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5 février 2013

Christiane Taubira, la réforme c'est elle!

Sur MEDIAPART (Presse LIBRE!... abonnez vous)

Dimanche midi, au cinquième jour de l'examen du texte sur le mariage pour tous, la gauche a tremblé. Depuis le Cambodge, Jean-Marc Ayrault venait de recadrer sa ministre de la famille Dominique Bertinotti, qui s'était aventurée à donner le calendrier d'une future loi incluant l'insémination artificielle pour les couples de femmes (lire notre article ici).

Christiane Taubira n'a pas bronché. Depuis des mois, la garde des Sceaux a toujours pris soin de laisser les sujets touchant à la famille et la santé (comme la PMA) hors du cadre du projet de loi sur le mariage pour tous. Ministre du code civil, elle sait que c'est d'abord elle qui restera dans l'histoire comme la ministre ayant ouvert le mariage et l'adoption aux couples de même sexe, même si sa collègue de la famille, à ses côtés, ne ménage pas sa peine.

L'ancienne candidate à la présidentielle de 2002 (sous la bannière du parti radical de gauche), entrée en mai dernier dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, a pris une dimension nouvelle à la faveur du premier (le seul ?) grand débat parlementaire du quinquennat. À coups de discours offensifs face à la droite, la ministre a semblé réveiller la majorité après un début de quinquennat bien morne. Elle a même réussi à la ressouder alors que, sur d'autres sujets, la rupture du PS majoritaire est consommée avec le Front de gauche, et que les relations sont détériorées avec les écologistes.

 

 

 

Tout a commencé le 29 janvier, avec son premier discours pour présenter cette réforme. En une demi-heure, sans lire ses notes, Christiane Taubira rappelle l'histoire du mariage civil, la longue marche vers l'égalité républicaine que parachève cette loi. Du droit, rien que du droit, et un soupçon de poésie. « Nous sommes fiers de ce que nous faisons. Nous en sommes si fiers que je voudrais le définir par les mots du poète Léon Gontran Damas : l’acte que nous allons accomplir est “beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales”. Il est “grand comme un besoin de changer d’air”. Il est “fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue”. » La gauche l'ovationne.

Les députés sont subjugués. « Sous la cinquième république, il y a eu trois grands discours, explique le socialiste Bernard Roman : Simone Veil sur l'IVG, Robert Badinter lors de l'abolition de la peine de mort. Et Christiane Taubira. » Le réseau social Twitter se pâme. Des internautes se cotisent pour lui offrir un bouquet « géant » et récoltent 7 500 euros, qu'elle décide de reverser à l'association d'accueil des jeunes homosexuels Le Refuge.

Aux suspensions de séance, les députés se bousculent pour la saluer ou l'embrasser. Vendredi soir, Claude Bartolone fête son anniversaire pendant la séance, la soirée se termine à la buvette. Le lendemain, il lui organise une haie d'honneur surprise. Dans l'après-midi, le socialiste Nicolas Bays se glisse jusque son banc pour lui offrir un livre d'estampes japonaises. « Pour lui apporter douceur et sérénité », dit-il. En quelques jours, Christiane Taubira est devenue une mascotte. « C'est le moment Taubira », résume Christian Paul (PS).

À gauche, les compliments sont unanimes. Matthias Fekl (PS) : « C'est une femme extraordinaire qui donne beaucoup de dignité à ses débats. » Sa collègue socialiste Corinne Narassiguin : « Face à elle, la droite a du mal à imposer sa présence. » Alain Tourret (radical de gauche):  « C'est un grand orateur. » Sergio Coronado (écologiste) : « Elle est géniale. » Marie-George Buffet (Front de gauche) : « Cette femme a une compétence réelle au niveau du droit, elle connaît ses dossiers. Mais surtout, elle donne du sens à ses propos. Quand on l'entend, on a l'impression d'être intelligent. »

« On est tous un peu amoureux de Christiane », s'amuse Bruno Le Roux, le président du groupe socialiste à l'Assemblée.

Candidate à la présidentielle sous l'étiquette du parti radical de gauche en 2002, cette ancienne indépendantiste, députée de Guyane depuis 1993, a un temps été accusée au PS d'avoir divisé la gauche au premier tour. Et d'avoir contribué, avec 2,32 % des voix, à l'élimination de Lionel Jospin – en réalité, elle ne souhaitait pas se présenter et avait proposé d'être sa porte-parole de campagne, mais celui-ci avait refusé. Un épisode que certains députés UMP n'ont d'ailleurs pas manquer de lui rappeler au cours des débats...

 

« Elle incarne la gauche »

En 2012, elle soutient Arnaud Montebourg à la primaire socialiste. Elle entre ensuite au gouvernement par défaut, à la place de Jean-Michel Baylet, président du parti radical qui refusait de quitter la présidence de son conseil général. « Il fallait trouver un autre radical », explique Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

De son ministère de la justice, elle était restée relativement discrète. Au début du quinquennat, la droite voyait même en elle un des maillons faibles du gouvernement et l'éreintait lors des séances de questions. Ces derniers mois, elle avait surtout fait parler d'elle pour les difficultés d'organisation de son cabinet, son caractère réputé pas facile, ou encore la relative lenteur de son équipe à mettre en œuvre certaines promesses de campagne de François Hollande en matière de justice.

Au deuxième jour du débat sur le mariage pour tous, la publication par son administration d'une circulaire sur les enfants nés de mères porteuses à l'étranger a d'ailleurs été jugée peu opportune par Matignon et l'Élysée, et déclenché les foudres de l'opposition.

Mais depuis le début de l'examen du texte sur le mariage pour tous, Christiane Taubira s'est révélée par quelques interventions très marquantes, qui ont souvent fait mouche face à l'opposition. « Elle a un truc que n'ont pas les autres ministres. On la voit comme la femme d'un combat. Elle parle sans notes, dans un français soutenu et avec une musicalité dans la voix qui nous emporte », détaille Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. « Elle ne se contente pas de son charisme. Si elle sait parler à nos émotions, elle parle surtout à notre raison et notre intelligence. Ces interventions ne sont jamais “faciles”, toujours charpentées, argumentées, fines, précises... », explique Barbara Romagnan, de l'aile gauche du PS.

Ses interventions sont surtout des “précipités” de ces principes fondamentaux de la gauche (République laïque, démocratie, foi en l'éducation, référence aux Lumières qui émancipent, ouverture au monde, etc.), dont l'évocation galvanise immanquablement la majorité. « Quand elle parle, c'est sans compromis, explique Sébastien Denaja (PS). Elle assume tout. En plus elle n'est pas socialiste, donc elle incarne la gauche à merveille. »

Le 30 janvier, quand l'UMP Wauquiez demande un référendum sur le mariage pour tous, la réponse fuse, cinglante et ovationnée par son camp. « Nous posons les mots sur des sentiments et des comportements. Oui, il reste hypocrite de ne pas voir ces familles homoparentales et ces milliers d'enfants exposés au regard social réprobateur. Vous nous parlez des effets psychologiques sur les enfants, mais ces effets sont d’abord le fait du regard social, des discriminations, du rejet, du refus d’une citoyenneté !(...) Nous statuons en droit. Il s’agit ici de droits et de libertés. »

 


Mariage pour tous - Christiane Taubira... par Mediapart .

Quelques heures plus tard, à 2 h 20 du matin, elle termine la première journée complète de débats par une salve de remerciements. Aux socialistes Patrick Bloche et Bernard Roman, « qui ont joué un rôle pionnier en la matière depuis de nombreuses années et ont eu raison de ne pas désespérer ». À Élisabeth Guigou, garde des Sceaux au moment du Pacs, « qui a marqué l’ouverture de quelques droits pour les couples homosexuels ». Elle cite les députés d'opposition Franck Riester et Yves Jégo, rares pro-mariage à droite, et l'ancienne ministre Roselyne Bachelot qui a « osé affronter » son camp.

Christiane Taubira évoque aussi la « désespérance » des jeunes homosexuels, le « suicide » de certains. Elle rappelle que « souvent dans l'histoire, c'est la mobilisation de groupes minoritaires qui a fait progresser le droit général sur les questions d'égalité ».

Christiane Taubira profite aussi de ce moment pour répondre à Bruno-Nestor Azerot, député de Martinique (apparenté Front de gauche), élu d'outre-mer comme elle, qui dans l'après-midi a dit son opposition au texte en invoquant l'esclavage, à la grande joie de l'opposition. « Au temps de l’esclavage les couples n’avaient pas le droit de se marier, car chacun, selon le code noir, était un bien meuble et appartenait, en cette qualité, au patrimoine de son maître, dit-elle. Il est certain qu’on ne reconnaît pas aux meubles le droit de se marier ! »

« La forme était bonne madame la ministre, je le reconnais », admettra le lendemain matin l'UMP Philippe Gosselin.

 


Débat Mariage pour tous - Christiane Taubira... par Mediapart

 

 

Petits pois

Aux membres de l'opposition qui exigent inlassablement le retrait de la circulaire controversée sur les enfants nés de mères porteuses à l'étranger, la ministre oppose, opiniâtre, « l'état de droit, que ça vous plaise ou pas ». « Non, la circulaire ne sera pas retirée, ce n'est ni une fantaisie, ni un caprice, encore moins une injustice ! » Une quinzaine de fois, elle prend la parole pour répéter que cette circulaire, qu'elle avait annoncée dès le 16 janvier, ne crée pas de nouveaux droits et que la droite n'aurait pas fait autre chose si elle était au pouvoir.

Ce week-end, alors que l'UMP évoque le risque d'un afflux d'étrangers homosexuels après le vote de la loi, elle cite un vers de René Char – « Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des nœuds ». Elle invoque aussi Voltaire qui « disait que les progrès de la raison sont lents et les racines des préjugés profondes ». Elle convoque à nouveau René Char lorsque l'UMP évoque les « enfants Playmobil » nés de procréation médicalement assistée. « Les mots savent de nous des choses que nous ignorons d'eux. Les mots que vous utilisez relèvent des choses... », dit-elle, suggérant sans le dire le mépris contenu dans la comparaison d'enfants avec des jouets.

Et quand l'UMP invoque le « droit à l'enfant » que consacrerait le texte (un des principaux arguments des opposants au mariage pour tous), elle en conteste longuement la validité juridique. Puis termine sa tirade en se disant « étonnée » de l'« exaltation » de l'opposition pour des « règles et des lois que nous croyions révolues ». Des préceptes de la nature à laquelle elle oppose l'esprit des Lumières.

« J’ai l’impression que vous faites revenir avec vénération et fascination les lois naturelles, revenant au temps de Lamarck et de l’évolutionnisme, de Mendel et de ses fameuses lois. Vous avez la fascination du naturel, du biologique et de la génétique ! (...)  Il y a longtemps que les Lumières ont imprégné la réflexion philosophique et scientifique ! Il y a longtemps que l’on sait ce qu’est l’environnement social et culturel ! Et vous, vous en êtes encore à la révérence et à la vénération des lois de Mendel, qui travaillait quand même sur les petits pois ! »

Une nouvelle fois, les applaudissements fusent.


Débat Mariage pour tous - Christiane Taubira... par Mediapart .

 

 « Dans ce gouvernement, il y a des gens qui ne font pas de politique, ou en font mal, analyse Arnaud Leroy, député des Français de l'étranger, proche d'Arnaud Montebourg. Taubira fait de la politique et incarne la ligne très volontariste de la sociale-démocratie portée par François Hollande. » « Elle ne fait que de la politique, que de l'idéologie au sens noble du terme. Elle croit à la force des idées », insiste Bernard Roman. « Ça fait du bien d'avoir des ministres qui assument », s'enthousiasme Sébastien Denaja.

Alors qu'une rumeur insistante la donne bientôt partante pour le Conseil constitutionnel, Jean-Jacques Urvoas estime au contraire que Christiane Taubira, appelée à conduire la future réforme des institutions, sera un atout politique de poids pour le pouvoir dans les mois à venir. « Elle est populaire auprès du groupe socialiste. Et vous n'enlevez pas un ministre populaire... »

 

 

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