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11 juillet 2013

H. FALCIANI - «Tout a été fait pour étouffer l’affaire des évadés fiscaux HSBC»

 Sur LIBERATION

 

11 juillet 2013 à 07:30
Hervé Falciani, l'ex-employé de la filiale suisse de la banque HSBC qui a diffusé la liste de fraudeurs présumés.
Hervé Falciani, l'ex-employé de la filiale suisse de la banque HSBC qui a diffusé la liste de fraudeurs présumés. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)

 

Interview exclusive En 2008, il avait fui la Suisse avec les noms de plusieurs milliers d'évadés fiscaux français. Cinq ans plus tard, alors que la lutte contre la fraude se retrouve au premier plan, Hervé Falciani raconte et accuse.

Hervé Falciani, ancien salarié de la Hong Kong and Shangaï Bank (HSBC) à Genève, est très demandé. Après l’Espagne et l’Italie, il vient d’être auditionné à plusieurs reprises en France : deux fois à l’Assemblée nationale, quatre fois devant le juge Van Ruymbeke. En 2008, il avait fui la Suisse pour la France, avec des fichiers bancaires dérobés à son employeur. Parmi ceux-ci, les noms de plusieurs milliers d'évadés fiscaux français, une liste dont le fisc avait fait bon usage en récupérant près de 1,2 milliard d'euros auprès des intéressés. Hervé Falciani aimerait pourtant que ses fichiers ne servent pas seulement à lister des noms de fraudeurs ou évadés fiscaux, mais plutôt à lutter plus efficacement contre la finance offshore. Interview.

 

 

Quel est votre statut actuel ?

Je suis toujours poursuivi pour violation du secret bancaire par la justice suisse. J’ai été entendu quatre fois par Renaud Van Ruymbeke, juge d’instruction à Paris. Depuis le refus de la justice espagnole de m’extrader vers la Suisse, je réside en France sous protection policière. Nous entrons désormais dans une nouvelle phase, où il ne sera plus seulement question de lister des noms, mais d’aller au cœur des mécanismes de l’évasion fiscale. Mais tout aura été fait pour entraver, voire étouffer l’affaire.

Témoignant en votre faveur à Madrid, le procureur Eric de Montgolfier avait mis en cause la chancellerie, qui avait refusé de saisir Eurojus afin que la traque fiscale soit coordonnée à l’échelon européen...

J’ai été témoin de réunions avec le procureur Eric de Montgolfier. Les Suisses exigeaient alors la restitution des scellés (les fichiers HSBC copiés par Falciani, ndlr). Le procureur était d’accord pour leur envoyer une copie, mais certainement pas les rendre comme si de rien n’était. Est venu un ordre de Michèle Alliot-Marie : il faut les restituer. Le procureur Eric de Montgolfier était abasourdi, il n’y croyait pas : «Je les garderai dans mon coffre.» J’ai trouvé son attitude admirable. Dès lors, MAM s’est contentée de l’envoi d’une copie en Suisse. Au minimum, elle a essayé d’entraver l’enquête.

Vous en voulez aussi à Eric Woerth ?

Quand il était ministre du Budget, on s’est focalisé sur une liste de noms, en évitant d’aller plus loin sur les mécanismes de l’évasion fiscale, en stoppant les enquêtes plus générales. Woerth a brandi son listing de 3 000 noms, puis expliqué devant les députés qu’il provenait de fichiers volés! C’est inimaginable de la part d’un responsable en charge du dossier (la Cour de cassation annulera plus tard certaines procédures fiscales en reprenant l’argument, ndlr). Un agent du fisc m’a alors prévenu: «On va tout foutre à la poubelle, les fichiers vont être déclarés volés.» Je me pince : d’une main ils feignent de lutter contre l’évasion fiscale et de l’autre ils freinent des quatre fers!

Dans la foulée, votre nom est jeté en pâture..

Cette divulgation ne pouvait qu’entraver l’enquête alors en cours. On m’a très vite demandé de stopper toute collaboration, alors qu’on n’avait pas abordé le fond du problème. L’explication du système s’est arrêtée aux balbutiements. On s’est alors limité à quelques clients particuliers déjà condamnés ou fichés au STIC. Ce n’est pas cohérent : l’objectif aurait dû être non pas d’identifier ceux qui le sont déjà mais aussi de dissuader les tentations.

C’est alors que vous partez en Espagne.

Je savais que je me retrouverai en prison, car je faisais l’objet d’un mandat d’arrêt international. Mais j’ai choisi l’Espagne car c’est le pays le mieux outillé pour lutter contre la corruption, avec la possibilité d’y faire du bruit. Emilio Bottin, à la tête de la plus puissante banque européenne, Santander, a ainsi été redressé de 200 millions d’euros.

Parallèlement, d’autres pays ont fait appel à vous?

Mi-2009, j’ai été en contact avec la justice italienne, qui avait reçu de France une liste partielle de 8 000 clients. On a entamé une démarche scientifique pour aller au-delà, révéler les prête-noms, travailler sur l’ensemble des données. Mais les Italiens n’ont pas pu récupérer le tout. Je n’ai donc pas pu les aider comme j’aurai voulu, nos contacts ont cessé mi-2011. En juin 2012, peu avant de me rendre en Espagne, j’ai été en contact avec les autorités américaines : un procureur s’est déplacé personnellement à Paris, en présence d’un magistrat français. Mais j’ai vite compris que les Américains se méfiaient des Français, qu’ils prennent pour des alliés des Suisses… Je veux rappeler que dans l’héritage de Nicolas Sarkozy, il y a le fait que Panama soit sorti de la liste noire des paradis fiscaux. Ce n’est pas anodin car tout l’immobilier louche se retrouve là-bas. Sarkozy a fait obstruction sur le plus grand dossier fiscal de l’histoire, il est le premier président à bénéficier d’autant de données et n’en a rien fait. Sauf à consolider une des places financières les plus toxiques par son opacité.

Le changement de majorité vous a-t-il redonné espoir ?

En février 2012, sentant venir les élections françaises, les Suisses m’ont invité à venir les voir sous sauf-conduit. Deux procureurs m’ont alors proposé : "vous reconnaissez une partie des faits, vous serez condamné avec sursis et on tirera un trait". HSBC était évidemment d’accord. Je leur ai dit que j’allais réfléchir pour gagner du temps. Après l’élection de François Hollande, Jérôme Cahuzac est nommé au Budget. Je me dis tout de suite : cela ne va pas encore être le bon moment… Quand il présidait la Commission des Finances, j’avais essayé d’établir le lien en proposant toutes sortes de rendez-vous. A défaut d’être formellement auditionné, qu’il prenne au moins quelques éléments en off – je me suis ainsi retrouvé à attendre dans un café près de l’Assemblée. Rien. Arnaud Montebourg, qui lui m’avait entendu, est intervenu auprès de Cahuzac. En vain.

Avec Renaud Van Ruymbeke, de quoi parlez-vous?

Avec lui, il n’est pas question directement d’informatique. Son enquête porte sur les mécanismes financiers. Mais la finance, dans sa chair, est adossée à un système informatique complexe. Nous abordons des sujets en lien avec les trous noirs du système HSBC.

Comment avez-vous récupéré les fichiers HSBC?

Je ne suis pas, à la base, un technicien informatique. Je suis analyste et architecte. Dans ce rôle, je n’ai jamais eu accès aux informations sensibles. Elles m’ont été transmises pour que je valide leur consistance et leur fiabilité. Il y a ceux qui dessinent le système comme moi, et d’autres qui interviennent sur le système.

A part extraire des noms, en quoi peuvent-ils aider les enquêteurs?

Chaque banque a un département des projets stratégiques. J’étais chargé de valider techniquement ceux de HSBC, je pouvais connaître tout le système nerveux. Et je peux dire qu’il ne sert pas à rendre les opérations plus sûres, plus fiables, mais à s’adapter en anticipant les évolutions réglementaires. Les gens ne comprennent pas toujours l’enjeu : mon parcours me permet de mettre à jour des mécanismes, donnant, de ce que je comprends, pour la première fois, aux pouvoirs publics des instruments efficaces face à l’opacité. Il ne faut plus se plaindre de l’évasion fiscale mais agir avant qu’il ne soit trop tard. Pour combattre ou dissuader les fraudeurs, il faut l’expérience de ceux qui viennent de l’autre côté du rideau. La guerre se fait aussi avec le renseignement : HSBC a recruté l’ancien n°1 du contre-espionnage britannique.

De quoi vivez-vous aujourd'hui ?

J’ai un boulot privé, comme chercheur et analyste de données pour la détection d’événements anormaux. Des maths appliquées. Mon employeur m’a remercié de ne pas le nommer. Ma femme a perdu son emploi après avoir témoigné sur France Télévisions : les banques sont si puissantes qu’elles peuvent tenir le moindre petit employeur, voilà où est le vrai pouvoir aujourd’hui. Je me déplace à mes frais à chaque audition ou convocation. Aujourd’hui, j’aspire, et je pense que cela va être possible, à retrouver de la tranquillité pour moi et ma famille. Les dommages collatéraux ont été lourds ces dernières années, je le mesure aujourd’hui. J’espère pouvoir trouver une place pérenne pour poursuivre ma collaboration avec les pouvoirs publics. Très sincèrement, cela ne serait pas volé.

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