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4 novembre 2012

Rupture de pacte au «Petit Journal» de Canal+

Sur LIBERATION

28 octobre 2012 à 19:06

 

Par Daniel Schneidermann

Quel crétin, ce Jean-Marc Ayrault. Yann Barthès jubilait. Vous savez quoi ? En visite à Singapour, le Premier ministre a pompé, totalement pompé, un discours de François Hollande. Et mot à mot. Le Petit Journal de Canal + avait collé l’une sur l’autre les interventions du président et du Premier ministre. Sidérant. Imparable. On était là, dans les canapés, stupéfaits. Quel nul, ce Ayrault.

Vlan, pas de chance : le Petit Journal avait simplement omis un détail. Au début de son discours, Ayrault avait explicitement dit qu’il citait Hollande. Et le Petit journal s’est gardé de le signaler. Que Ayrault ne soit pas un orateur flamboyant, c’est une affaire entendue. Mais plagiaire éhonté, non.

Matignon ayant fait connaître son irritation auprès de la direction de Canal +, Barthès a été sommé de rectifier l’erreur dans l’émission suivante, exercice qui lui déplaît manifestement. Barthès n’aime pas reconnaître qu’il s’est trompé. Se tromper, ce n’est pas dans son logiciel. On ne lui a pas greffé l’option. Et puis, d’abord, se tromper n’est pas drôle et s’excuser, encore moins. C’est humiliant. Pas moyen de faire rire avec un aveu d’erreur. Tout au plus comme le Canard enchaîné et ses «pan sur le bec», peut-on le faire avec élégance. Sinon, la seule solution, ce serait de rire de soi-même. Ah tiens, on a vraiment été trop bêtes. C’est la seule solution élégante.

Donc, Barthès s’excuse. Oui, nous aurions dû préciser que Ayrault avait bien dit qu’il citait Hollande. Notez bien que Barthès n’explique pas s’il s’agit de la part de son équipe d’une distraction, ou d’une volonté de nuire. Il ne précise pas si l’équipe du Petit Journal savait que Ayrault citait Hollande et a délibérément décidé d’omettre l’extrait pour rendre l’effet comique plus percutant, ou bien si la chose leur avait échappé. Ce détail nous éclairerait pourtant.

Si le Petit Journal a décidé, en connaissance de cause, de charger Ayrault, au détriment de la vérité, on serait fixés pour la suite. On saurait qu’entre la rigolade et le journalisme, ils ont choisi. Mais voilà. Ce refus de choisir est dans les gènes de l’émission, comme naguère, par exemple, dans ceux des émissions de Karl Zéro. Je suis une émission de dérision, voyez mes ailes. Oui, mais j’ai des scoops, voyez mes pattes. Et puis, les explications, c’est bon pour les ringards, les pas drôles.

Mais ce laconisme n’est pas suffisant. Il faut aussi faire payer à Ayrault l’outrecuidance d’avoir osé protester.

Aussi, l’équipe de Yann Barthès a replongé dans ses archives, pour diffuser deux nouveaux extraits du fameux discours de Singapour, tous deux censément accablants pour le Premier ministre. Ah, on va t’apprendre à protester. D’abord, on entend Ayrault parler anglais. «On voit qu’il a bien fait d’enseigner l’allemand», ricane Barthès. Et, tiens, le fondateur de Singapour, que tu as glorifié, eh bien c’était un dictateur. Oui, un dictateur, tu entends, Ayrault ? La preuve, son fils lui a succédé.

A cet instant, Barthès incarne, dans toute son horreur, l’arrogance, l’impunité médiatiques. Evidemment, le Petit Journal ne se réduit pas à cette arrogance, à cette impunité. C’est un mélange indémêlable de créativité, de subversion, et d’arrogance. Ce sont aussi des trouvailles visuelles, des scoops, de vrais moments de rires. C’est d’ailleurs tout le problème. C’est un abandon, le rire. Je m’abandonne à celui qui me fait rire, parce que je lui fais confiance. Je sais que Coluche, ou les Guignols, ou Dany Boon, ou Barthès, me font rire, parce qu’ils ne m’entraîneront pas où je refuse d’aller. Donc, je me laisse faire. Comme l’amour, c’est un voyage pour lequel il faut bien choisir ses compagnons.

Dans le cas de Yann Barthès, s’y ajoute un autre élément du pacte : je ris parce que ce qu’ils me disent est vrai. C’est la différence avec, par exemple, les Guignols. Je peux rire des Guignols, même s’ils sont injustes. Je sais que François Bayrou n’est pas (tout à fait) un neuneu, que Cécile Duflot n’est pas (seulement) une post-ado, que François Hollande est (aussi) autre chose que ce mari de boulevard pris en sandwich entre son ex et son actuelle, mais leurs marionnettes sont tout de même drôles. L’injustice est la loi du genre.

S’affichant mauvais joueur, s’excusant de mauvaise grâce, refusant de dévoiler la «boîte noire» de son émission, c’est-à-dire se situant du côté du spectacle, et non de l’information, Barthès pulvérise le pacte que j’avais conclu avec lui. Comment vient que tout d’un coup, on n’a plus envie de rire avec un bateleur ? D’où vient ce sentiment de s’être fait voler son rire par un pickpocket ? La prochaine fois, on sera sur nos gardes. Fini l’insouciance.

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