On connaît l’argument, répété à satiété par les néolibéraux : l’économie française n’est pas assez nerveuse, pas assez compétitive, parce qu’elle est entravée par un modèle social qui est trop lourd, trop peu flexible, et qui fonctionne comme un boulet.

Que disent les chiffres ? Ils attestent que de tous les grands pays développés, la France est effectivement l’un de ceux qui a le système social le plus protecteur, puisque les masses financières mises en jeu dans le système de protection sociale sont immenses. Elles se sont élevées par exemple à 538,8 milliards d’euros en 2010, ce qui représente 32 % de la richesse nationale, à comparer à 414,3 milliards d’euros pour les dépenses de l’État.

Depuis un demi-siècle, la part des dépenses de protection sociale dans la richesse nationale n’a cessé de progresser en France. Pour des raisons démographiques : le vieillissement de la population ou la sophistication des techniques médicales a lourdement pesé sur la majoration des coûts du système d’assurance retraite ou d’assurance maladie. Mais aussi pour des raisons conjoncturelles : durant les périodes de crise, comme actuellement, la protection sociale joue à plein ses effets protecteurs, et le poids des dépenses sociales augmente.

Au total, il est donc exact que la France dispose d’un système de protection sociale plus protecteur que beaucoup d’autres pays. En Europe, c’est l’un des plus généreux, juste derrière le Danemark.

Pour autant, ce débat sur la générosité du système social français est marqué par de fortes hypocrisies. Car ceux qui reprochent à la France le poids de ses dépenses sociales omettent de préciser que les comparaisons internationales sont souvent biaisées car elles ne prennent en compte que les dépenses publiques et ne tiennent pas compte des dépenses privées, financées le plus souvent par des systèmes d’assurance.

C’est ce que relève bien ce rapport : « Si la taille des systèmes de protection sociale publics est relativement différente selon les pays, les différences entre États apparaissent moins importantes lorsque l’on prend en compte dans l’analyse les dépenses privées et de nature fiscale : dans tous les grands pays de l’OCDE, les dépenses de protection sociale totales (publiques et privées) représentent alors entre 26 % et 31 % de la richesse nationale. Avec un ratio de 28 %, l’Allemagne se situe moins de deux points au-dessus des États-Unis et du Royaume-Uni ; elle est trois points au-dessous de la France et de la Belgique, lesquelles consacrent la part la plus importante de leurs dépenses à la protection sociale parmi l’ensemble des pays de l’OCDE. »

Le système français de protection sociale est donc effectivement un des plus généreux, mais surtout il est beaucoup plus solidaire. Et cette précision a une très grande importance, car ceux qui préconisent un modèle social moins protecteur se gardent le plus souvent de donner la conséquence de leur recommandation : un recours croissant à l’assurance privée. En clair, la remise en cause du système solidaire sur lequel repose le modèle social français.

Et dans tous les cas de figure, sous le poids de quel terrorisme intellectuel faudrait-il succomber pour finir par convenir qu’une économie compétitive est une économie régie par la loi de la jungle, sans protection sociale ? Le rapport prend l’exact contre-pied du diktat néolibéral, et son constat, tout jargonnant qu’il soit, est le bienvenu : « D’un autre côté, parmi les facteurs de la compétitivité “hors prix”, la protection sociale peut aussi être un élément d’attractivité du territoire national. »

 

Le partage inégal capital-travail

  • Les cotisations sociales à la charge des employeurs sont-elles trop élevées ?

C’est ce constat qui transparaît des campagnes conduites périodiquement par le patronat. Le tableau ci-dessous permet, toutefois, de constater la mauvaise foi de cet argument :

Si on scrute ces chiffres, on constate en effet que les ressources de la protection sociale ne sont financées qu’à hauteur de 35,1 % par les cotisations employeurs. C’est le double des cotisations sociales à la charge des salariés mais les mêmes salariés ne sont pas assujettis qu’aux cotisations sociales ; ils le sont aussi à la CSG dont la montée en puissance a été continue depuis sa création, en 1991, et qui apporte désormais plus de 13 % des ressources de la protection sociale.

Répété à l’envi, l’argument selon lequel le poids des charges sociales patronales serait excessif est donc infirmé par les chiffres. Ce qui n’a rien de très surprenant : dans ce capitalisme patrimonial, le partage de la valeur ajoutée entre les entreprises et les salariés est de longue date déformé à l’avantage des premières et au détriment des seconds. On l’observe dans le partage salaire-profit comme on le relève ici dans le poids respectif des prélèvements salariés et des cotisations employeurs.

Ce graphique éclaire donc le débat d’aujourd’hui. Faut-il alléger encore un peu plus les cotisations sociales employeurs, qui ne sont pas considérables, en alourdissant la charge des salariés, sous la forme d’une hausse de la CSG, ou celle des consommateurs, sous la forme d’une hausse de la TVA ? Le graphique ci-dessus montre que le partage est déjà très inégal. Faudrait-il creuser encore un peu plus cette inégalité ?

Dans la complainte patronale, il y a tout de même un tout petit fond de vrai : c’est que, envers et contre tout, le financement de la protection sociale présente le défaut d’être assise aux trois quarts sur les revenus d’activité. C’est le constat que fait aussi ce rapport, et il retient l’attention : « Ainsi, en 2010, 77,3 % des ressources de la protection sociale  étaient constituées de prélèvements sociaux sur les revenus d’activité (…). Les autres assiettes contribuent de manière beaucoup plus marginale au financement de la protection sociale : à hauteur de 4,8 % pour la consommation des ménages, de 2,5 % pour les revenus de remplacement, de 2,0 % pour les revenus du capital, et de 1,0 % pour les autres impôts liés à la production. »

Un chiffre, en particulier, mérite d’être souligné : ainsi les revenus du capital ne contribuent qu’à hauteur de 2 % de ressources de la protection sociale. Du même coup, on devine qu’il existe des marges d’action mais qu’elles ne sont pas souvent évoquées dans le débat public. Pourquoi parle-t-on sans cesse d'une possible hausse de la TVA pour financer la protection sociale ou alors d'une hausse de la CSG, qui ne frappe que marginalement les revenus de l’épargne ? C’est une autre hypocrisie du débat actuel.

 

 

(...) En clair, et contrairement à ce que disent les experts patronaux et ce que suggèrent ceux du gouvernement, la France n’a pas décroché. C’est plutôt l’Allemagne qui a conduit une politique de dumping salarial.

 

(...)  Au total, c’est donc le mérite de ce rapport que de souligner, en creux, les arrière-pensées de ce débat sur la compétitivité. Pour beaucoup, il s’agit de remettre en cause jusqu’aux fondements du modèle social français et, de surcroît, de promouvoir une politique d’austérité salariale renforcée. Le « choc » que préconise Louis Gallois, c’est celui-là.

 

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