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12 avril 2013

Ces autres Chypre qui menacent l'Europe

Sur MARIANNE

Mercredi 10 Avril 2013 à 05:00 | Lu 12711 fois I 40 commentaire(s)

 

Emmanuel Lévy et Hervé Nathan

Le modèle chypriote, avec un secteur financier hypertrophié soumis aux capitaux étrangers, est loin d'être un cas isolé parmi les 27. Passage en revue de ces «économies casinos» qui sont autant de bombes à retardement que l'Eurogroupe devra désamorcer.

 

Longue file d'attente devant une filiale de la banque Laiki à Chypre, mars 2013 - Pavlos Vrionides/AP/SIPA
Longue file d'attente devant une filiale de la banque Laiki à Chypre, mars 2013 - Pavlos Vrionides/AP/SIPA
Pour le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schaüble, la question chypriote est simple : ce pays n'aurait tout simplement pas le bon business model. La raison de tous les maux qui accablent la petite île méditerranéenne entrée dans l'euro en 2008 ? L'hypertrophie du secteur financier. Et, de fait, Chypre croule - croulait, devrait-on dire, puisque le paradis fiscal est promis à la faillite - sous l'argent des banques étrangères.

Pas moins de 58,5 milliards d'euros représentant 2,5 fois le PIB du pays. Mais Chypre est-elle pour autant un «cas exceptionnel», comme la qualifie Benoît Cœuré, vice-président de la BCE ? Eh bien, non ! Des «économies casinos», selon l'expression de Pierre Moscovici, il en existe bien d'autres en Europe, repérées par le FMI dès 2007, avant la crise.

Comme Chypre, leur système financier hypertrophié représente plusieurs fois leur richesse nationale et il est gangrené par la corruption, le dumping fiscal et le laxisme réglementaire.

Puisque le président de l'Eurogroupe, le Néerlandais Jero Dijsselbloem, affirme que «la solution pour Chypre servira de modèle pour les futures restructurations bancaires de la zone euro», Marianne fait le tour des principaux pays potentiellement candidats, ces bombes à retardement au sein de l'UE.
Malte, casino de l'Europe
La Valette, Malte - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
La Valette, Malte - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
Après Chypre et le Luxembourg, Malte est le troisième plus petit pays de l'Union européenne et de la zone euro.

Son ministre des Finances, Edward Scicluna, sait que, après la chute de Chypre, les capitaux ne viendront pas se réfugier chez lui, car la structure économique de son pays est encore plus fragile : les 26 milliards d'euros d'avoirs des banques étrangères à Malte correspondent à 4,1 années de son PIB, deux fois plus qu'à Chypre.

Economie casino, au sens propre du terme, puisque le business des jeux en ligne a trouvé son port d'attache à La Valette, avec une réglementation très souple - a contrario des autres pays de l'UE - et surtout une fiscalité hyperlégère. Que soit instaurée, demain, une taxe bancaire ou que l'île procède à une hausse des impôts, et ces activités prendront la poudre d'escampette, au nom de l'optimisation fiscale.
Le Luxembourg, si secret
Chambre des députés, Luxembourg - ANGOT/SIPA
Chambre des députés, Luxembourg - ANGOT/SIPA
Membre fondateur de l'Union européenne, le grand-duché s'est fait depuis longtemps une place au soleil dans le petit milieu du secret bancaire. Son indice d'opacité bancaire, tel que calculé par l'association Tax Justice Network, le place ainsi sur la troisième place du podium. Les banques étrangères y ont accumulé pour près de 1 000 milliards de dollars, soit 23 années de PIB !

Sa recette : le Luxembourg ne pratique pas de retenue à la source sur les revenus financiers internationaux. Ainsi, le dividende versé, par exemple, sur le compte suisse à partir de fonds luxembourgeois ne supporte-t-il aucune imposition.

Une recette qui fait le délice des grandes banques européennes. Du coup, principale différence avec Chypre, ce ne sont pas des banques luxembourgeoises mais des filiales de géants du secteur, bien plus solvables, comme BNP Paribas, Deutsch Bank ou UBS qui encaisseraient un choc, si crise il devait y avoir.
L'empire britannique du mal : Jersey, Man... et la City
La city, Londres - NICOLAS JOSE/SIPA
La city, Londres - NICOLAS JOSE/SIPA
A tout seigneur, tout honneur. La Grande-Bretagne abrite la plus grande place financière de l'Union européenne. Attractive, la City l'est par son industrie de la finance (un tiers du PIB britannique provient de ce secteur), et par des conditions fiscales avantageuses. Un exemple ? Les étrangers «résidents non domiciliés» ne sont imposables sur leurs revenus perçus à l'étranger qu'à partir de la dix-huitième année de résidence.

De quoi faire le bonheur de quelques oligarques russes en mal d'abri fiscal. Les sociétés aussi ont droit à leurs petites sucreries. Ainsi, Michael Osborne, ministre des Finances de Sa Majesté, a-t-il l'intention d'abaisser de 28 % à 24 % le taux de l'impôt sur les sociétés, dans le but d'attirer les investissements de l'extérieur.

Selon le journaliste Nicholas Shaxson, auteur des Paradis fiscaux, enquête sur les ravages de la finance néolibérale : «La Grande-Bretagne est au centre d'un réseau de paradis fiscaux qui alimente en capitaux la City de Londres et lui procure un gigantesque volume d'affaires. Le premier cercle de la toile est constitué de ce qu'on appelle les dépendances de la Couronne - Jersey, Guernesey et l'île de Man -, dont l'essentiel de l'activité se fait avec les pays d'Europe, d'Afrique, de l'ex-URSS et du Moyen-Orient. Le deuxième cercle regroupe les territoires britanniques d'outre-mer, dont les îles Caïmans et les Bermudes, tournés surtout vers l'Amérique du Nord et du Sud.»

Les confettis de l'empire sont donc une partie de la «place offshore globale» que constitue le Royaume-Uni. A Jersey, Guernesey ou dans l'île de Man, rien n'est plus facile que de loger ses avoirs dans un trust, en fait un gestionnaire de fortune, souvent filiale locale d'une grande banque britannique, qui gardera secrète l'identité des heureux propriétaires. L'argent, ensuite, est investi en toute légalité dans le système financier londonien.

Les chiffres donnent le vertige : les fonds étrangers déposés à Londres s'élèvent à 3 400 milliards d'euros ! Cette «toile d'araignée» représente un double danger systémique pour l'Union européenne. La première raison en est que la City de Londres est très mal surveillée par les autorités publiques.

La récente manipulation du taux Libor (taux d'intérêt à court terme), par une dizaine de banques situées à Londres, qui s'entendaient pour faire varier le coût de l'argent au jour le jour, révèle la passivité de la Banque d'Angleterre, chargée de la surveillance des établissements financiers. Un scandale qui révèle l'absence de véritable gendarme financier dans ce pays.

Deuxième raison : le réseau serré de paradis fiscaux, Jersey, Guernesey, Man, Malte, qui rabat les capitaux vers les banques britanniques en assurant un solide abri fiscal pour leurs détenteurs, est un véritable casse-tête institutionnel.

En cas de faillite bancaire majeure à Jersey, qui recèle 133 milliards d'euros de placements étrangers, ou à Guernesey (77 milliards d'euros), qui serait responsable des dettes ? Ces îles seraient bien incapables d'assumer une telle charge qui représente jusqu'à 40 fois leur PIB. Serait-ce alors la Grande-Bretagne, et éventuellement le système bancaire européen solidaire ? Nul ne le sait et personne n'a vraiment envie de le savoir...
L'Irlande et ses dettes bancaires
L'horlogue du City Hall, Dublin - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
L'horlogue du City Hall, Dublin - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
En 2009, la petite et prospère république d'Irlande s'était avisée, mais un peu tard, que ses banques avaient grossi bien davantage que l'économie réelle de l'île, fort dynamique pourtant.

Incapable de faire face à l'explosion d'une bulle immobilière sans équivalent en Europe, deux grosses banques, qui avaient attiré les placements anglais avec des rémunérations généreuses, se déclaraient en faillite. Elles étaient nationalisées par le gouvernement, contraint d'injecter 30 milliards d'euros dans le système financier !

Les intérêts d'emprunts s'ajoutent aux effets de la récession économique. La facture globale de la crise monte à 64 milliards d'euros, faisant passer la dette publique de 25 % à 117 %. Les sacrifices consentis par les Irlandais sont considérables : 25 milliards de hausse d'impôts, baisses des salaires dans le privé et le public, chômage à près de 15 %...

Pour sortir du programme d'assistance européen, le gouvernement souhaite aujourd'hui refiler une partie des dettes bancaires, soit 28 milliards d'euros, au Mécanisme européen de stabilité (MES). Malgré l'appui du FMI, les dirigeants allemands, néerlandais et finlandais refusent et bloquent toute décision. La bombe irlandaise, la plus ancienne, est toujours active.
Slovénie et Lettonie, les petits nouveaux
Église franciscaine de l'Annonciation à Ljubljana, Slovénie - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
Église franciscaine de l'Annonciation à Ljubljana, Slovénie - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA
Pays discret logé au sud de l'Autriche, la Slovénie pourrait bien être la prochaine victime du président de l'Eurogroupe, Jero Dijsselbloem, puisque les créances douteuses des deux banques nationalisées représentent 20 % du PIB du pays (7 milliards d'euros).

Un rapport de la commission anticorruption slovène accuse «un cercle de personnes qui seraient les éminences grises de la finance slovène», responsables aujourd'hui des graves problèmes du secteur bancaire. Et la banque centrale n'aurait pas sanctionné les banques alors même qu'elle était au courant de ces faits.

La Lettonie, candidate à l'entrée dans l'euro, elle, craint de devenir le refuge des capitaux russes fuyant Chypre. Bien qu'elle s'en défende, elle est déjà l'objet d'une OPA rampante : la moitié des dépôts des banques proviennent des puissants pays voisins : Russie, Biélorussie, Ukraine. Et la somme a grimpé de 20 % en un an.
Comment désamorcer ces bombes à retardement ?
Le bazar chypriote a démontré une fois de plus l'incapacité des régulateurs nationaux à empêcher les banquiers de faire n'importe quoi. L'émergence d'une autorité européenne de surveillance des banques y palliera-t-elle ?

Il aura fallu quatre ans de discussion pour parvenir à un accord, et ce n'est pas avant juillet 2014 que la BCE sera chargée de la supervision, non pas des 6 000 établissements de la zone euro, mais des 600 les plus importants, dits «systémiques». Une catégorie dans laquelle n'entraient pas, par exemple, les deux banques chypriotes à l'origine de la crise...

Un banquier français pointe une autre difficulté : «Il va falloir que la Banque centrale européenne recrute 800 experts de la finance. Et, pour ce métier-là, on ne peut pas prendre des débutants.» Avis aux amateurs. Il faudra aussi progresser sur un fonds de garantie des dépôts au niveau européen.

Une directive prévoit que chaque pays rassemble une somme équivalente à 1 % du total des dépôts. La France, pourtant bonne élève en la matière, ne compte parvenir à réunir cette somme de 10 milliards que dans sept ans.

Mais au-delà de ces simples encadrements, comme le souligne l'économiste Frédéric Lordon, les responsables européens ou nationaux devront s'extraire des dilemmes que la finance en folie leur a imposés : sauver les banques avec le coût moral et financier que cela implique ou les laisser tomber et mourir avec.

«Pendant ce temps, constate Frédéric Lordon, ajoutant les erreurs techniques au scandale politique et moral de la «gestion» de la crise financière, eurocrates et responsables nationaux s'étonnent d'avoir un problème avec les populations...»

 


«CHYPRE DOIT RESTER DANS L'UE» Par Georges Prévélakis, spécialiste de géopolitique

Marianne : La crise chypriote, à qui la faute ?

Georges Prévélakis : A tout le monde, même si cette réponse ne satisfait pas ceux qui cherchent un bouc émissaire unique. Les Chypriotes ont évidemment beaucoup tardé avant de mesurer l'ampleur de leurs problèmes et, à cet égard, le précédent gouvernement de Dimitris Christofias (l'ancien président de la République et dirigeant du Parti communiste chypriote) porte une responsabilité particulière.

Mais l'Union européenne ne peut pas oublier les siennes : les Chypriotes n'œuvraient pas dans le noir, il y a eu des complicités au sein de l'UE, un manque de vigilance et une tolérance envers des dérives qui s'expliquent pour plusieurs raisons. L'une tient à ce souci constant du compromis qui renvoie à demain la solution des problèmes, l'autre relève des calculs à court terme, jamais sur la longue durée. En fait, la crise chypriote met une fois de plus en évidence la faillite de la méthodologie européenne.

Le pays doit-il sortir, de gré ou de force, de l'UE comme certains l'ont évoqué ?

G.P. : L'Union européenne est un bien commun fondamental et, pour des raisons autant économiques que géopolitiques, la Grèce comme Chypre doivent y demeurer. Evidemment, les Chypriotes vont souffrir et devoir consentir des sacrifices d'autant plus insupportables qu'ils ne sont jamais justes et pèsent toujours sur les plus pauvres.

Mais la sortie de l'UE exposerait le pays aux convoitises de puissances extérieures - la Russie, la Turquie, la Chine, entre autres - au risque d'accentuer des antagonismes dangereux. Le pays ne doit pas devenir l'arène des confrontations entre blocs mais, aussi imparfait et faible soit-il ces temps-ci, il doit continuer à bénéficier de la protection et de la relative stabilité qu'apporte l'Europe.

Le contraste entre le boom de la Turquie et les situations grecque et chypriote est pourtant accablant...

G.P. : Il y a quelques années, on évoquait le dynamisme de la Grèce et la mauvaise santé de l'économie turque. Le rapport s'est inversé. L'histoire est cyclique et, par ailleurs, les Chypriotes ont plus que tout autre l'expérience des difficultés...

Propos recueillis par Alain Léauthier

 

Article paru dans le n°832 du magazine Marianne, en vente du 30 mars au 5 avril 2013
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