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Contre les dangers de guerre de l'impérialisme...Peut-on s'allier avec le diable ?

 

Contre les dangers de guerre de l'impérialisme...

 

Peut-on s'allier avec le diable ?

 

Annie Lacroix-Riz

et Domenico Losurdo

répondent

 

Transmis par Marie-Ange Patrizio

 

Chers amis,

Voltaire a publié hier (2 septembre) un article de Marine Le Pen, présidente du Front national :http://www.voltairenet.org/article180037.html

Vous qui avez publié dans Voltaire, n'avez-vous rien à dire à cela ?

Il serait peut-être bon de rappeler à Voltaire Franceii que :

1. les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis

2. Le Pen et son parti sont-ils "républicains" ?

3. Voltaire France dit : "

Réseau Voltaire France enfin rejette toutes discriminations raciales et religieuses, et se refuse à désigner des boucs émissaires qu’il soient traditionnels (juifs, francs-maçons, immigrés) ou nouvellement mis en avant par les médias (musulmans, russes, « rouges-bruns », « conspirationnistes »). " Aucune contradiction avec le fait de publier un article de la Le Pen ?

Lilian Truchon,

3 septembre 2013.

 

REPONSE D'ANNIE LACROIX-RIZ

3 septembre 2013

Cher Lilian,

Je ne suis pas engagée, sur le plan politique, auprès du Réseau Voltaire, pour lequel j’ai écrit naguère tel article historique sur le Vatican auquel je n’ai rien à retrancher.

Que, d’une part, ledit Réseau publie tel discours de Marine Le Pen, actuellement opposée à la guerre contre la Syrie, relève d’un choix éditorial logique, pratiqué à l'égard de tous les opposants à cette nouvelle mouture de la politique de la canonnière au service des grands  groupes pétroliers et gaziers. Que, d’autre part, l’extrême droite, d’ordinaire parti de l’étranger, use tactiquement d’analyses pertinentes de politique étrangère, relève également sa responsabilité. Quand elle dit blanc et que ce qu’elle décrit est blanc, je n’ai pas vocation à le déclarer noir, et inversement.

Même remarque d’ailleurs sur l’intervention extrêmement précise, sur le lien que vous m’envoyez, de l’ancien du GUD Alain Madelin, qui n'est pas non plus mon ami politique : je juge cette intervention excellente. L’intimidation actuellement pratiquée contre tous les opposants aux guerres coloniales, de gauche ou de droite (fasciste déclarée ou « classique ») est insupportable. Je n’y ai jusqu'ici pas cédé et n’ai pas l’intention de commencer.

De même, comme historienne, ai-je souligné, entre autres,

1° la fiabilité des articles de l’Action française sur le vrai motif, allemand, de son excommunication par le Vatican en 1926 (voir Le Vatican, l'Europe et le Reich);

2° la remarquable qualité des archives allemandes, à l’ère nazie, comme avant et après, sachant au surplus que les hauts fonctionnaires rédacteurs des courriers étaient les mêmes;

3° la pertinence des révélations des « collaborationnistes parisiens » sur « le complot de la synarchie » en 1941, etc. Olivier Dard, qui est lui-même, la chose est notoire à l’université, d’extrême droite, parsème ses publications sur « le mythe de la synarchie », dépourvues de sources, de sottises sur la collusion entre communistes et fascistes à propos de ladite synarchie, argument-clé supposé infirmer des révélations absolument fiables à la lecture des sources policières et de justice, et il me classe systématiquement parmi les « conspirationnistes ».

J’ai dit dans mes ouvrages scientifiques sur les années 1930 et 1940 et dans L’histoire contemporaine toujours sous influence ce que je pensais de cette tactique d’intimidation qui ne vise qu’à faire taire l’historiographie qui s’obstine à dépouiller et exploiter les sources originales.

 

Au surplus, mon combat contre le fascisme et le racisme, antisémitisme inclus, est suffisamment connu des milieux progressistes pour qu’aucune personne de bonne foi ne soit impressionnée par  les âneries sur les « rouges bruns » que débitent contre moi, et contre bien d’autres progressistes et anti-impérialistes, les tenants de la politique extérieure américaine et israélienne et de prétendus « anarchistes » qui leur sont étroitement liés. Cette ligne d’intimidation politique a toujours, comme les tentatives d’intimidation académiques, provoqué de ma part une opposition ferme et publique.

 

Dans ces conditions, je ne m’estime en aucun cas habilitée à demander des comptes au Réseau Voltairesur sa décision de faire connaître toutes les prises de position publiques françaises, de quelque bord qu’elles viennent, contre le nouveau projet français de guerre coloniale.

Je ne doute pas, Lilian, que vous comprendrez que je n’ai « rien à dire » en la matière, sauf à constater que l’intimidation à l’extrême droite semble céder du terrain devant l’expérience de la population française et sa meilleure perception des enjeux des guerres conduites par l’impérialisme américain et ses auxiliaires.

J’observe que l’Angleterre « caniche » nous précède franchement à cet égard.

 

Je remercie Domenico, s’il en est d’accord, de me communiquer sa réponse à votre demande.

Amitiés,

Annie

REPONSE DE DOMENICO LOSURDO

4 septembre 2013

1. Vous m’excuserez d’intervenir avec un peu de retard dans le débat auquel j’ai été invité à participer, ayant auparavant dû terminer une intervention sur la guerre contre la Syrie. Je lis aujourd’hui qu’Obama a obtenu le feu vert de la Commission des affaires étrangères du Sénat pour bombarder ce petit pays pendant 60 jours, deux mois qui peuvent même être ensuite prolongés... Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire pour bloquer ou, au moins retenir, limiter, faire obstacle à ce banditisme impérialiste ?

Même le secrétaire général de l’ONU a exprimé des réserves pour cette flagrante violation da la légalité internationale. Certes, au moment de la guerre contre la Libye Ban Ki-moon a pris une attitude bien différente : nous pourrions lui reprocher d’avoir avalisé la guerre coloniale de 2011, non moins infâme que celle qui est en cours aujourd’hui. C’est pourtant un motif d’espoir que le front pro-impérialiste compact d’il y a deux ans soit à présent en train de se désagréger.

En effet, l’Eglise catholique aussi est en train de lancer des signes de nouveauté : le pape François a même annoncé pour samedi prochain (7 septembre) une manifestation contre la guerre Place Saint-Pierre. Bien sûr, il serait facile de rappeler le rôle infâme joué par le Vatican au moment du démembrement de la Yougoslavie. Et sans la dissolution du « camp socialiste » et de l’Union Soviétique, sans cette catastrophe géopolitique à laquelle Jean-Paul II, à l’époque, a donné une contribution de premier plan, il serait difficile d’imaginer la séquelle de guerres coloniales à laquelle nous assistons. Mais le rôle que les communistes doivent avoir aujourd’hui est clair : prendre la tête du mouvement pour la paix afin non pas de montrer leur pureté, mais de faire obstacle le plus possible à la machine de guerre de l’impérialisme ; et seul un mouvement de masse, fut-il bigarré, hétérogène et contradictoire, peut aboutir à ce résultat

Certes, en aucun cas Le Pen II ne sera confondue avec le pape François Ier. Il faut cependant ajouter tout de suite que les communistes ont depuis toujours essayé d’une part d’unir le plus ample front anti-impérialiste, et d’autre part d’isoler, diviser, et morceler l’ennemi impérialiste. Sur ce point Mao Zedong notamment a écrit des pages mémorables qu’il vaudrait la peine de relire. En même temps pourtant, le grand leader révolutionnaire a appelé les communistes à garder fermement leur identité, en développant la lutte idéologique et politique même contre les alliés d’une étape historique déterminée et, plus encore, contre de possibles interlocuteurs d’un moment déterminé. Encourager la prise de position contre la guerre qu’a assumée Marine Le Pen ne signifie pas renoncer à soumettre celle-ci à une critique idéologique et politique serrée.

 

2. La discrimination entre amis et ennemis ne peut être définie qu’à partir de l’analyse des contradictions objectives du moment présent. Au moment de l’éclatement de la première guerre mondiale, Lénine concentrait ses attaques contre le parti socialiste allemand (qui jusque là avait été un point de référence) et exprimait toute sa sympathie pour les cercles chrétiens et pacifistes, qui jusque là avaient été considérés comme la pointe du conservatisme social. Historiquement, le fascisme en général et le nazisme en particulier ont été la tentative de reprendre et radicaliser la tradition coloniale, mise en question par la Révolution d’octobre. L’histoire n’est jamais la répétition du même ; mais si on veut trouver aujourd’hui quelque chose de semblable au fascisme, il faut regarder vers la nouvelle contre-révolution colonialiste qui est partie de la dissolution du « camp socialiste » et de l’Union Soviétique, il faut regarder vers les guerres coloniales qui se succèdent depuis, au moins, 1991. Et, donc, il faut en premier lieu regarder vers la Maison Blanche, sans perdre de vue, en ce qui concerne la France, Sarkozy et Hollande.

 

3. Dans la situation internationale d’aujourd’hui des groupes et groupuscules d’extrême-droite peuvent survivre, mais il n’y a plus de place pour des partis de masse ou d’une certaine consistance qui se réclament du fascisme. Mais il est intéressant de voir de quelle façon en Italie s’est développée la crise du MSI (Mouvement Social Italien) d’abord et de Alleanza Nazionale (AN) ensuite. Quand quelque représentant de ce groupe prenait une position critique à l’égard des USA ou d’Israël, la presse bourgeoise en chœur mettait en garde contre l’alliance ou le péril d’alliance rouge-brune. Quand par contre des représentants du MSI ou d’AN prenaient position en faveur des Etats-Unis, d’Israël et de leurs guerres, la presse bourgeoise en chœur rendait hommage à l’« évolution démocratique » de ces représentants. C’est ainsi que le leader historique d’AN, Gianfranco Fini, est devenu un ardent champion du sionisme et de l’atlantisme, en continuant pourtant à être l’apologète du colonialisme fasciste, auquel reviendrait le mérite d’avoir apporté la « civilisation » et la « culture occidentale » en Libye. C’est un petit chapitre d’histoire sur lequel je m’arrête dans le livre « Le langage de l’Empire » (Lexique de l’idéologie étasunienne) que Delga publie ces jours-ci dans la version française. La bourgeoisie française voit dans l’évolution de Fini un modèle.

Avec mon plus amical salut,

Domenico

 

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio, destinataire de cet échange à partir de la réponse d’Annie Lacroix-Riz qui l’a ensuite adressée aussi à une liste plus large de destinataires.

Je joins au texte de D. Losurdo, avec son accord et celui de l’éditeur, la couverture du livre cité en fin de texte :

Le langage de l’Empire. Lexique de l’idéologie étasunienne. Editions Delga, parution le 13 septembre 2013.

 

i Lilian Truchon est l’auteur de Lénine épistémologue. Editions Delga