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15 mars 2013

Extra Omnes ! (Toujours sur le nouveau pape)- Alexis CORBIERE

 Alexis Corbière à "BFM Story" le 14/03/2013 par lepartidegauche

 

mar. 13

 

Petit jeu. Qui a dit : « L'ordre naturel et les faits nous enseignent que l'homme est l'être politique par excellence. Les écritures nous démontrent que la femme toujours est en appui  de l'homme pensant  et faisant mais rien de plus que cela. » ?

Réponse : Jorge Mario Bergoglio, désormais connu mondialement sous le nom de Pape François.

Toutes les femmes du monde ont dû apprécier la bestialité machiste du propos. Et, magnanime, je n’oublie pas au passage mon adversaire Marine Le Pen dont la formation bruyamment s’est félicitée de l’élection de ce nouveau pape. Florian Philippot, le vice-président du FN, à même demandé à François Hollande d’être présent en personne au Vatican pour accompagner Jean-Marc Ayrault lors de la cérémonie d’intronisation. Il s’en est pris, en parlant de nous, à tous ceux qui vont « fouiller dans les poubelles » en osant reprocher à ce nouveau pape l’attitude si silencieuse et complaisante de l’Eglise catholique durant la dictature argentine. Philippot est un rigolo qui croit nous amuser avec son air pincé. Ce petit monsieur fraîchement arrivé au FN, et qui affirme dans une vidéo mal fichue  « avoir tué le Front de Gauche » sait-il qu’en 1993 en tournée en Amérique latine, Jean-Marie Le Pen avait tenu une conférence de presse à Buenos Aires ? Interrogé à cette occasion sur la dictature militaire qui, de 1976 à 1983, a fait plus de 30.000 tués et disparus, le Président du Front national avait déclaré : «Le pire ennemi qu'un pays peut avoir est le communisme. Ceux qui s'y sont opposés ont bien mérité de leur pays et du monde entier. Ils devraient être remerciés.»  Qu’en pense M. Philippot ?

Bref, les immondices du FN me permettent de faire ma transition. Si, je parle ici de plusieurs responsables du PG, nous avons fait des commentaires sur la désignation de ce nouveau pape, alors que d’ordinaire comme laïques nous ne nous prononçons pas sur les débats internes des religions, c’est que l’Eglise catholique est un acteur politique de premier plan en Amérique latine. Souvent d’ailleurs, elle a été marquée par la Théologie de la libération et dans de nombreux pays elle a aidé les mouvements progressistes. Mais, l’Argentine est un contre-exemple de cette tendance. De 1976 à 1983, une terrible dictature a pris le pouvoir par la force et a fait disparaître au moins 30 000 personnes, en a fusillé 15 000, en a gardé 9 000 en prison. Ce fut alors une véritable alliance du sabre et du goupillon destinée à « contrer l'infiltration marxiste étrangère à notre mode de vie occidental et chrétien » selon les mots mêmes de la Junte au pouvoir. La hiérarchie catholique qui dispose d’un énorme pouvoir économique et politique en Argentine, les Evêques et aumôniers militaires prononcent régulièrement des discours politiques, ne s’est jamais opposée à ces diatribes se réclamant du catholicisme. Pire même, ils les ont accompagnés et ce fut éclatant lorsque Jean-Paul II se rendit en Argentine en juin 1982 , reçut alors par Leopoldo Galtieri (qui a remplacé Videla à la présidence) et qu’il refusa de rencontrer des ONG qui menaient sur le terrain la lutte pour la défense des Droits de l’Homme. La photo publiée plus haut en noir et blanc témoigne de ce déplacement. Dans le même état d'esprit, le même pape jugera pertinent en 1987 d’aller au Chili saluer Augusto Pinochet et même le bénir au cours d'une messe.

Je reviens à ce nouveau pape argentin. De nombreux articles font état de ce rôle trouble de l’Eglise argentine comme institution. Mais, le débat n’est pas qu’une polémique d’historiens. Il a une grande actualité. Dans cette Amérique latine de 2013 où des gouvernements progressistes sont au pouvoir, quel va être désormais le rôle géo-politique de ce nouveau pape ? C’est là toute la question. Le choix d’un homme qui est resté silencieux sous la plus terribles des dictatures est-il annonciateur d’un silence du Vatican si demain des coups d’Etat renversaient les gouvernements du Venezuela, d’Uruguay, de Bolivie, d’Equateur, etc… ?

Et le plus terrible est qu’il ne s’agit pas seulement de questions et d’accusations contre l’Institution, mais en direction aussi de Jorge Bergoglio lui-même. Là, pour être précis, je donne la parole au journaliste argentin Horacio Verbitsky qui a longuement travaillé sur le sujet et publié un ouvrage nommé El silencio. Voici ce qu’il écrit dans un article rédigé au lendemain de l'élection du nouveau pape :

« Parmi les centaines de courriels que j’ai reçus, j’en ai retenu un : "Je n’en crois pas mes yeux. Je suis si angoissée et furieuse que les bras m’en tombent. Il est arrivé à ses fins. C’est la personne idéale pour cacher la corruption morale, un expert ès cachotteries." Le message est signé de Graciela Yorio, la sœur du prêtre Orlando Yorio, qui a dénoncé Jorge Mario Bergoglio comme le responsable de son enlèvement et des actes de torture qu’il a subis pendant cinq mois en 1976. Orlando est décédé en 2000 en imaginant le cauchemar qui s’est réalisé le 13 mars. »

Cette première partie de l'article est terrible pour le nouveau pape car elle dément déjà totalement la thèse du Vatican défendue aujourd’hui dans un communiqué du père Lombardi, porte parole officiel, et qui a déclaré que tous ceux qui s'interrogeaient n'étaient que "des éléments de la gauche anticléricale et elles doivent être rejetés". Cette réponse est un peu simpliste car il est difficile de voir ces deux prêtres jésuites comme des "anticléricaux".

Mais la suite des accusations de Verbistky est encore pire et accable le nouveau pape. Pour l'heure, elles n'ont pas de réponses. Avant de mourir, selon le journaliste, le prêtre Yorio «  n’a jamais eu connaissance de la déclaration de Jorge Mario Bergoglio devant le tribunal oral fédéral n°5, où il a affirmé n’avoir appris que récemment l’existence de jeunes enfants kidnappés, après la fin de la dictature. [Un plan systématique de vols de bébés d'opposants politiques avait été mis en place entre 1976 et 1983. Les mères étaient assassinées et les enfants adoptés sous une fausse identité.] Pourtant, le tribunal oral fédéral n°6 a reçu des documents qui révèlent que dès 1979, Jorge Mario Bergoglio était au courant et qu’il est intervenu dans au moins un cas.

Lors du procès de l’ESMA [le plus grand centre de torture de la dictature], Jorge Bergoglio [alors président de la conférence épiscopale de Buenos Aires] a déclaré par écrit, concernant l’enlèvement d’Orlando Yorio et de Francisco Jalics, que ses archives ne renfermaient aucun document sur les enlèvements et disparitions. Cependant, son successeur a envoyé à la juge une copie d’un texte attestant de la réunion entre le dictateur Jorge Videla et les évêques Raúl Primatesta, Juan Aramburu et Vicente Zazpe, lors de laquelle ils se sont demandé s’il fallait ou non avouer l’assassinat des disparus. Dans son ouvrage Iglesia y dictadura [Eglise et dictature], Emilio Mignone l'a cité comme le parangon des "bergers qui ont livré leurs brebis à l’ennemi sans les défendre ni les sauver ». »

L'accusation la plus grave contre Jorge Bergoglio est donc d'avoir signalé aux militaires l'activité de deux prêtres jésuites qui faisaient du travail social dans les bidonvilles, Orlando Yorio et Francisco Jalics, puis ensuite refuser à ceux-ci sa protection. Yorio et Jalics ont été séquestres en mai 1976 et sont restés cinq mois à l'Ecole de Mécanique de l'Armée (ESMA) où ils ont été torturés avant d'être relâchés. Les quatre catéchistes et deux membres de leurs familles enlevés avec eux sont toujours disparus. Parmi eux se trouvait Candelaria Mignone, fille de l'ancien ministre Emilio Mignone. Ce dernier, un catholique pratiquant mais libéral a mobilisé sans succès la hiérarchie catholique pour essayer de faire libérer sa fille, et l'accueil qu'il reçut l'encouragea à écrire un livre resté célèbre « Eglise et Dictature » dans lequel il raconte avec détails l'épisode.

Par la suite, Jorge Bergoglio s'est illustré en refusant de reconnaître toute responsabilité institutionnelle de l'Eglise pendant les années noires de la dictature 1976-83. Il a plusieurs fois soutenu des prêtres lors des procédures judiciaires pour violation des droits de l'homme. Le cas le plus retentissant fut celui de Cristian Von Wernich, qui était aumônier de la Police Fédérale pendant les années de la dictature. A ce titre, il participa à des séances de torture, jouant même de son investiture religieuse pour essayer de soutirer des confessions aux personnes "disparues". Il fut traduit devant les tribunaux en 2007, jugement rendu possible par l'annulation par Nestor Kirchner des lois dites "obediencia debida y punto final" par lesquelles Alfonsin, le premier président après la dictature, amnistia l'ensemble des actes commis pendant la "sale guerre". Jorge Bergoglio, à l'époque primat d'Argentine et archêveque de Buenos Aires avait eu une position très ambiguë, dégageant l'Eglise de toute responsabilité tout en refusant toute sanction ecclésiastique contre Von Wernich.

Les rapports de Jorge Bergoglio avec Nestor Kirchner puis Cristina, l’actuelle présidente, ont été difficiles. Il y a bien entendu un conflit historique entre le péronisme et l'Eglise,  qui vient du fait que le populisme péroniste a toujours menacé le monopole que l'Eglise prétend détenir sur le champ social. Il y a aussi dans ces conflits des racines sociologiques très anciennes entre une Eglise qui répond aux oligarchies traditionnelles (grands propriétaires terriens, militaires...) et le péronisme qui s'appuie sur les couches populaires et moyennes. Le péronisme est aussi traditionnellement libéral sur les questions sociétales: le divorce - rejeté systématiquement par l'Eglise argentine - est introduit par Peron en 1949, sera supprimé par l'alliance cléricale-militaire après le coup d'Etat de 1955, et sera réintroduit par un autre péroniste, Carlos Menem, en 1987.

Mais le conflit avec Nestor Kirchner tient aussi à l'annulation par celui-ci des lois "de obediencia debida y punto final" et "de indulto". La première de ces lois restreint le champ des personnes qui peuvent être poursuivies pour les violations des droits de l'homme commis dans la période 1976-83 aux commandants supérieurs des différentes armes, estimant que leurs subordonnés sont couverts par le "devoir d'obéissance". La seconde pardonne un certain nombre de condamnés pour ces crimes. L'annulation de ces dispositions par Nestor Kirchner en 2003 a ouvert la porte à toute une série de procédures judiciaires contre des militaires et des civils - dont un certain nombre de religieux. L'Eglise, comme les militaires, ont toujours vu dans la décision de Kirchner une forme de persécution.

« Extra Omnes ! » doit être compris comme « Tous dehors ! » Cette phrase est prononcée à la fermeture des portes de la Chapelle Sixtine lors du début d'un conclave catholique par le maître des célébrations liturgiques avant de désigner le Pape. Elle m’amuse et à mon oreille, elle raisonne comme un « Qu’ils s’en aillent tous ! »

« Extra Omnes ! » En mémoire des milliers de camarades morts sous la dictature argentine, on ne serait mieux dire dans la circonstance.


Alexis Corbière à "BFM Story" le 14/03/2013 par lepartidegauche

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