La jardinière qui voulait protéger nos semences
Sur TOUR DE FRANCE DES ALTERNATIVES
Nathanaelle est entrée en résistance. Son combat, elle le mène binette à la main du fond de son jardin, à Neuvy-deux-clochers, village de 400 habitants dans le Sancerrois. La jardinière s’insurge contre la standardisation des légumes et la prolifération de variétés dégénérescentes (qui ne peuvent pas être replantées d’une année sur l’autre) mises en vente par les multinationales comme Monsanto ou Syngenta.
Mais elle ne se contente pas de protester contre les dégâts causés par les géants de l’agro-industrie sur la biodiversité. « Je ne me bas pas contre Monsanto. Je me bas pour un monde différent de celui qu’il nous propose », assène-t-elle. Pour donner corps à son engagement, elle a créé il y a 1 an et demi l’association « Potage & Gourmands », dont l’objectif est de « cultiver et préserver des légumes de variétés anciennes et reproductibles ».
Alors, dans son demi hectare de terrain, elle fait pousser plus de 250 variétés, dont 90 tomates différentes, qu’elle donne, échange, ou vend à des jardiniers amateurs. « Des rouges, des noires, des jaunes, des blanches » venues de tous les continents. Rien à voir avec les « tomates parfaitement rondes et rouges, mais sans goût » qui s’entassent dans nos supermarchés. Une initiative louable quand on sait que 75% de notre patrimoine génétique alimentaire a disparu au siècle dernier. Sauf que celle-ci fait de Nathanaelle une hors-la-loi.
Des semences hors-la-loi
En effet, seules les semences répertoriées au catalogue officiel peuvent être légalement commercialisées. « Qui a le droit de nous dire ce qu’on peut planter ? Personne », s’indigne-t-elle. Et pourtant… En vertu de réglementations européennes, des milliers de variétés potagères, notamment anciennes, sont considérées illégales tant qu’elles ne sont pas certifiées par un Service officiel de contrôle et de certification (SOC). En France, c’est le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS) qui délivre les précieux sésames.
Au nom de la « qualité sanitaire », cet organisme chapeauté par le ministère de l’Agriculture mais composé de professionnels de de la semence autorise la vente d’espèces dégénératives gourmandes en pesticides… mais recale des variétés centenaires qui peuvent être replantées d’année en année. Ainsi, l’association Kokopelli a été condamnée à deux reprises pour avoir commercialisé des semences non-inscrites au catalogue (voir ici et ici). Ces décisions ont donné « encore plus de sens à ce que je fais », estime Nathanaelle.
Un acte politique
Ainsi, pour cette ancienne citadine, la passion des tomates est devenu un « acte politique ». Et elle assure que cette forme de « contestation créatrice », en plus de participer à notre autonomie alimentaire, procure bien-être et plaisir. « C’est un vrai bonheur de se remplir la panse avec des légumes qu’on a fait pousser nous-mêmes », s’enthousiasme-t-elle.
En plus de ces activités de vente de graines, cette sancerroise d’adoption ouvre donc son jardin à tous ceux qui le désirent, et notamment aux enfants qu’elle accueille pendant des animations. « Ce sont les premiers concernés par mon activité. Car si je veux conserver les graines, c’est pour eux. Je veux transmettre un savoir et les sensibiliser aux rythmes de la nature », explique-t-elle. Et pour convaincre les jeunes et leurs parents, elle refuse les discours moralisateurs et compte sur notre attrait pour les choses simples. « Tout le monde aime le beau et le bon », croit-elle savoir.
Celle qui après 7 ans de semis se considère toujours comme une « jardinière débutante » jure que « jamais quelque chose ne [l]‘a autant fait grandir. Travailler deux heures dans son jardin permet de se vider la tête, d’entretenir le corps et l’esprit ». Un bonheur émancipateur qu’elle estime être à la portée de tous : « il y a des jardins et des espaces publics en ville, il suffit de se les réapproprier comme le font les Incroyables comestibles, en mettant des bacs à légumes au pied des immeubles. Celui qui veut un retour à la terre l’aura. Ce n’est qu’une question de volonté ».
Emmanuel Daniel
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