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16 mai 2013

Romuald, un an après : son changement c’est maintenant

 

Sur le CRI DU PEUPLE

Romuald se réveille avec la langue pâteuse, la bouche qui exhale une odeur lourde et un peu écœurante, des coups de marteau sous le crâne. Des coups en rythme, un peu comme quand il est à l’usine, sa petite usine de métallurgie. Il jette un œil hagard autour de lui. A côté, une forme incrustée dans le matelas laisse à penser qu’il n’a pas dormi seul. Il ouvre les yeux, la douleur dans sa tête s’accroît. Sa femme, bien sûr… Quelle heure est-il ? Un regard au radio réveil et ses cristaux liquides rouges : 8h17. Mais à quoi bon ?

Romuald se sent seul

Ce matin, Romuald n’ira pas à l’usine. Sa boîte, celle où il est rentré à 21 ans, BTS en automatisme industriel en poche, le service militaire fini, a fermé. Le tribunal de commerce a ordonné la liquidation, il n’y a pas eu de repreneur. Le projet de SCOP déposé par le Comité d’entreprise et le syndicat – pas un syndicat de rouge, hein ! des gens sérieux, bordel ! – n’a même pas été ouvert. Hier soir, avant d’ouvrir la première canette de bière, Romuald et ses copains ont pris connaissance de la date à laquelle le matériel de l’usine serait mis en vente. C’a donné un sale goût à la mousse, raison de plus pour l’avaler vite.

Le quadragénaire se lève, son crâne le lance plus encore, il avance péniblement vers les toilettes, y rentre, lève l’abattant, vomit. Sa gerbe est rose, blanche et orange. Ses couleurs. Il vomit longtemps et ça lui arrache des larmes de souffrance. La dernière fois qu’il a bu autant, ça doit remonter à l’armée, pour tuer le temps. La veille, il a bu pour tuer son cerveau, ces foutues questions qui tournent en boucle.

usine fermée

La journée avait mal commencé : quatre heures au commissariat de la ville voisine, celle où ses deux gosses vont l’un au collège l’autre au lycée. La grande va sûrement pouvoir passer en classe préparatoire aux grandes écoles l’an prochain, vus ses résultats scolaires. Enfin, si la banque accorde un prêt à la femme de Romuald. Pour lui, désormais à plein temps à Pôle Emploi, ça va être coton. Bref, la veille à 7h30, la sonnette, la voiture tricolore, les deux types en uniforme à la porte, le ton poli mais ferme, le trajet sur les petites routes qu’il connaît par cœur, la descente dans les bureaux encadré par les deux policiers. De manière inconsciente, Romuald a croisé les mains dans le dos.

Le délégué syndical CFDT qu’il est a été questionné longuement. Cette fameuse affaire remonte à trois mois en arrière. Avec les copains, il a occupé le comité d’entreprise qui virait à l’aigre, séquestrant quelques heures trois directeurs. Rien de grave. La soirée s’est conclue avec quelques bouteilles de vin sorties de la cave du syndicat, des blagues de mecs, le directeur financier qui jette un œil au plan de reprise dans le cadre d’une SCOP et se déclare impressionné par le sérieux du boulot effectué. Quelques coups de téléphone avec les représentants de l’actionnaire allemand plus tard, les trois huiles sont rentrées chez elles, sourires et franches poignées de main.

Romuald a signé la pétition contre la fermeture de PSA Aulnay

Le lendemain, racontant cette histoire aux camarades de la section du parti à laquelle il est fier adhérant depuis 25 ans à présent, il s’est fait applaudir tel un héros. Le maire de la ville s’est engagé à glisser un mot à « Arnaud », pour sauver la boîte. Puis il y a le projet de loi Florange sur la reprise des sites rentables. Romuald a souri, sûr de son coup, confiant dans son bon droit. C’est ça la bonne méthode : la négociation, un coup de menton de temps en temps – rares pour qu’ils portent plus -, la raison quoi. Rien à voir avec ces fous furieux de la CGT. De toutes les façons, il n’y en a plus dans la boîte. Romuald, qui a voté la motion majoritaire lors du précédent congrès, assume que la social-démocratie, y a que ça de vrai. Y a que ça qui marche. Il est fier d’avoir fait campagne pour François Hollande dès le 1er tour.

Hier matin, à midi, les deux policiers lui ont lu les motifs d’inculpation : séquestration, mise en danger de la vie d’autrui, violences en réunion, avec deux justificatifs d’interruption temporaire de travail. Romuald est tombé de l’arbre. Il a voulu nier, les pandores ont clos la discussion rapidement. Le délégué syndical est reparti libre. Au local syndical, il a appris que deux autres camarades aussi ont été inculpés : le secrétaire du Comité d’entreprise et le délégué syndical central.

Francois Hollande dans Paris Match

Il est 8h39 ce matin. Romuald fait couler le café. Bonheur d’être au plus loin du bureau de poste, le facteur commence sa tournée par son pavillon à l’écart du village : le courrier est déjà dans sa boîte à lettres. Il fait le tri sommaire. Une lettre de la mission d’accompagnement l’informe qu’un emploi est disponible pour lui. La première offre en huit mois. Opérateur de maintenance à 45 kilomètres de chez lui. Rapide calcul : 380 euros de perte de salaire nette mensuelle.

Il dépouille à présent son courrier électronique. La confédération. La lettre est bien mise en page, tambours et trompettes pour expliquer l’Accord national interprofessionnel voté par le Parlement, grande victoire. Par la force de l’habitude, le café et le comprimé d’aspirine aidant, il décrypte. En fait, dès que la loi sera appliquée, la proposition de voir son salaire réduit de 20 %, il ne pourra même pas la refuser sauf à perdre ses droits d’indemnisation du chômage.

Graphisme Naz Oke

Un hoquet secoue ses entrailles encore fragiles. Il allume la télé. Gros plan sur les discussions qui viennent de commencer sur la réforme – indispensable, évidemment – des retraites. Le patron de la conf ne s’oppose pas clairement au recul de l’âge de départ à 65 ans… Sur la table basse, un tract : « Le changement c’est maintenant ». Une larme coule sur la joue de Romuald.

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