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13 mars 2014

Jacques SAPIR - Quel avenir pour l’Ukraine?

Sur RUSSEUROPE

 

 

 

Quel avenir pour l’Ukraine?

13 mars 2014
Par

La situation continue de se dégrader en Ukraine, que ce soit politiquement, avec la perspective maintenant probable d’une sécession de la Crimée, ou que ce soit économiquement. On ne peut ici que réitérer les propos qui ont été déjà tenus sur ce carnet, que ce soit sur les conditions de la légalité du référendum en Crimée[1] ou sur les conditions dans lesquelles une Ukraine indépendante et unie pourrait espérer survivre[2]. Il faut le répéter, nul n’a intérêt à un éclatement de l’Ukraine, mais le maintien d’une Ukraine unie n’est plus une solution naturelle et ne va pas économiquement de soi.

 

De l’interruption de la continuité constitutionnelle en Ukraine.

Le maintien de l’unité de l’Ukraine n’est plus une solution naturelle, ou « légale », qui permettrait de qualifier « d’illégale » les démarches séparatistes, parce que la règle constitutionnelle a été interrompue en Ukraine à partir du 22 février. Il y avait eu, à la suite des incidents dramatiques des jours précédents qui ont fait de nombreux morts et où l’on peut voir en partie une provocation des segments extrémistes l’opposition ukrainienne[3], un accord signé entre le Président Ianoukovitch et cette dite opposition. Plusieurs pays de l’Union Européenne avaient contresigné cet accord se portant garant. Mais, cet accord ne fut jamais appliqué. De la date l’interruption de la continuité constitutionnelle.

Tous ceux qui prétendent que le référendum que les autorités de la Crimée veulent tenir est illégal, et ils sont nombreux, en France le Président de la République M. François Hollande, le Ministre des Affaires Étrangères M. Laurent Fabius, en Allemagne la chancelière Mme Merkel, en Grande Bretagne le Premier Ministre M. David Cameron, et enfin le Président des Etats-Unis d’Amérique, M. Barack Obama, font une lecture partielle et partiale des événements. Ils font mine d’ignorer des principes du Droit qui veulent qu’une personne régulièrement élue ne peut être déposée que dans formes légales si l’on veut que se maintiennent la continuité constitutionnelle. Ils ne peuvent faire « comme si » la légalité constitutionnelle avait prévalu, ce qui aurait été le cas si nous étions dans le cadre de l’application des accords du 21 février. Ils adoptent donc en réalité une attitude où le droit découle de la force et veulent nous la présenter comme une attitude respectueuse du droit. Ceci est impossible, et ces dirigeants devront en accepter les conséquences, en particulier quant à la légitimité future de leurs actions. On pourrait considérer que ces dirigeants se sont constitué, sur la scène internationale, en Tyrannus ab Exercitio[4].

À partir du 22 février, nous avons eu le remplacement du Président ukrainien régulièrement élu par un pouvoir de fait, et la dissolution de la Cour Constitutionnelle ukrainienne. Or, seule cette Cour avait le pouvoir de constater la déchéance éventuelle du Président et de proposer une solution intérimaire. Ceci n’a pas été fait, et il y a donc une interruption de la continuité constitutionnelle. On peut considérer cela comme un bien ou comme un mal, mais il faut comprendre ce que cela implique. Ce n’est pas, non plus, un jugement sur la personne et l’action de M. Ianoukovitch. Si des choses peuvent lui être reprochées, il doit être poursuivi, et il pouvait l’être dans le cadre d’une procédure de destitution. Ce n’est pas ce qui s’est passé et nous sommes donc bien devant une interruption brutale du pouvoir constitutionnel. C’est d’ailleurs la position assumée par ces différents dirigeants, qui parlent d’une « révolution » à Kiev. On sait que la caractéristique d’une révolution est la fin d’un ordre constitutionnel et la naissance d’un nouvel ordre. Mais, si c’est le cas, cela implique que toutes les entités de l’Ukraine, et en particulier la République Autonome de Crimée, auraient être associées à la naissance de ce nouvel ordre. Il faut une assemblée constituante. Pourtant, le pouvoir de fait en place à Kiev continue à la fois à se prétendre dans la continuité constitutionnelle que cela l’arrange et à la violer dans les faits. Il est impossible à toute personne qui est réellement éprise de démocratie d’accepter cela. Une chose ne peut être juste à Kiev et fausse à Simféropol, capitale de la Crimée. Si les dirigeants des pays occidentaux considèrent que le pouvoir de fait à Kiev est bien le représentant légitime de l’Ukraine, comme l’indique la rencontre qu’aura le chef de ce gouvernement avec le Président des Etats-Unis d’Amérique, ils abdiquent tout droit à porter jugement sur la légalité du processus référendaire en Crimée, et pourquoi pas ailleurs.

 

Les divisions économiques de l’Ukraine.

Car, et c’est l’un des problèmes les plus graves posés par la crise Ukrainienne, le pays n’est pas seulement divisé linguistiquement et culturellement, il est aussi très divisé économiquement. Si l’on considère la carte administrative des régions de l’Ukraine, avec la liste de ces dites régions, et si l’on regarde les niveaux de production obtenus, on pourra constater d’énormes différences.

Figure 1

Carte des régions administratives

UKR-régions

1

Tcherkassy

14

Lviv

2

Tchernihiv

15

Mykolaïv

3

Tchernivtsi (Bucovine)

16

Odessa

4

Rep. Autonome de Crimée-4

17

Poltava

5

Dnipropetrovsk

18

Rivne

6

Donetsk

19

Soumy

7

Ivano-Frankivsk

20

Ternopi

8

Kharkiv

21

Vinnitsa

9

Kherson

22

Volhynie

10

Khmelnytsky

23

Transcarpathie

11

Kirovograd

24

Zaporija

12

Kiev

25

Jitomir

13

Lougansk

 

 

 

Figure 2

PIB par tête et par région

 

 

Ukr-PIB Fr2 Cette carte montre des différences de production énormes entre une partie Est, industrielle, proche de la Russie et de fait liée à elle et une partie Ouest, qui est largement agricole. Elle montre aussi que, contrairement à ce qui est trop souvent affirmé, il n’y a pas « 2 » pays mais 3 dans le cas de l’Ukraine. Une Ukraine médiane apparaît aussi, différente tant dans la production que dans la composition ethnique. C’est une zone où les habitants parlent simultanément l’ukrainien et le russe, et dont la langue spontanée serait ce « mélange » que l’on connaît sous le nom de « Surzhik ».

Les revenus moyens témoignent aussi de cette divergence. Certes, la ville de Kiev, en tant que capitale, attire les hauts revenus, mais il faut savoir que ceci n’est possible que par l’existence de transferts fiscaux importants des régions riches de l’est de l’Ukraine vers la capitale.

Figure 3

Répartition des régions par salaire moyen (en US Dollar)

Ukrainian_salary_map 

 Cette situation se retrouve aussi dans les flux d’imports et d’exports de l’Ukraine vers les autres pays. On constate d’ailleurs que tant les exportations de l’Ukraine que les importations se font bien plus avec la CEI qu’avec l’Europe. La Russie représente d’ailleurs entre 70% et 75% des relations avec la CEI. Quand on sait que le PIB total de l’Union Européenne est de l’Ordre de 11000 milliards d’euros et que celui de la Russie ne dépasse pas les 1300 milliards on convient que l’attraction de la Russie et de la CEI est bien plus forte. Les produits ukrainiens trouvent bien plus facilement un marché dans la CEI et en Russie qu’en Europe. Ceci implique que la fermeture du marché de la CEI et de la Russie aurait des conséquences dramatiques pour l’Ukraine, et que le maintien, voire le renforcement de l’intégration avec la CEI représente la voie de la raison économique.

Figure 4

Exportations et Importations de l’Ukraine

Exports-Ukr

Import-Ukr

Le problème se complique du fait que le volume des exportations et des importations est très différent suivant les régions. La situation en 2013 est à cet égard parfaitement éclairante. On voit qu’un petit nombre de régions exportent bien plus qu’elles n’importent, et qu’une large part du déficit commercial provient de la ville de Kiev.

Figure 5

 ForTrade regions

Note : On distingue la ville de Kiev de la région de Kiev.

Ceci permet de recalculer la balance commerciale de l’Ukraine en tenant compte du poids des diverses régions et en les regroupant par « zone » correspondant à cette tripartition de l’Ukraine dont il a été fait mention.

Tableau 1

Regroupement par zone

Donetsk EST Kyiv-Ville CENTRE Lviv OUEST
Dnipropetrovsk EST Mykolayiv CENTRE Cherkasy OUEST
Zaporizhzhya EST Kyiv CENTRE Vinnytsya OUEST
Luhansk EST Odesa CENTRE Volyn OUEST
Poltava EST Sumy CENTRE Zhytomyr OUEST
Kharkiv EST Kirovohrad CENTRE Zakarpattya OUEST
    Rep.Aut. de Crimée CENTRE Rivne OUEST
    Chernihiv CENTRE Khmelnytskiy OUEST
    Sevastopol CENTRE Ivano-Frankivsk OUEST
    Kherson CENTRE Ternopil OUEST
        Chernivtsi OUEST

 

En fait, la zone « Centre » apparaît comme très largement déficitaire, la zone « Ouest » nettement moins, du fait de la faiblesse de son commerce excédentaire, et la zone « Est » est, quant à elle, largement excédentaire. En fait, sans les dépenses de la ville de Kiev, le commerce extérieur de l’Ukraine serait équilibré, les exportations de la zone Est couvrant les importations.

Tableau 2

Ventilation par zone du commerce extérieur en milliards de US dollars

 

Total export

Total import

Est

34,897

17,898

Centre

22,443

41,980

Ouest

7,459

9,798

À contrario, si les régions constituant la zone « Est » devaient faire sécession, le déficit commercial de l’Ukraine serait bien pire que ce qu’il est aujourd’hui. C’est l’une des raisons qui font que le maintien de l’unité du pays, et son intégration économique avec la CEI et la Russie devrait être un objectif commun tant des pays de l’Union Européenne que de la Russie.

 

 


[1] Sapir J., « La Crimée et le Droit », note publiée dans RussEurope, le 7 mars 2014, URL : http://russeurope.hypotheses.org/2062

[2] Sapir J., « Une solution raisonnable pour l’Ukraine », note publiée dans RussEurope, le 8 mars 2014, URL : http://russeurope.hypotheses.org/2068

[3] Sapir J., « Provocation à Kiev ? », note publiée dans RussEurope, le 5 mars 2014, URL : http://russeurope.hypotheses.org/2051

[4] Ou « Personne qui arrivée de manière juste au pouvoir se constitue en Tyran par l’usage injuste qu’il fait de ce pouvoir ».


Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s'est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.

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