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2 février 2013

Réforme bancaire : le douloureux aveu des banquiers aux députés

Sur @si

chronique le 30/01/2013 par Anne-Sophie Jacques

@si avec les chahuteurs du fond de la salle

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Mercredi 30 janvier. La réforme bancaire fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale avec l’audition de trois banquiers, chahutés par les députés. Après deux heures de discussion, un douloureux aveu : dans la formulation actuelle du projet de loi, la filialisation ne concernera que...1% du bilan des banques.

Chose promise, chose due, j'y suis. 9 heures du matin. Dans la salle d’audition de la commission des finances de l'Assemblée sont attendus Jean-Paul Chifflet, président de la Fédération bancaire française, directeur général de Crédit agricole SA, Frédéric Oudéa, président-directeur général de la Société générale, et Jean-Laurent Bonnafé, administrateur général de BNP Paribas. Cette audition marque l’ouverture du débat sur le projet de loi de la réforme bancaire, du moins pour Les Echos qui en fait sa une ce matin :

Les echos banques

Vous qui suivez, vous savez que les discussions ont commencé depuis quelques jours déjà. Les trublions pour une scission des activités bancaires digne de ce nom ont donné le coup d’envoi en début de semaine dernière avec un obus de taille : en affirmant dans l’étude d’impact au projet de loi qu’il est "malheureusement impossible" de déterminer quelle sera la part des activités bancaires filialisée, n’y a-t-il pas l’aveu que le secret des affaires prime sur l’information du public ? Et – autre hic – si cette étude ne peut donner de chiffres, peut-on alors vraiment parler d’une étude d’impact et donc n’est-on pas sous le coup d’une anticonstitutionnalité ? Bonnes questions. Eminemment informés par votre éconaute préférée, vous savez également que les rapporteurs du projet de loi pour la commission des finances, Karine Berger, et pour la commission des affaires économiques, Philippe Kemel, ont déjà mené des auditions et notamment sur la protection du "consommateur bancaire". C’était l’objet de mon papier de la semaine dernière dans lequel j'annonçais ma présence à l’audition des trois banquiers. Fidèle, j’y étais.


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Pourquoi y aller ? J’avais envie de voir comment les députés se saisissent du débat et surtout quel est leur niveau d’information sur le projet de loi. Je n’ai pas été déçue. Mais avant d’en venir là, peut-être est-il nécessaire de faire un condensé du discours des banques tant attendu, histoire de vous mettre dans l’ambiance.

Commençons par le ton : Chifflet, représentant de la Fédération bancaire françaises (FBF), tente la blague "après le mariage pour tous à l’Assemblée, la séparation des banques". Flop. Visiblement, la trentaine de députés présents dès le début de l’audition n’a pas envie de rigoler. Passons au fond. Extraits : nos banques ont raisonnablement bien passé la crise parce que le modèle de banque universelle est plus résistant que les autres. Le texte du projet de loi est contraignant mais il est bien équilibré. Cela dit, prenons le cas de Fortis, grosse banque qui a fait faillite. Eh bien, la filialisation prévue par la loi n’aurait pas changé son issue tragique. Et puis il faut penser à un cadre européen. Il est regrettable que la France fasse cavalier seul tandis que l’Union européenne prévoit, d’ici l’été, une directive sur les bases du rapport Liikanen (sur ce rapport et sur les rapports Volcker et Vickers, je vous invite à lire mon article sur la séparation des banques. Fin de la parenthèse, écoutons de nouveau nos banquiers). Notons que la BCE (banque centrale européenne) est plutôt réservée sur le rapport Liikanen. Enfin, nous sommes trop petits, nous devons nous diriger vers le modèle anglo-saxon car nous sommes dans un contexte de concurrence farouche. Nous devons être aussi compétitifs que les banques américaines.

Trop petits ! A ces mots, les députés socialistes se mettent à bouillir. Pascal Cherki (PS) s’empare d’un gobelet en plastique, glisse un billet dedans et le tend à ses voisins : pour les banques, à votre bon cœur. Un député souffle "menteurs". Une fois les banquiers entendus, place à la rapporteure Karine Berger. Elle explique à l’assistance qu’elle a déjà auditionné Erkki Liikanen, auteur du rapport éponyme ainsi que des universitaires, et qu'elle s'apprête, la semaine prochaine, à entendre Finance watch, ONG qui, rappelle-t-elle, s'est constituée "en réponse au puissant lobbying des banques au sein du Parlement européen". Berger s’adresse ensuite aux banquiers : "je suis étonnée, messieurs, de voir que vous n’êtes pas spécialement gênés par cette loi". Réplique des députés au fond de la salle : "c’est vrai, ils auraient au moins pu faire semblant". Pourquoi Berger fait-elle mine d’être étonnée ? Je vous fais le sous-texte : si les banquiers n’ont rien contre le projet de loi, c’est que la loi ne va pas assez loin. Berger indique ainsi aux députés, comme elle l’avait fait sur son blog, que le projet gagnerait à être renforcé.

De l'impatience à l'énervement

Peu à peu la salle se remplit. Côté opposition, Eric Woerth, François Baroin, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse font des apparitions. Ils ne poseront aucune question. Dix heures dix : Christian Eckert, rapporteur de la commission des finances (et avec qui le gouvernement doit compter) rejoint l’audition. Il ne reste pas longtemps, et, en partant, il glisse à l’oreille d'un député communiste agacé : "la révolution est en marche". Une vingtaine de parlementaires interviennent. Certains regrettent le peu de remise en question des banques après la grosse crise de 2008. Certains louent leur force de persuasion. Au micro, ironique, Nicolas Sansu (PC) : "je pensais qu’après le 6 mai il y aurait une scission des activités bancaires, mais non. Messieurs les banquiers, bravo, quelle force de conviction !" Pierre-Alain Muet (PS) rappelle que la séparation des banques voulue par Roosevelt (appelée également Glass-Steagal Act) avait très bien fonctionné pendant des dizaines d’années.

Mais c’est la question posée par Berger qui va cristalliser le débat. Elle rappelle aux banquiers qu’elle leur a demandé expressément, par courrier, un certain nombre de chiffres, sans succès. Comme elle les a sous la main, elle re-tente sa chance : quelle est la part des activités de marchés dans les revenus des banques ? Et quelle part sera filialisée avec la nouvelle loi ? Après tergiversations, Oudéa finit par confirmer les chiffres qui circulaient déjà : pour la Société générale, la part des activités de marchés représente 25% des revenus de la banque et sur cette part 5% seront filialisées. 5% de 25%. Le temps d’un rapide calcul et les députés comprennent qu'environ 1% du bilan des banques sera filialisé. Une tartuferie reformulée par Pascal Cherki (PS) : "confirmez-vous que 99% des activités bancaires ne seront pas filialisées si le texte est voté en l’état ?" Il confirme. Scoop. Le chiffre est lâché, celui-là même que l’étude d’impact esquivait. Bon courage pour le défendre maintenant.


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Pascal Cherki, en forme et en mouvement

A partir de ce moment, l’agacement fait place à l’échauffement. Sans trop de rapport avec la réforme bancaire, Cherki interroge Bonnafé, patron de BNP-Paribas, sur une histoire de pantouflage lue le matin-même dans le Canard enchaîné : selon l'hebdo, la BNP aurait en effet embauché en tant que responsable des affaires fiscales de la banque l’ancien sous-directeur du ministère de l’Economie en charge des relations internationales au Service de la législation fiscale. Cherki enchaîne : "et sur les questions de fiscalité, peut-on envisager que les banques publient la liste des pays où elles réalisent leur chiffre d’affaires ?" Une demande formulée également par le ministre Pascal Canfin au micro de France Inter afin de lutter contre la présence des banques dans les paradis fiscaux. Sur la question de l'embauche, Bonnafé, déstabilisé, se fait plus agressif : "on a bien embauché cette personne – Christian Colomet-Tirman, c’est son nom, il n’est pas cité, par pudeur ou par religion, je ne sais – et ce n’est pas pour faire des farces et attrapes vous vous en doutez".

Et sur les paradis fiscaux ? Bonnafé est livide. Il a du mal à parler, et le président de la commission des finances, Gilles Carrez, l’invite à répondre en ignorant la tension palpable parmi les députés. Je parie avec mon voisin Nicolas Cori, journaliste à Libération, qu'il va esquiver la question. Car après deux heures de discussion, Oudéa, Bonnafé et Chifflet louvoient de plus en plus grossièrement, à coup de métaphores alambiquées empruntées à la route. Ils parlent de véhicules, de conducteurs de 38 tonnes lancés à toute allure sur la route principale d’un village, d’ailleurs si on crée des holdings bancaires le pilote ne saura plus s’il conduit une Mobylette ou un camion, faut pouvoir démonter le moteur quand ça va mal, ou encore de comparer le projet de loi a une limitation de vitesse qui passerait de 90 à 10 kilomètres heures alors oui, c’est sûr, il y aurait moins d’accidents mais on irait beaucoup moins vite. Texto. Mais les députés ne lâchent pas le coup des paradis fiscaux : alors, sur les paradis fiscaux, publication des comptes ? Bonnafé finit par répondre : "je veux bien mais il faut le faire à l’échelle internationale. Hors de question de donner nos chiffres – et dévoiler nos stratégies – si les autres ne le font pas".

Je dois cinq euros à Nicolas Cori.

 

 

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