Rencontre : Le Venezuela après CHAVEZ.
Il est 18 heures ce mercredi 29 mai. La salle de l'Agora d'Aubagne se remplit peu à peu. Une cinquantaine de personnes a répondu à l'invitation du Front-de-Gauche d'Aubagne pour rencontrer une délégation Vénézuelienne venue discuter sur la situation du Venezuela aujourd'hui.
Nous accueillons donc avec beaucoup de plaisir Cathy CEIBE journaliste à l'Humanité, Maurice LEMOINE, journaliste au Monde Diplomatique et écrivain, et enfin Ernesto S, de l'ambassade du Venezuela à Paris.
Les questions sont nombreuses et portent sur la situation au Vénézuela avant CHAVEZ, sur la délinquance à CARACAS, sur la faiblesse du score obtenu par Nicolas MADURO et les risques de retour de la droite, les rapports avec la Libye et l’Iran, les syndicats, l'état d'esprit de la population aujourd'hui etc.
Ernesto ouvre le débat. Je joins à ce billet quatre vidéos d'une dizaine de minutes. Comme nous ne sommes pas journalistes, au Front-de-Gauche Aubagne, les amis et moi avons noté et filmé comme nous le pouvions ; je vous livre ci-dessous les principales idées et explications qui sont ressorties de ce moment exceptionnel.
Avant CHAVEZ, le Vénézuela était un bon élève du libéralisme radical de Milton FRIEDMAN de l’école de Chicago. École qui a inspiré REAGAN et THATCHER : selon elle, le problème, ce serait l’État et son action ; le marché résoudrait tous les problèmes économiques. En opposition à la doctrine de Keynes qui, lui, avait tiré les leçons de la crise économique mondiale de 1929. Pour relancer la croissance du pays en crise, les gouvernements de l’époque appliquent les politiques recommandées par le FMI, dites "consensus de Washington" c'est-à-dire : déréglementations, dérégulations, privatisations, coupes dans les programmes sociaux, suppression du contrôle des prix sur les biens de première nécessité, et dérégulation des échanges monétaires.
Ce qui permettra aux investisseurs étrangers de prendre des positions dans l’industrie du pétrole, nationalisée depuis les années 1970. Cependant, le démantèlement des programmes sociaux et le retrait de l’État de son activité régulatrice de l’économie provoquent une flambée de l’extrême pauvreté (qui double), de la criminalité et de la prostitution. Des émeutes de la faim éclatent en février 1989 et l’armée est chargée de la répression. Il y eut plus de 2000 morts. En même temps, les mesures d’austérité, en restreignant la consommation intérieure, font progresser la dette publique.
Contre cette politique anti-sociale, un officier de l’armée, le commandant Hugo CHAVEZ, tente en 1992 un coup d’État militaire prenant fait et cause pour la population pauvre et contre l’organisation oligarchique de l’économie. Sa tentative échouera mais aura un impact profond dans la vie politique du pays. Le président Rafael CALDERA fera sensation en déclarant peu de temps après l’échec de CHAVEZ, lors d’un discours au Parlement : "Nous ne pouvons pas demander au peuple affamé de se sacrifier pour une démocratie qui n’a pas été capable de lui donner de quoi se nourrir." Devenu président en 1993 sur une campagne de réconciliation nationale, CALDERA fera libérer de prison le commandant CHAVEZ. La popularité acquise par CHAVEZ et sa campagne lui permettront de gagner l’élection présidentielle suivante en 1998.
Démocratie
Après avoir succédé à l’alternance sociale démocrate et droite au pouvoir au Venezuela avant 1998, les 14 années de mandat chaviste ont été confirmées par 16 élections qu’il a toutes gagnées sauf une. L’ancien président CARTER a dit du système électoral de ce pays qu’il était le meilleur du monde. Toutes les élections se sont déroulées en présence d’observateurs étrangers qui n’ont rien trouvé à redire.
Comment, avec toutes ces acquisitions positives pour le peuple vénézuelien, nos médias français ont-ils pu tranquillement traiter CHAVEZ de dictateur?
La réponse est simple, les grands capitalistes internationaux ont la haine contre les vrais démocrates et les succès de certaines expériences démocratiques !
Le président CHAVEZ a été destitué par un coup d’État fomenté par les USA et la droite vénézuelienne (avec le patron des patrons à sa tête) le 11avril 2002. La mobilisation populaire contre le « Golpe » les jours suivants a été telle qu’au bout de quelques jours, il était réinstallé président et les putchistes étaient en déroute. En Amérique du Sud, les coups d’état de droite au Chili, en 1973, Honduras et Paraguay plus récemment, ont eux réussi. Le silence de certains «démocrates » européens est assourdissant.
La droite vénézuelienne a la stratégie suivante : participation en principe aux élections (sauf une), approbation des résultats s’ils lui sont favorables, refus de reconnaître les résultats s’ils sont défavorables et tapage médiatique de protestation dans ce dernier cas. Elle est aidée par tous les gouvernements sociaux démocrates ou de droite dans le monde. A noter que la presse contrôlée par la droite vénézuelienne est importante : plus du tiers actuellement après avoir été hégémonique avant 1998.
Economie et social
Grâce aux nationalisations et à la réforme agraire effectuées, les richesses du pays ont été redistribuées. Les pauvres qui étaient plus de 50% avant l’ère CHAVEZ ne représentent plus que 25% de la population vénézuelienne en 2012. Réduction importante du nombre de bidonvilles à Caracas et construction de 300 000 logements sociaux.Tous les ans, le salaire minimum est systématiquement augmenté. L’inflation qui était de 300% avant 1998 est de l’ordre de 30 % aujourd’hui.
Education et santé
Gratuits pour les pauvres. Le Venezuela a bénéficié des échanges économiques avec Cuba, médecins contre fourniture de pétrole. Des missions ont eu de bons résultats (opération de la cataracte, etc )
Délinquance
Ernesto reconnaît une certaine naïveté des chavistes qui pensaient la supprimer avec la pauvreté. Mais le narcotrafic (2500 kms de frontière commune avec la Colombie) a permis son maintien à un niveau élevé. (Maurice LEMOINE nous démontre que le nombre de morts violentes est trois fois moindre qu’avant Chavez mais que le chiffre reste important). La pauvreté, malheureusement, reste présente. La police nationale n’existait pas avant 1998 et il y avait une multitude de polices locales avec des policiers sans formation. 20% de la délinquance provenait des policiers eux-mêmes...
Iran et Libye
Ernesto nous rappelle que le Vénézuela a été l’un des membres fondateurs de l’OPEP (Organisation des Pays Producteurs de Pétrole) charte signée à Caracas en 1961. Il ne faut donc pas s’étonner des liens du Vénézuela avec ces pays. (N’oublions pas par contre l’accueil qui a été fait à l’Elysée par Sarkozy à Khadafi et à Bachar al Assad !)
Risque de retour de la droite
Malgré un bilan remarquable, le pouvoir bolivarien est toujours haï par la droite qui n’a rien gagné avec la politique d’égalité du Commandante. L’élite avait déjà les moyens de se soigner et de s’instruire ! Elle ne s’avouera jamais vaincue et toutes les tentatives de déstabilisation possibles sont faites : pénuries alimentaires, organisation de boycotts, grèves politiques. Les acquis bolivariens sont devenus naturels et le peuple malgré une politisation importante ne se rappelle pas toujours qui est à l’origine de ceux–ci. (Cf en France les acquis du C.N.R. complètement oubliés par la plupart des citoyens)
Nicolas MADURO, successeur de Chavez, n’a pas (encore) la cote d’amour du Commandante, ce qui explique sa victoire serrée ; le Commandante faisait partie de la famille pour plus de la moitié de ses compatriotes. Orateur remarquable, pédagogue et humoriste, il était capable de garder en haleine des heures son public ! L’Histoire montrera que le promoteur du socialisme bolivarien du 21°siècle était un grand homme politique. Sa mémoire et son œuvre ne sont pas prêtes de s’effacer dans la tête des sud américains (création de l’ALBA, le « sucre » monnaie d’échange commune, etc.)
Faisons confiance à Nicolas MADURO, méprisé par l’ancienne oligarchie vénézuelienne parce qu’ancien chauffeur de bus, pour tisser des relations de proximité avec son peuple. MADURO compte sillonner les 23 états du pays au commandes d’un bus pour aller au contact de la population.
Les commissions mises en place par le gouvernement bolivarien vont continuer leur travail social en dépit de la droite : l’avenir du pays en dépend.