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14 février 2013

Les petites phrases nuisent-elles à la démocratie ?


Sur LA COMM' TRANQUILLE

 

 

«Merkel tient le guidon et la sonnette et Hollande pédale» : cette «petite phrase» de Jean-Luc Mélenchon prononcée à l’occasion de la célébration quasi-unanime de l’anniversaire du traité de l’Élysée, signé le 22 janvier 1963 par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle pour sceller l’amitié franco-allemande, a provoqué la mise en circulation expresse d’une lettre publique outrée de la part du député PS Jean-Christophe Cambadélis. C’est dire l’importance politique qu’une formule bien sentie peut prendre aujourd’hui. Or, ces petites phrases – dont Twitter et ses 140 signes serait l’horrible royaume – sont constamment accusées de polluer l’espace public, d’être nocives au débat démocratique. Ces accusations sont-elles bien fondées ? Rien n’est moins sûr.

Démocratie représentative

En premier lieu, on reproche souvent à la «petite phrase» d’être exclusivement mêlée aux guerres d’ego des narcisses de la politique politicienne et d’affaiblir dès lors la complexité du débat démocratique, que l’on préférerait fondé sur des idées et des programmes. Sommairement, c’est la distinction de Gramsci entre la « grande politique » et la « petite politique » dont la petite phrase serait le signe infamant. Sauf que chez le philosophe de l’hégémonie culturelle, il s’agit non pas d’une dichotomie mais d’une dialectique : pas de grande politique sans petite politique.

Et ce pour une raison très simple : tant que nous vivrons dans un système démocratique représentatif fondé sur l’élection, il y aura nécessairement une compétition de personnes pour l’accès au pouvoir. En démocratie, tout un chacun a le droit de concourir pour emporter l’adhésion majoritaire. C’est un processus élémentaire dans l’exercice de la démocratie représentative que l’on a bien souvent du mal à retenir. Partant, la politique politicienne est hélas – ou heureusement – consubstantielle à la démocratie.

À moins bien entendu de remplacer l’élection par le tirage au sort : dans ce cas, les individus n’ont plus besoin de faire campagne, de se départager entre eux et donc d’utiliser de vilaines petites phrases pour se positionner les uns par rapport aux autres. Mais en attendant, il apparaît que la petite phrase est un signe de régularité démocratique. Son absence totale serait d’ailleurs le symptôme d’un régime tyrannique où le pouvoir se renouvellerait automatiquement, en se passant des hommes et de leur émulation concurrentielle.

 

Détonation

En second lieu, la petite phrase est souvent caricaturée comme quelque chose de creux, comme le suggèrent les connotations négatives qui lui sont associées. C’est parfois le cas, parfois non. Il n’est qu’à convoquer les fameuses Maximes de La Rochefoucauld pour s’apercevoir qu’une formule ou un mot d’esprit contiennent souvent une charge heuristique et critique plus détonnante que certains longs discours. On connaît la citation de Kafka sur la littérature qui devrait être cette « hache qui brise la mer gelée en nous ». Mais n’est-ce pas également le propre d’une formule efficace que de créer une sorte de perturbation sémiologique dans le discours constitué pour créer un nouveau point de vue et d’interprétation d’une situation politique susceptible de provoquer la prise de conscience ?

De plus, n’y a-t-il pas plus à craindre pour la démocratie de la langue de bois, cette langue gelée du pouvoir, que de la petite phrase qui a au moins cette vertu de briser la glace et de clarifier l’état du jeu politique, aussi politicien soit-il, et donc de laisser le public se positionner en conséquence ? Vous jugerez.

 

Petite phrase et grande Histoire

La petite phrase, énoncé mince et futile ? On reproche parfois à la petite phrase d’occuper l’espace public à tort, de parvenir à perdurer dans le temps comme par effraction. Un énoncé si léger peut-il sérieusement prétendre à la postérité ? C’est oublier d’une part que le slogan, énoncé court – concis – s’il en est, a toujours été la particule élémentaire du discours politique : mot d’ordre, c’est à lui que revient le privilège de canaliser les grandes oscillations partisanes de l’espace public.

C’est oublier aussi qu’une petite phrase est un énoncé performatif qui parfois fonde la grande Histoire. On se souviendra par exemple du «alea jacta est» (les dés sont jetés) de César prononçant ainsi l’ordre de franchir le Rubicon, ce qui précipitera la guerre civile dans l’Empire romain, ou du «Paris vaut bien une messe», Henry IV signant par là sa conversion au catholicisme le 25 juillet 1593, ce qui lui permettra d’accéder au trône. Plus récemment, rappelons-nous du «Je vous ai compris» de Charles de Gaulle le 14 juin 1958, amorçant l’indépendance de l’Algérie, ou encore de «Ich bin ein Berliner», prononcé le 26 juin 1963 par le président américain John F. Kennedy lors de sa visite à Berlin-Ouest, moment fort de la guerre froide où les États-Unis signifient leur soutien à ce territoire enclavé dans les territoires communistes de l’Allemagne de l’Est. Enfin, ne résistons pas à la tentation de citer encore une fois le fameux «mon programme n’est pas socialiste» prononcé par Lionel Jospin, alors candidat à la présidentielle de 2002, marquant sans nul doute la conversion du PS au néolibéralisme.

Toutes ces petites phrases sont comme des cliquets de l’Histoire ; elles en délimitent les grandes scansions, dans le discours comme dans la réalité politique.

Connecting people

Revenons enfin sur le procès en simplification constamment porté à l’encontre du mot d’esprit. Pas de blagounettes, la politique est quelque chose de sérieux, n’est-ce pas ? Hélas, il n’aura échappé à personne que les gens qui ont le droit de voter dans ce pays n’ont pas tous le même niveau de connaissances et d’agilité intellectuelle que les parangons de vertu philosophique bien prompts à décerner des brevets d’élégance rhétorique, et cela souvent pour des raisons indépendantes de leur volonté, tout simplement parce qu’il sont pris dans un temps et des contraintes économiques qui leur laissent peu d’accès au débat démocratique.

Faut-il pour autant renoncer à leur donner une prise sur la chose publique en se privant de la blague, de la métaphore, de la comparaison, c’est-à-dire des figures rhétoriques plus accessibles car plus ludiques ? Dénigrer ces nuances discursives au nom d’une prétendue hygiène démocratique de salons reviendrait non seulement à faire preuve d’une violence symbolique déplacée, mais aussi à exclure de fait un grand nombre de gens du territoire démocratique.

Twitter : royaume définitif de la petite phrase ?

Poser cette question revient à interroger la validité de la célèbre thèse de Marshall Mac-Luhan qui postulait que « the medium is the message ». Ou, pour le dire autrement, c’est le canal de transmission lui-même qui structure le contenu.

Or, excepté le fameux tweet de Valérie Trierweiler, il s’avère que relativement peu des petites phrases ayant eu un effet réel dans l’espace public – c’est-à-dire la capacité de vraiment faire événement et d’amender l’état des rapports de force discursifs qui composent la superstructure (pour parler comme Marx) – proviennent originellement de Twitter. Beaucoup viennent au contraire soit de discours, soit de débats, soit d’interviews. Voire de off.

Remarquons au passage que pour l’instant, la petite phrase est plus un genre journalistique (combien de papiers politiques mis sous tension par une seule et maigre petite phrase) qu’un genre politique (même s’il serait plus exact de dire qu’il s’agit d’une dynamique entre les deux). Les journalistes sont en effet beaucoup plus enclins à faire parler les politiques sur le mode de la petite phrase que les politiques ne le sont à communiquer publiquement sur cette fréquence là.

Ensuite, on observe que relativement peu d’énoncés postés sur Twitter ont vraiment la valeur d’une «petite phrase». Twitter convoque en effet plusieurs registres et pratiques d’énonciation : le live-tweet, le rendez-vous (les infos d’agendas), le #FF, le tweetclashs, l’émission de liens vers des contenus plus conséquent, la mise en valeur d’actions militantes, etc. Or, statistiquement, dans cette masse foisonnante d’énoncés, peu correspondent dans l’intention comme dans l’effet à une petite phrase. Nous pouvons d’ailleurs mettre au défi quiconque de trouver un énoncé qui puisse avoir la valeur d’une petite phrase dans les tweets formatés émis par François Hollande dans la campagne présidentielle. Bonne chance.

Répartie

Néanmoins, d’un point de vue plus qualitatif, Twitter favorise effectivement des dispositions locutoires proches la petite phrase. Pourquoi ? D’abord parce que le réseau de mirco-blogging est un espace compétitif horizontal et ouvert. Un tweet – et ce d’autant plus si sa vocation est politique – cherche toujours à se démarquer, à s’extraire du crépitement surabondant du réseau. Il y parvient par le truchement du retweet : plus un tweet est retweeté, plus il circule dans le réseau, donc plus il est visible, donc plus il a d’influence, donc plus il a de valeur. Sur Twitter, c’est le degré de viralité d’un énoncé qui jauge la pertinence du message envoyé.

Or la pertinence d’un tweet tenant dans sa capacité à faire sens à un moment donné, c’est-à-dire à proposer effectivement la formule ou le mot d’esprit qui tombe juste, et plus juste que les autres, la grammaire médiologique particulière de Twitter favorise le sens de la répartie, le sens de la vanne, le sens de l’interprétation, le sens de la concision, le sens du décalage ; autant de paramètres qui sont dans une certaine mesure eux-mêmes constitutifs de l’art de la «petite phrase».

Pour conclure, Twitter comme la petite phrase semblent augmenter la démocratie : le premier parce qu’il permet une participation plus large des citoyens à l’espace public, la seconde parce qu’elle permet de clarifier et de dynamiser la composition du jeu politique.

Clément Sénéchal (@clemsenechal)

 


La tyrannie des petites phrases - Séminaire de... par laregledujeu

 

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