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18 octobre 2013

Les économistes «atterrés» se divisent sur les vertus d'un fédéralisme européen


Sur MEDIAPART

 

 

|  Par Ludovic Lamant

Faut-il imaginer un fédéralisme démocratique pour sortir de la crise, ou revenir, au contraire, à l'échelle de l'État-nation ? La fracture se creuse au sein des économistes hétérodoxes, à l'approche des élections européennes.

 

À gauche, la fracture n'est pas neuve. Mais elle se creuse à l'approche des élections européennes de mai 2014. La publication, mercredi, d'un nouveau livre des économistes « atterrés », ces universitaires critiques de l'austérité dans l'Union européenne (UE) (Changer l'Europe !, Éditions Les liens qui libèrent), confirme l'intensité des débats. Voici, en peu de mots, l'alternative : faut-il, pour provoquer la rupture, imaginer un fédéralisme européen d'un autre genre, plus démocratique, ou au contraire, revenir à la case départ, celle de l'État-nation, la seule à même de redonner des marges de manœuvre pour une politique de gauche ?

Au printemps, Cédric Durand, l'un des animateurs du mouvement lancé en 2010, en avait déjà surpris plus d'un en proposant à la gauche de « suspendre la question européenne », pour se concentrer, à l'échelle nationale, sur des chantiers prioritaires à ses yeux : l'emploi, le social (En finir avec l'Europe, La Fabrique). À l'inverse, dans l'un des chapitres du dernier livre des « atterrés », deux d'entre eux, Michel Dévoluy et Dany Lang, se prononcent pour une « planification fédératrice », avec des mécanismes démocratiques rénovés à l'échelle du continent, pour la sortie de crise.  

« C'est un sujet de discorde », confirme Michel Dévoluy, professeur à l'université de Strasbourg, qui reconnaît « ne pas être certain d'être majoritaire au sein du collectif », lorsqu'il préconise davantage d'intégration en Europe. « Mais l'adhésion est totale sur le diagnostic des difficultés que traverse l'Europe », prend-il soin de nuancer.

Les « atterrés » sont en effet unanimes pour dénoncer les évolutions institutionnelles impulsées depuis le début de la crise, vers ce qu'ils nomment un « fédéralisme tutélaire », qui place les capitales sous l'autorité d'institutions technocratiques, non élues. Dans le viseur, le « semestre européen »,  le « pacte pour l'euro plus », les règlements du « six pack » puis du « two pack », ou encore le « TSCG », autant de textes peu connus des citoyens, qui renforcent les pouvoirs de la commission et son influence sur la politique économique des États membres. Il s'agit officiellement de mieux coordonner les politiques des uns et des autres au sein de la zone euro.

Aux yeux des « atterrés », cette mainmise des institutions converties au néolibéralisme, à commencer par la commission de José Manuel Barroso, condamne d'avance toute possibilité de relance ou de mesure progressiste. « Le fédéralisme d'aujourd'hui entraîne la régression sociale », assure Dany Lang, maître de conférences à l'université Paris-13. Ce qui, dans la foulée, « mine la formation d'un sentiment d'appartenance à une entité soucieuse du bien-être collectif ». C'est déjà ce que décrivait au printemps Razmig Keucheyan dans le livre dirigé par Cédric Durand, préférant, lui, le terme de « césarisme bureaucratique » – un détour par Gramsci pour mieux insister sur la « dérive autoritaire » de l'UE en temps de crise.

Comment dès lors, provoquer la rupture ? D'après les économistes membres des « atterrés » joints par Mediapart, trois scénarios sont en concurrence au sein du collectif. Autant de sensibilités que l'on retrouve au sein de la gauche en général. Première piste, la plus radicale : faire une croix pure et simple sur Bruxelles, puisque l'horizon y est bouché, et sortir de l'euro, puisque toute politique « euro-keynésienne » (un budget européen pour une relance globale, une taxe sur les transactions financières, etc.) serait condamnée d'avance (lire notre compte-rendu du livre dirigé par Cédric Durand).

À l'opposé exact, d'autres plaident, à l'instar de Dévoluy et Lang, pour une « planification fédératrice ». Le projet : face au court-termisme des politiques néolibérales, il faudrait « réinscrire nos économies dans une perspective de long-terme ». Grands travaux adossés à un véritable budget européen, refonte de la politique agricole commune (PAC) plus écolo, séparation des activités de dépôt et d'investissement, harmonisation par le haut des systèmes de protection sociale… Tout cela s'articulerait autour d'un « fédéralisme démocratique », en particulier à l'échelle de la zone euro, doté d'un budget propre et d'un parlement.

À ceux qui jugeraient ces positions totalement utopiques, vu les dynamiques en cours à Bruxelles, Michel Dévoluy assure que l'UE n'a pas toujours été convertie au néolibéralisme… Pour preuve, aux premières heures de l'Union, la communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), qui instaurait par exemple un contrôle des prix pour soutenir la politique industrielle. « La rupture date de l'acte unique de 1986 », confirme de son côté Dany Lang.

Reste une « position centriste », selon l'expression d'Henri Sterdyniak de l'OFCE qui la défend : elle consiste à s'opposer à tout renforcement du fédéralisme « pour un temps au moins ». Un repli stratégique, dans l'attente que les rapports de forces en Europe évoluent. Voici le raisonnement, résumé par Benjamin Coriat, professeur à Paris-13 : « Sur le principe, je crois qu'une majorité d'entre nous est favorable au renforcement du fédéralisme. L'harmonisation fiscale, la politique industrielle, la transition écologique…, tout cela passe par l'Europe. C'est le scénario idéal. Mais pour l'heure, les rapports de force sont tels que si l'on accepte de renforcer le fédéralisme, on renforce des institutions qui ne parlent que d'ajustement structurel. Pour le moment, on peut donc dire que nous y sommes plutôt opposés. »

Pour Philippe Askenazy, chercheur à l'école d'économie de Paris, « tout le monde s'accorde sur la dérive technocratique, anti-démocratique et néo-libérale de l'Union ». Cet « atterré » historique précise : « S'il y a débat, c'est que justement on ne peut trancher avec des arguments économiques. » C'est l'une des particularités de ce débat, y compris au sein des économistes critiques : leur entrée est souvent davantage politique, voire citoyenne, entre les adversaires du « repli » et les partisans enthousiastes de l'État-nation.

Ainsi, Michel Dévoluy explique qu'il est un « internationaliste que l'État-nation n'a jamais séduit ». Même entrée « citoyenne » pour Askenazy : « Les replis sur le national me semblent aller contre le sens de l'Histoire. Les dérives de la construction européenne ne doivent pas faire oublier le projet initial après deux guerres mondiales. (…) Je me place bien plus comme citoyen que comme économiste sur ce sujet. »

À l'inverse, Christophe Ramaux, autre « atterré », enseignant à Paris-1, est, lui, favorable à un retour aux États-nations – qu'il associe à des « États sociaux » à protéger, les seuls aptes à s'opposer à la « domination du capital » –  et, logiquement, à un retour aux monnaies nationales. « La démocratie, ce sont les États-nations, cela suppose par exemple que l'on parle la même langue », estime-t-il. « La démocratie à l'échelle européenne, cela pourrait exister, mais pas avant deux siècles. Et l'horizon de deux siècles ne m'intéresse pas », tranche-t-il. Ramaux veut investir le concept de nation, « pour ne pas laisser le champ libre à l'extrême droite », « d'un autre contenu, citoyen, républicain ».  

Le débat, qui risque de s'intensifier dans les mois à venir, déborde de loin le champ de l'économie.

 

 

 

 

 

 

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