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16 novembre 2012

Pilier de défense: opération «Plomb durci», deuxième épisode

 

Sur SLATE

Dans la bande de Gaza, Israël et le Hamas se livrent une bataille que personne ne peut gagner.

Le «Dôme de Fer», système de défense aérienne mobile d'Israël, intercepte une roquette du Hamas, à Ashdod, le 16 novembre 2012. REUTERS/Amir Cohen

- Le «Dôme de Fer», système de défense aérienne mobile d'Israël, intercepte une roquette du Hamas, à Ashdod, le 16 novembre 2012. REUTERS/Amir Cohen -

 

 

L'assassinat du chef militaire du Hamas, Ahmed al-Jabari, tué par un tir de missile israélien, vient de rompre le calme fragile qui régnait depuis peu dans la bande de Gaza, mais pourrait aussi annoncer une nouvelle phase dans la modification de l'équilibre des pouvoirs au sein du Hamas –voire, plus généralement, du mouvement nationaliste palestinien.

Cette attaque correspond à l'escalade militaire la plus significative depuis l'opération «Plomb durci», l'offensive que l'armée israélienne avait lancée contre Gaza en décembre 2008, et qui s'était soldée par la mort estimée de 1.400 Palestiniens et de 13 Israéliens. 

Selon l'armée israélienne, la mort de Jabari était la première étape d'une «campagne d'envergure» visant à «protéger les civils israéliens et paralyser les infrastructures terroristes» –de fait, dans les heures qui ont suivi, les missiles de Tsahal sont tombés sur d'autres cibles à travers tout Gaza, tuant au moins 8 Palestiniens.

Il pourrait d'ailleurs s'agir du prélude à une nouvelle intervention terrestre d'Israël dans la bande de Gaza. En novembre 2011, le ministre israélien de la Défense passive, Avi Dichter avait déclaré qu'Israël devait «reformater et réorganiser Gaza» –sans préciser, en pratique, ce qu'il entendait par une formule aussi terrible.

Impossible de prédire l'évolution du conflit dans les prochains jours, mais il est évident que ce déferlement de violence résulte d'une succession d'événements qui recomposent actuellement les rapports de force internes au Hamas et ses liens avec les puissances régionales, y compris entre Israël et l'Autorité palestinienne de Cisjordanie.

Globalement, depuis la fin de «Plomb durci», les dirigeants du Hamas à Gaza se sont abstenus d'attaquer Israël, et ont aussi tenté d'empêcher les offensives menées par d'autres groupes activistes. Mais depuis le début de l'année, la donne a changé –ce qui est imputable, principalement, à des transformations internes au Hamas.

 

L'influence de la crise syrienne

Traditionnellement, au sein du Hamas, la dynamique  veut que les leaders de son politburo, basés quasi exclusivement dans des pays arabes voisins, soient plus belliqueux que leurs compatriotes de Gaza. C'était à cause d'eux, ces dirigeants en exil, que les liens étaient maintenus serrés avec des régimes radicaux et extrémistes, comme ceux d'Iran ou de Syrie, tandis que le gouvernement du Hamas, à l'intérieur de Gaza, se montrait davantage mesuré, en ayant plus à perdre d'un affrontement violent avec Israël.

Ces derniers mois, la combinaison s'est inversée, avec la remise à plat spectaculaire des alliances étrangères du Hamas, couplée à une manœuvre audacieuse de son aile intérieure pour affirmer sa suprématie. Les liens entre le Hamas et Damas ont été totalement rompus quand le groupe palestinien s'est trouvé en opposition avec le régime du président Bachar el-Assad. Son politburo a dû abandonner son quartier général de Damas, et se voit désormais éclaté entre plusieurs villes du monde arabe. Par conséquent, les tensions ont aussi été considérables avec l'Iran, visiblement bien moins généreux qu'auparavant en termes de finances et d'équipement.

Parallèlement, à Gaza, les chefs du Hamas n'ont eu de cesse de répéter combien son politburo ne représentait pas l'autorité suprême de l'organisation –mais plutôt son aile diplomatique, dont le but est de garantir l'aide et les financements étrangers. Selon eux, c'est bien le gouvernement du Hamas et ses troupes paramilitaires qui, de Gaza, dirigent les opérations, vu qu'ils sont aux premières loges du conflit avec Israël.

 

La succession de Mechaal

Ce désir d'être le fer de lance de la lutte contre Israël explique pourquoi, depuis le début de l'année, le Hamas s'est risqué personnellement aux tirs de roquettes, et n'a pas fait grand-chose pour empêcher, ces dernières semaines, d'autres groupes de faire de même. Ces offensives traduisent en partie le transfert d'autorité à l'œuvre entre les exilés et le commandement politique et militaire du Hamas à Gaza, qui se présente désormais comme la frange dirigeante et combattante de l'organisation.  

La profondeur de ces dissensions internes s'est renforcée en septembre quand Khaled Mechaal, l'actuel leader du groupe, a annoncé qu'il ne se représenterait pas. Les deux candidats à sa succession sont Ismaël Haniyeh, chef de facto du Hamas à Gaza, et l'actuel numéro 2 de son politburo, Moussa Abou Marzouk, basé au Caire. Une victoire d'Haniyeh consoliderait le transfert de pouvoir vers Gaza, tandis que celle d'Abou Marzouk traduirait les espoirs répétés de voir le destin du Hamas bénéficier du «réveil islamique» –l'idée que le Hamas se fait du Printemps arabe.   

L'offensive n'advient pas seulement dans un contexte d'intenses rivalités internes au sein du Hamas, mais aussi à la veille de l'élection israélienne de janvier. Avec son gouvernement, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a dû faire face à d'énormes pressions pour réagir énergiquement aux incessants tirs de roquettes –plus de 800 roquettes seraient tombées sur Israël depuis le début de l'année, selon les autorités– et le message envoyé par la mort de Jabari est des plus féroces. Netanyahou a joué toute sa carrière politique sur des questions sécuritaires, mais il a beau espérer pouvoir contenir la déflagration, elle pourrait échapper à tout contrôle.

Troisièmement, l'attaque de mercredi se déroule dans un autre contexte crucial, celui d'une initiative de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), visant à demander formellement à l'Assemblée générale de l'ONU d'élever son statut à celui d'«Etat non-membre». Israël s'oppose fermement à cette résolution, qui obtiendra sans doute la majorité si elle est déposée. Jérusalem a multiplié les coups de semonce –en menaçant de supprimer les recettes fiscales que le pays collecte pour le compte de l'Autorité palestinienne, de déclarer les accords d'Oslo «nuls et non avenus», de renverser le président palestinien Mahmoud Abbas, d'augmenter considérablement son implantation coloniale ou même d'annexer unilatéralement des régions occupées de Cisjordanie.

Quel avenir pour l'OLP?

Israël a su aussi encourager l'opposition américaine et européenne à cette demande de reconnaissance d'un Etat palestinien. Ensemble, ils ont réussi à dépeindre la manœuvre de l'OLP comme «unilatérale» et subversive, ouvrant de fait la voie des représailles. Mais Israël doit comprendre qu'un nouveau coup financier, diplomatique ou politique en direction de l'Autorité palestinienne, déjà bien mal en point –il lui est désormais impossible de payer ses fonctionnaires, dont dépendent la majorité des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie– ne fera que renforcer le Hamas.  

L'an dernier, lors d'une précédente initiative de l'OLP auprès des Nations unies, le Hamas qui avait maille à partir avec la Syrie et l'Iran, n'était pas en mesure d'exploiter les «punitions» promises par Israël.

Mais cette fois-ci, la situation du Hamas est tout autre: l'organisation semble sur le point d'accéder à une légitimité régionale et internationale inédite. L'émir du Qatar, lors de sa visite de Gaza, est devenu le premier chef d’Etat à se rendre dans l'enclave, en promettant 400 millions de dollars d'aide à la reconstruction au gouvernement de facto du Hamas. Une prochaine visite officielle du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, est elle aussi annoncée. Et l'Egypte n'est pas non plus en reste pour faire les yeux doux au Hamas, même si, en pratique, le soutien du gouvernement de Mohamed Morsi est quasiment inexistant.  

Pour la première fois depuis de nombreuses années, le Hamas peut se targuer d'un projet d'avenir, de soutiens fiables et d'un élan régional qui fait de lui l'un des premiers bénéficiaires d'une vague de succès politiques islamiques à travers tout le Moyen-Orient. Et le Hamas pourrait faire valoir que l'avenir de l'OLP, sans amis, sans argent et sans programme, semble bouché.

Si l'OLP insiste auprès des Nations unies, et si Israël et l'Occident réagissent par des mesures de rétorsion significatives, le Hamas n'aura jamais été en aussi bonne posture pour en recueillir les bénéfices politiques directs. De fait, l'organisation n'a jamais été aussi proche de réaliser son rêve le plus cher: prendre le contrôle du mouvement nationaliste palestinien –voire celui de l'OLP– des mains de ses adversaires laïcs.

Le peuple israélien ne trouvera jamais la sérénité et la sécurité par des guerres incessantes contre des groupes d'activistes palestiniens en constante évolution –soit la conséquence inévitable de l'absence d'un accord de paix.

Remporter la bataille en perdant la guerre

Avec tant de morts et de destruction, l'opération «Plomb durci» n'a pourtant pas réussi à résoudre le moindre problème sécuritaire d'Israël, et n'a rien fait d'autre que de pousser le pays au devant d'une condamnation internationale sans précédent, pour avoir ciblé des objectifs civils et non-militaires, pour ses possibles crimes de guerre et pour son usage excessif de la force.

A Gaza, ceux qui tirent les roquettes ou tolèrent de telles offensives doivent aussi être tenus responsables, vu qu'ils connaissent pertinemment la réaction d'Israël –dont le prix sera, comme toujours, payé par des Palestiniens ordinaires et innocents.

Ne vous y trompez pas: l'assassinat de Jaabari est un coup majeur porté à la branche militaire du Hamas, qui vient de perdre un leader de premier ordre. Mais même s'il s'agit d'une première étape dans le «reformatage» de Gaza, Israël pourrait, encore une fois, finir par remporter la bataille en perdant la guerre: si l’Etat hébreu ne prend pas garde, la manœuvre pourrait bien davantage renforcer le Hamas que l'affaiblir. Pire encore, l'offensive pourrait raffermir des organisations palestiniennes extrémistes et jihadistes, nouvellement implantées dans Gaza. Des deux côtés, les risques d'une erreur de jugement –et d'un nouveau déferlement de terreur et de chaos qui ne ferait qu'aggraver les choses pour tout le monde– sont énormes.

Hussein Ibish 

Chercheur pour l'American Task Force on Palestine, organisation favorable à la création d'un Etat palestinien pour promouvoir la fin du conflit israélo-palestinien.

Traduit par Peggy Sastre

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