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9 mai 2013

Le hollandisme. Tragédie en un seul acte.

Sur MARIANNE LES ECONOMISTES ATTERES

Rédigé par Cedric Durand le Dimanche 5 Mai 2013 à 18:39 commentaire(s)


La première année du quinquennat vire au cauchemar. Alors que le chômage vient de dépasser son pic historique de 1997, l'activité économique est fermement sur la pente d'une rechute durable. Face à une si brutale invalidation des politiques mises en œuvre, on est en droit d'attendre une réorientation. L'austérité n'est-elle pas de plus en plus largement contestée ? Fragilisé, le président ne va-t-il pas prendre acte de l'impasse dans laquelle le pays se trouve et entendre ceux qui, jusque dans ses plus proches soutiens, l'engagent à changer de cap ?
Il est vrai que rien n'est jamais écrit d'avance, que devant l'ampleur de la catastrophe l'hypothèse du « hollandisme révolutionnaire » ne saurait être totalement écartée... Mais, sauf à prendre ses désirs pour des réalités, force est de constater que les coordonnées de l'action présidentielle ne laissent guère de place au doute.
L'an II du hollandisme n'aura pas lieu. Ces dernières semaines une série de rapports, d'avis et de nominations ont été rendus publics, délimitant le champ étriqué à l'intérieur duquel se définit la politique économique pour les mois et les années qui viennent. 

 

Sans surprise, la Commission européenne pose le cadre et les conseillers s'ajustent. La revue approfondie de la situation française publiée le 10 avril (1) avance deux principales idées : la compétitivité française doit être restaurée et il faut poursuivre l'effort d'ajustement budgétaire. 
La détérioration de la compétitivité de la France a, selon la Commission, deux principales causes : d'une part,  une dégradation de la profitabilité des firmes et, d'autre part, des coûts salariaux trop élevés en raison principalement des rigidités sur le marché du travail.
Des dynamiques négatives cumulatives en termes de compétitivité hors-prix - via une capacité d'innovation des firmes insuffisante -  et de compétitivité prix nuisent ainsi aux exportations et donc à la croissance et à l'emploi. Partant d'un tel diagnostic, la Commission se félicite logiquement des 20 milliards de crédit d'impôt accordés aux entreprises dans le cadre du pacte compétitivité-emploi à l'automne 2012 et de l'accord national interprofessionnel conclu en début d'année entre une partie des syndicats salariés et le patronat. La clef de voûte de cet accord, rappelons-le, est de fragiliser le contrat de travail en légalisant le chantage à l'emploi en contrepartie de baisses de salaires ou d'heures supplémentaires non payées. Mais, pour Bruxelles, il ne faut pas en rester là. Et la commission d'avertir : « il serait utile que ces réformes, bien que significatives, soit complétées de manière à permettre aux firmes de rétablir leurs avantages compétitifs, en particulier, vis-à-vis de leurs principaux concurrents du sud, notamment en Espagne et en Italie,  où les coûts du travail ont été réduits et où des réformes importantes ont été entreprises, y compris concernant le marché du travail, et où les exportations ont déjà récupéré »(2) apprend ainsi que, maintenant que des baisses de salaires et une précarisation de l'emploi massives ont été imposées à nos voisins méditerranéens, il va falloir s'y coller à notre tour.
Réjouissez-vous esthètes de la désespérance, le fond du trou néolibéral est encore loin !


[[1] Publication dans le cadre de la procédure de « prévention et de correction des déséquilibres macroéconomiques » qui encadre désormais étroitement la politique économique des pays membres. European Commission, In-depth review for France,  April 10 2013, Bruxelles, 46 p. ]tag:ref1
(2)  Ibid., p. 42

 

L'objectif est sans surprise de s'attaquer plus encore aux « rigidités du marché du travail » en vue,  notamment, de « développer davantage l'emploi à temps partiel » (imposé, pour les salariés, ça va sans dire). En ligne de mire également, le salaire minimum accusé d'empêcher un ajustement à la baisse des salaires, de pousser vers le haut le salaire moyen et de comprimer la hiérarchie des salaires, autant d'éléments qui « ont un impact négatif sur la compétitivité et la capacité d'export »(1) .
Le gouvernement va-t-il se rendre à cette raison libérale de toujours ? Oui, mais probablement par le biais de gesticulations visant à mettre en scène une option gauche de la baisse des salaires. En tout cas, c'est ce que vient de lui suggérer le conseil d'analyse économique (CAE) dans une note co-signée par Philippe Askenazy, Antoine Bozio et Cécilia Garcia Peňalosa(2) . Que dit cette note ? Le constat général rejoint celui de la Commission en ciblant le coût du travail car, arguent-ils, « suite à la crise, le salaire réel super-brut évolue en France plus vite que la productivité du travail » ce qui augure d'une accélération de la hausse du chômage. Les auteurs reprennent alors la rengaine du problème qu'est censé poser l'incapacité des salaires à s'ajuster à la baisse en insistant - et c'est là leur touche d'originalité - non pas sur le salaire minimum mais sur les minima et normes salariales définis dans le cadre des conventions de branche. Bref, l'objectif reste de faire baisser les salaires, mais les auteurs ajoutent à la sempiternelle mise en cause du SMIC d'autres cibles autour des déterminants du salaire direct et indirect médian : dérogations aux accords de branche,  fiscalisation de la protection sociale et une politique monétaire inflationniste censée rendre l'ajustement moins douloureux grâce à l'illusion monétaire. Pour faire passer la pilule, des négociations sur la qualité du travail « sans surcoûts » pour les firmes sont préconisées...


(1)  Ibid, p. 15.
(2)  P. Askenazy, A. Bozio et C. Peňalosa, « Dynamiques des salaires en temps de crise », Les notes du conseil d'analyse économique, n° 5, Avril 2013, 12 p. 

 

Avec cette nouvelle argumentation, la boîte à outils antisociale de notre bricolo de Président s’étoffe un peu plus. En effet, l'attaque contre les conventions de branches a pour objectif de décentraliser la fixation des salaires, ce qui affaiblit immanquablement le pouvoir de négociation des salariés. La fiscalisation de la protection sociale, outre qu’elle touche au principe de celle-ci en tant que salaire socialisé, conduit à sa fragilisation : il est en effet plus aisé de procéder au démantèlement des dispositifs de protection via des votes du parlement une fois que les caisses sont privées de ressources propres. Reste la question de l'efficacité de telles mesures dans la lutte contre le chômage. Dans une perspective keynésienne, les choses sont simples : si en sus de la contraction des dépenses publiques, les salaires diminuent, la spirale dépressive va s'accélérer et le chômage grimper en flèche. Alors que la demande internationale est atone et que l'activité se contracte chez nos voisins, il n'y a aucune chance que les éventuelles marges regagnées par les firmes se traduisent par une reprise des investissements. Les exemples de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal sont à cet égard édifiants. Au fond, il ne s'agit pas de nier que la rentabilité des activités des firmes sur le territoire français s'est détériorée depuis 2008. La question est plutôt de savoir si l'ajustement doit peser sur les salariés ou si cette conjoncture signale l'impératif d'un changement de cadre socioéconomique :  sans remise en cause des règles monétaires, budgétaires et concurrentielles de l'Union économique et monétaire, sans restauration de la souveraineté fiscale contre les riches fraudeurs et les manipulations des multinationales, sans encadrement du commerce international, sans contrôle de la circulation des capitaux, il ne peut y avoir de sortie de crise favorable aux salariés. Si elle accepte les règles du jeu, la gauche au pouvoir et ses conseillers ne peuvent que dessiner une politique de droite, c'est-à-dire une politique de classe visant à restaurer la rentabilité du capital en dépossédant les travailleurs de leurs droits et de leurs salaires. 

 

La seconde idée avancée par la commission commence à sérieusement sentir le moisi à force d'être ressassée : il faut réduire la dette au plus vite. Certes les taux sont à des niveaux extrêmement faibles mais, surtout, ne relâchons pas l'effort ! Nul n'est à l’abri d'une nouvelle panique des marchés ; une rumeur affolante et quelques clics pourraient déclencher une envolée des taux qui remettrait en cause la salutaire entreprise d'assainissement en cours. De plus, un tel niveau de dette aurait un effet d'éviction sur l'investissement privé. Les subtils analystes bruxellois n'ont visiblement pas saisi que la causalité est inverse : c'est le côté désespéré de la situation qui pousse les taux vers le bas et bloque l'investissement. Les détenteurs d'actifs financiers voyant tous les indicateurs au rouge gardent leur cash et cherchent désespérément des placements sûrs, or, dans cette catégorie, les bons du Trésor de la 5è économie mondiale représentent une option séduisante. Et cela d'autant plus qu'il est désormais clair que la BCE interviendra « autant que nécessaire » si une phase traumatique maximale menaçait le cœur de la zone euro ; les bons du Trésor français disposent de fait d'une garantie illimitée, au même titre que ceux des États-Unis, du Japon ou de la Grande-Bretagne. Mais ni baisse des taux, ni sérieux coup de canif dans la crédibilité des études censées démontrer le péril qu'il y a à franchir la barre des 90 % de dette publique (1), ne semblent changer la donne. En dépit de son inanité, l'objectif de réduction de la dette à court terme n'est toujours pas abandonné. Tout juste s'agite-t-on un peu plus autour de l'équation insoluble : comment ne pas changer la récession en dépression tout en réduisant les déficits ?


(1) Les Échos, « Comment Thomas Herndon, 28 ans, a mis à jour les failles de l’étude Rogoff/Reinhart », 20 avril 2013, http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0202718501853-comment-thomas-herndon-28-ans-a-mis-a-jour-les-failles-de-l-etude-rogoff-reinhart-560109.php


Jean Pisani-Ferry, fondateur du think-tank bruxellois Bruegel, a été nommé le 24 avril à la tête du Commissariat général à la prospective auprès du Premier-Ministre. Voici ce qu'il susurre à ce propos à Jean-Marc Ayrault : identifier les gisements d'efficacité dans la sphère publique, abandonner les politiques dont le rapport coût-bénéfices est trop élevé, mettre en place des mesures propres à équilibrer les régimes des retraites, fixer pour l'assurance-maladie et le chômage des règles permettant d'équilibrer les budgets sur le cycle, mener des réformes fiscales qui apporteront des ressources sans décourager l'activité (1). La vague idée d'abandonner les politiques trop coûteuses par rapport à leur effets est difficilement contestable dans son principe général : on pourrait même imaginer de supprimer les exonérations de cotisations sociales dont les effets positifs sur l'emploi restent pour le moins peu probants ou encore d'éliminer le crédit impôt recherche qui coûte des milliards à l'État sans n'avoir en rien fait décoller l'innovation. Pour le reste, la traduction concrète de ces propositions pour les salariés ne fait aucun doute: intensification du travail des fonctionnaires et dégradation de la qualité des services publics ; baisse du salaire indirect (retraites, remboursements médicaux, indemnités chômage) ; hausse des impôts injuste, puisqu'il ne faut pas décourager les entrepreneurs (ou tenter les fraudeurs peut-être?). Comme pour les politiques de déflation salariale, une telle orientation budgétaire ne peut que faire plonger la demande et aggraver davantage la  situation.  La voie du redressement austéritaire dans l'injustice n'existe pas.
 
En fin de compte, le nouveau chien de garde qui veille sur la politique économique du gouvernement voit juste. Dans son premier avis [(2) :http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Premier-avis-du-Haut-Conseil-des-finances-publiques , le Haut conseil des finances publiques avertit : « un léger recul du PIB en 2013 et une croissance sensiblement inférieure à 1,2 % en 2014 ne peuvent être exclus » ; « la prévision d'une croissance effective de 2 % par an dès l'année 2015 est incertaine ». En des termes plus directs on dirait : au secours ! on coule ! Mais restons calmes, le président garde le cap... 
 
 
Cédric Durand est économiste à l'université Paris 13



(1) Jean Pisani-Ferry, « La voie étroite de l'intelligence budgétaire », 23 avril 2013, Bruegel,  
(2) Haut conseil des finances publiques, Avis n° HCFP'2013-01 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2013 à 2017, 15 avril 2013
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