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27 juillet 2013

« Les inégalités de revenus augmentent dans les pays de l’OCDE », entretien avec Maxime Ladaique de l’OCDE

Sur OECD

 


le 23 juillet 2013

L’OCDE vient de publier une étude qui montre l’impact des premières années de la crise économique (de 2007 à 2010) sur la distribution des revenus des personnes dans les pays de l’OCDE.



Quels enseignements peut-on tirer de cette étude en matière d’évolution des inégalités au niveau international ?

Il est tout d’abord utile de rappeler le niveau des inégalités et ses tendances avant la crise. La précédente étude de l’OCDE « Toujours plus d’inégalité : pourquoi les écarts de revenus se creusent » publiée en 2011 [1] montrait que l’écart entre les riches et les pauvres s’était accru dans une vaste majorité des pays de l’OCDE au cours des deux décennies avant la crise – c’est-à-dire entre le milieu des années 1980 et 2007 – et l’arrivée de la crise économique. Les inégalités de revenus avaient donc atteint un niveau record dans la plupart des pays de l’OCDE en 2007. Avant la crise, en moyenne, le revenu moyen des 10 % les plus riches représentait environ neuf fois celui des 10 % les plus pauvres. Cet écart était de 8 dans les années 90, et de 7 dans les années 80.

Lors des trois premières années de la crise, entre 2007 et 2010, cet écart est passé de 9 à 9,5. Il est le plus faible à 5, au Danemark et dans d’autres pays d’Europe du Nord et de l’Est, et il est le plus élevé au Mexique et au Chili : entre 25 et 30. L’écart en France est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE, il est désormais à 7,2.

Quelles sont les populations les plus touchées ?

Dans un premier temps, dans deux tiers des pays de l’OCDE, ce sont les ménages les plus pauvres qui ont vu leur revenu diminuer davantage ou moins progresser que celui des plus riches. Entre 2007 et 2010, le revenu disponible réel moyen des ménages a stagné en moyenne. De la même manière, le revenu des 10 % les plus aisés a stagné. Par contre, le revenu des 10 % les plus pauvres a baissé de 2 % en moyenne. Les plus aisés et les classes moyennes ont donc globalement moins souffert que les plus pauvres les trois premières années de la crise.

C’est aussi chez les jeunes et les enfants que la pauvreté monétaire a le plus augmenté entre 2007 et 2010, confirmant les tendances du passé récent : les jeunes adultes et les enfants remplacent peu à peu les personnes âgées en tant que groupe courant le plus grand risque de pauvreté de revenu dans les pays de l’OCDE. Entre 2007 et 2010, le pourcentage d’enfants vivant dans des ménages avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté de la moitié du revenu médian est passé de 12,8 à 13,4 %, et de 12,2 à 13,8 % chez les jeunes de 18 à 25 ans dans les pays de l’OCDE. Dans le même temps, la pauvreté de revenu relative a reculé chez les personnes âgées, passant de 15,1 à 12,5 %. Cette situation reflète le fait que dans de nombreux pays, les retraites ont été globalement épargnées par les mesures d’assainissement budgétaires, tout du moins jusqu’en 2010.

Pour la France : les inégalités de revenus augmentent-elles seulement depuis 2008 ? Un certain nombre d’éléments montrent que cela date d’avant...

Contrairement à la plupart des autres pays de l’OCDE, les inégalités de revenus sont restées globalement stables en France entre les années 90 et jusqu’au milieu des années 2000. Elles ont légèrement augmenté à partir de 2005, et les données récentes montrent une augmentation plus notable des inégalités en 2010 : entre 2008 et 2010, le niveau de vie des 10 % les plus pauvres a baissé de 250 euros alors que le niveau de vie des 10 % les plus riches a augmenté de 1 700 euros.

Par ailleurs, en 2010, le niveau de vie moyen des 10 % des Français les plus riches était d’environ 61 800 €, soit 7,2 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres avec un niveau de vie de 8 600 €. Cela se compare à un ratio de 6,6 en 2005, et entre 6 et 6,5 dans les années 80 et 90.

Quelles sont les principales causes de cette remontée des inégalités dans les pays riches ?

Cette nouvelle étude montre ce qui s’est passé entre 2007 et 2010, où l’observe que les revenus du travail et du capital ont considérablement chuté en moyenne de 2 % par an – notamment en Islande, Grèce, Mexique, Espagne et Irlande à plus de 5 % par an – et ce à cause de la crise de l’emploi et de la montée du chômage. On observe également dans la plupart des pays de l’OCDE une augmentation considérable de l’inégalité de ces revenus du travail et du capital durant cette première phase de la crise entre 2007 et 2010 – autant au cours des trois dernières années (entre 2007 et 2010) que pendant les douze années précédentes – notamment dans les mêmes pays où ces revenus ont chuté (Irlande, Espagne, Grèce), mais aussi en France.

Nos travaux précédents (OCDE, 2011) ont identifié les principaux facteurs de l’accroissement des inégalités lors des deux décennies ayant précédé la crise financière de 2007. Les inégalités croissantes de salaires et de revenus du travail ont été le principal facteur de creusement de l’écart, car les travailleurs très qualifiés ont davantage tiré parti du progrès technologique que les moins qualifiés. Les réformes visant à stimuler la concurrence et à renforcer la capacité d’adaptation des marchés du travail, favorables par exemple au travail à temps partiel ou à l’aménagement du temps de travail, ont permis d’augmenter le nombre de retours à l’emploi, notamment parmi les femmes et les faibles rémunérations. Mais la progression du temps partiel et des emplois faiblement rémunérés a elle aussi creusé l’écart salarial. D’autre part, l’affaiblissement des institutions du marché du travail, par exemple les syndicats, a aussi contribué à élargir les écarts de salaires. Une autre raison est que le fait que les dispositifs de prélèvements et de prestations sont, depuis le milieu des années 90, devenus moins redistributifs dans plusieurs pays. Enfin, les transformations des familles, avec l’augmentation des familles monoparentales et de l’homogamie (la propension à choisir son partenaire dans la même tranche de revenus : par exemple les médecins épousent de plus en plus un autre médecin plutôt qu’une infirmière) ont, selon nos travaux, eu un impact que très faible.

Dans beaucoup de pays, les écarts s’étaient creusés surtout avec les rémunérations les plus élevées. Aux États-Unis par exemple, la part des revenus des ménages des 1 % les plus riches avait plus que doublé, passant de près de 8 % en 1979 à 18 % en 2007. Cette part a d’ailleurs temporairement légèrement diminué en 2008 et 2009 jusque 17 %, et a commencé à augmenter de nouveau en 2010-2011 à 17,5%.

Quel impact ont les transferts sociaux et la fiscalité ?

Les dispositifs fiscaux et de protection sociale jouent un rôle majeur d’atténuation face aux inégalités nées du marché. Toutefois, ils avaient perdu de leur pouvoir redistributif depuis le milieu des années 90. C’est principalement du côté des prestations sociales qu’il faut en chercher la raison : l’incapacité à aligner la croissance du montant des prestations sociales sur la tendance générale des salaires, le resserrement des critères d’octroi afin de contenir les dépenses de protection sociale ont été autant de facteurs de dégradation des résultats obtenus.

Ceci dit, entre 2007 et 2010, la présence de l’Etat providence par les prestations sociales et impôts a évité que les revenus effectifs des ménages (leur revenu disponible) soient aussi amoindris que les revenus du travail et du capital. Autrement dit, l’Etat providence a contribué à amortir le choc pour les plus pauvres, évitant ainsi que les inégalités ne se dégradent trop pendant les trois premières années de la crise. On estime que la redistribution par les prestations sociales et impôts réduit les inégalités d’un tiers en moyenne pour la population totale des pays de l’OCDE, et d’un quart en excluant les retraites pour la population en âge de travailler. Pour la France, cet effet est supérieur, à 40 % pour la population totale et à un tiers pour la population en âge de travailler, notamment grâce à un niveau élevé de dépenses sociales publiques.

Il faut bien noter que les données disponibles actuellement ne permettent de décrire l’évolution des inégalités de revenus que jusqu’en 2010 seulement, c’est-à-dire les premières années de la crise. Depuis 2010, la reprise économique a été très faible dans un certain nombre de pays de l’OCDE, et quelques-uns sont retombés dans la récession, dont la France. En même temps, beaucoup d’individus ont épuisé leurs droits à des allocations de chômage, et beaucoup de gouvernements ont réorienté leur politique budgétaire au profit de l’assainissement et de la consolidation fiscale. Ceci a mis davantage de pression sur les revenus des ménages et leur distribution. Si la lenteur de la croissance persiste et si les mesures d’assainissement budgétaire sont mises en œuvre, la capacité des systèmes d’impôts et de transferts à alléger les niveaux élevés (et potentiellement croissants) de l’inégalité et de la pauvreté des revenus du travail et du capital, pourrait être remise en question.

Que faire ?

L’OCDE préconise différents grands axes de la politique de lutte contre les fortes inégalités. Le premier défi consiste à stimuler l’emploi, améliorer celui-ci quantitativement et, surtout, qualitativement, permettant à tous d’échapper à la pauvreté et offrant de réelles perspectives de carrière. Investir davantage dans l’éducation et la formation est aussi un chantier crucial. Ces investissements dans les individus doivent débuter dès la prime enfance et se poursuivre au cours de la scolarité. Après l’entrée dans la vie active, les employeurs comme les salariés doivent être suffisamment incités à investir dans les compétences tout au long de la vie professionnelle.

Enfin, la fiscalité joue un rôle redistributif important aussi. Les pouvoirs publics peuvent envisager de relever les taux marginaux d’imposition du revenu pour atteindre directement cet objectif. D’autres mesures pourraient consister à rechercher une meilleure discipline fiscale, à supprimer des allégements fiscaux et à réévaluer le rôle de l’impôt vis-à-vis de l’ensemble des formes de patrimoine.

Un autre instrument important est la fourniture de services publics gratuits de qualité en matière d’éducation, de santé ou d’accueil familial. En moyenne, les gouvernements des pays de l’OCDE dépensent autant (quelque 13 % du PIB) en services publics sociaux qu’en prestations monétaires, et réduisent ainsi les inégalités d’un cinquième environ.

Propos recueillis par Louis Maurin.

Maxime Ladaique est responsable de l’information statistique à la division des politiques sociales à l’OCDE. Il est l’un des auteurs de l’étude « La crise amoindrit les revenus et retentit sur les inégalités et la pauvreté » (Michael Förster, Horacio Levy, Maxime Ladaique, Marco Mira, Nicolas Ruiz - OCDE, 2013). L’étude est aussi disponible en format pdf ci-dessous :

PDF - 1.2 Mo

Pour en savoir plus :
Consulter la base de données de l’OCDE sur la distribution des revenus. Visualiser les données.



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