Notre Dame des Landes : l’Etat a manipulé les chiffres. Voici comment
Comment faire passer un schéma boiteux pour un projet avantageux ? En manipulant les chiffres. Reporterre révèle le tour de passe-passe qui a permis à l’Etat de faire croire que le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes serait rentable. Hervé Kempf (Reporterre & Le Monde) - 3 décembre 2012
Un mot interpelle : celui de "manipulation", employé par le sénateur EELV Ronan Dantec le 17 novembre : "Lors de l’enquête coût-bénéfice sur le projet, l’Etat a manipulé les chiffres. Au moment de calculer la valorisation en euros des gains de temps permis par le nouvel aéroport, les sommes ont été au moins doublées. Sans cela, l’enquête coût-bénéfice aurait été négative. Cela a été fait sous la responsabilité du préfet de l’époque, Bernard Hagelsteen, aujourd’hui conseiller chez Vinci... Cela contribue à l’extrême fragilité de la légitimité démocratique de ce projet." Le propos est grave. Pour comprendre son origine, il faut aller consulter l’"Instruction cadre relative aux méthodes d’évaluation économique des grands projets d’infrastructure de transport", publié en 2005 par le Ministère des Transports.
Ce document précise notamment comment valoriser monétairement les gains de temps de transport permis par les nouvelles infrastructures. Il est le document de référence auquel doivent se référer les agents de l’Etat qui ont charge d’opérer ces valorisations monétaires. Il explique ainsi, page 34, la "valeur du temps" à prendre en compte pour les "voyageurs interurbains". Pour les distances inférieures à 50 km, c’est ainsi 8,94 € de l’heure (valeur 2000).
Si l’on applique cette valeur au projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, en la projetant en 2025 et en appliquant le taux d’inflation, on arrive à des valeurs s’étageant entre 18,6 € et 20 €, selon les différents scénarios de trafic.
C’est ce qu’observe le rapport du cabinet néerlandais CE Delft, qui a mené une contre-expertise du dossier d’enquête d’utilité publique en 2011, page 20. L’enquête publique a-t-elle pris ces valeurs, qui découlent de l’Instruction cadre qu’elle devait appliquer ? Non. Elle a utilisé des chiffres bien supérieurs. On arrive même à 98,10 € pour le scénario 2, qui est considéré comme le plus probable.
98 euros au lieu de 19,25 : c’est une multiplication par quatre ! Or, cette valeur joue un rôle très important, puisqu’elle détermine l’avantage économique du projet d’aéroport. Si elle était inférieure, il n’y aurait plus d’avantage économique, mais au contraire une perte. Allons vérifier sur pièce, pour bien comprendre. Il faut retrouver le Dossier d’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique, du Projet d’aéroport du Grand Ouest Notre Dame des Landes, réalisé en 2006 et ayant conduit au Décret d’utilité publique pris en février 2008.
Dans ce volumineux dossier de plusieurs centaines de pages, on va trouver la clé dans la pièce F :
Les ingénieurs néerlandais de CE Delft ont-ils raison ? Où ont-ils trouvé le quintuplement de la valeur normale ? (.......)
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