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19 mars 2014

CRIMEE - Qui sont les hommes qui défendent Sébastopol ?

La VOIX DE LA RUSSIE

 

Qui sont les hommes qui défendent Sébastopol ?

 

 

Face à l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement ukrainien, la Crimée s’est déclarée prête dès la fin février à faire sécession. Plusieurs barrages routiers spontanés se sont établis sur le territoire de la péninsule, au nord d’abord, à la « frontière » avec l’Ukraine, puis autour de la ville de Sébastopol. Qui sont les hommes qui y montent la garde ? Le Courrier de Russie a passé la journée du 11 mars à leurs côtés, sur le bord de la route Simferopol-Sébastopol.

Défenseurs sébastopol

Milutin Malisic, le komandir des Tchetniks

« T’es sûr que c’est pas un espion ? », demande nerveusement Sacha, motard du célèbre club Les Loups de la nuit [Nochnye Volki], en me regardant dans le rétroviseur intérieur de sa vieille Lada Samara. « Non, ne t’inquiète pas, il travaille pour Le Courrier de Russie – ils sont avec nous », répond, sûr de lui, mon contact, assis à l’avant.

« Ok, alors on y va », lance le motard, rasséréné. Direction le poste de contrôle de Sébastopol nord, un des quatre barrages routiers construits par les habitants de la Crimée autour de la ville dans la nuit du 26 au 27 février, trois jours après l’annonce d’une possible abrogation de la loi qui conférait au russe le statut de langue officielle régionale en Crimée et dans l’est du pays.

Le poste nord est le plus important, autant par sa taille que du fait d’une position stratégique : il est situé sur la route reliant Sébastopol à la capitale de la république, Simferopol, et à quelques kilomètres seulement de Bakhtchisaraï, bastion des Tatars – farouchement opposés à toute réunification avec la Russie.

Le « barrage » est en soi assez sommaire. L’arrivée sur Sébastopol est ralentie par un slalom traditionnel délimité par des plots de béton. Des drapeaux russes flottent sur toutes les cabanes en bois qui jonchent le périmètre. Des pancartes de la nouvelle religion offrent un peu de lecture aux automobilistes, pour patienter. Elles affirment notamment : « La Russie a toujours été un cimetière pour les idées faisant l’apologie du mal. On ne peut pas vaincre les cimetières – on ne peut seulement y rester. Pour toujours. Amen. »

Ni barrières, ni barbelés – une simple herse rouillée disposée sur le côté à destination de ceux qui tenteraient de forcer le barrage. « Elle n’a jamais servi », me confie d’ailleurs un jeune homme, un « petit gars du coin » comme ils aiment à dire par ici – épaules larges et tenue de camouflage. Sur sa veste, pas de signe d’appartenance, à l’exception d’un badge indiquant : « OBR ».

 

Autodéfendons-nous

L’OBR, ou Brigade de réaction rapide, est un des plus importants groupes d’autodéfense formés par la population de Sébastopol. L’organisation recense une centaine de volontaires, prêts à protéger la ville et maintenir l’ordre. Ils sont omniprésents, sur les barrages, mais aussi à l’intérieur de la ville.

Arborant soit le badge OBR, soit le ruban de Saint-Georges orange et noir au bras gauche, ils patrouillent dans les rues d’une ville à la présence policière devenue quasi inexistante. Ils répondent également de la surveillance des sites stratégiques, tels les grandes entreprises urbaines ou l’estrade installée sur la place centrale Nakhimov. Les profils sont très divers. L’organisation compte dans ses rangs aussi bien de jeunes nationalistes russes au sang chaud que de simples ouvriers, qui disent « craindre » les groupuscules nationalistes ukrainiens radicaux de la place Maïdan.

Vlad, la quarantaine, est l’un d’entre eux. Technicien sur les chantiers navals, il a rejoint l’OBR dès l’arrivée au pouvoir du gouvernement ukrainien provisoire.

« Ces gens me font peur. J’ai peur que ces fascistes [c’est comme ça qu’on appelle, ici, les activistes violents du mouvement Maïdan, souvent liés aux groupuscules nationalistes ukrainiens, ndlr] viennent ici et nous tuent », me confie-t-il. À la différence des plus jeunes, Vlad n’a pas trouvé nécessaire de se déguiser en tenue de camouflage – il n’est « pas là pour jouer à la guerre mais pour défendre ses convictions ». « Je suis prêt à lutter jusqu’au bout pour que la Crimée quitte l’Ukraine. Je ne crois plus dans ce pays. Voilà plus de vingt ans que les dirigeants se suivent et que rien ne change, voire que les choses se dégradent. La Russie est le seul avenir pour nous », poursuit-il. Comme beaucoup d’habitants de la péninsule, Vlad a de grandes attentes vis-à-vis de la « Mère-Russie », qui, selon lui, va par exemple s’empresser de rouvrir les chantiers navals et usines de la ville, qui employaient plus de 13 000 ouvriers autrefois contre un peu plus de 300 aujourd’hui.

L’OBR n’a toutefois rien d’anarchique, et l’organisation est loin d’être ouverte à tous. Dans ses bureaux, situés dans différents quartiers de la ville, l’identité de chaque volontaire est soigneusement contrôlée « pour des raisons de sécurité », assurent-ils. C’est dans ces mêmes bureaux que doivent s’enregistrer tous les bénévoles désirant simplement aider leurs concitoyens ou, selon la formule d’une affiche accrochée au mur, « ceux qui souffrent de l’intervention américano-allemande ». Les habitants mettent à disposition leur voiture ou proposent de loger des gens, d’autres offrent de fournir des produits de première nécessité ou d’aider à coller des affiches dans la ville.

Ces volontaires seraient plusieurs dizaines de milliers, selon les données fournies par un des bureaux de l’OBR. Un chiffre qui ne semble pas tellement gonflé au vu de l’affluence au bureau central, rue Lénine. « J’ai une voiture cinq portes, et beaucoup de temps libre », expliquait une habitante devant moi. « Inscrivez ici votre numéro de téléphone, la marque et le modèle de l’automobile, et nous vous appellerons si des gens ont besoin de se déplacer », a répondu une des « recruteuses », avant de prendre en charge le bénévole suivant.

Que ce soit sur le territoire des barrages routiers ou dans les rues de Sébastopol, les volontaires ne sont pas censés être armés. Censés – l’un d’entre eux n’a toutefois pas hésité à ouvrir sa veste pour me montrer son « argument » – code en vigueur pour désigner une arme. Néanmoins, le sentiment global des citadins à l’égard de ces gardiens de la paix auto-proclamés semble positif. « Les premières statistiques montrent moins d’accidents de la route depuis que les groupes d’autodéfense patrouillent aux côtés de la police. Fini, les contrôles routiers arbitraires et les pots de vin aux policiers », m’affirmait un habitant de Sébastopol, faisant écho à un discours très populaire ici.

 

« J’aimerais que vous ne partiez jamais »

Au checkpoint, c’est avec des Cosaques que les membres de l’autodéfense, une petite dizaine d’hommes au total, se partagent le travail. L’un d’entre eux est armé, et il ne s’en cache pas, se tenant fièrement debout devant une cabane, carabine de gros calibre à la main. « Simple précaution, m’explique calmement Igor, cet ataman (chef de brigade) cosaque. Tu peux photographier mes hommes, mais interdiction de leur parler ! »

Igor est un homme robuste, trapu, lunettes sur le nez et toque traditionnelle sur la tête. Comme beaucoup des Cosaques présents, l’ataman est venu de Russie en Crimée pour « aider la population locale russe et orthodoxe ». « Ce sont nos frères », lance-t-il bravement, avant de m’expliquer qu’il a également assuré la sécurité de la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur lors de la venue des Présents des Rois mages, début janvier 2014.

Un bus approche. Le Cosaque Igor m’invite à y monter en sa compagnie. Il n’est armé que d’une petite lampe torche en fin de vie. « Bonjour, puis-je voir vos papiers d’identité, s’il vous plaît ? », demande-t-il poliment. Les passagers s’exécutent. Certains soupirent, d’autres regardent leur montre. Le conducteur sourit – il emprunte cette route plusieurs fois par jour. Plus surprenant, certains voyageurs remercient le Cosaque. « J’aimerais que vous ne partiez jamais ! », s’exclame une vieille dame.

La procédure de contrôle est standard, et la politesse de rigueur. « Nous ne sommes pas ici pour importuner les gens. Seulement pour éviter que des armes ou des matériels dangereux n’arrivent jusqu’à Sébastopol, insiste Igor. Nous demandons aux gens d’où ils viennent et quel est le motif de leur visite, puis nous demandons qu’ils ouvrent leur coffre ou la remorque pour les poids lourds. » Face à un individu qui semble louche ou n’a pas ses papiers sur lui, Igor a sa technique : « Je lui demande de me montrer ses mains : les cocktails Molotov laissent des traces de brûlures sur les paumes et les armes à feu des cals sur l’index. »

Ces contrôles, en réalité, sont de pure forme. Ni les Cosaques, ni les volontaires n’ont le droit d’user de la force ou de refuser le passage. « Si quelqu’un nous semble vraiment suspect de faire partie des fascistes ukrainiens, nous informons les équipes de la ville qui gardent un œil dessus », précise mon ataman. Seuls les policiers stationnant sur les barrages ont le droit d’intervenir. « La milice ukrainienne intervient rarement. Nous nous entendons bien. Eux aussi sont là pour le bien des habitants de Sébastopol, et nous coopérons », se félicite Igor.

Les automobilistes sont peu nombreux à se plaindre, même si la file d’attente atteint parfois une quarantaine de véhicules sur cette route très empruntée. Igor se souvient pourtant d’un « provocateur » : « Un jour, un jeune a mis l’hymne ukrainien à fond dans sa voiture alors qu’il attendait pour passer au contrôle. Je suis allé le voir et je lui ai demandé calmement s’il aimait vraiment cette musique ou s’il nous cherchait. Il a marmonné quelque chose puis a baissé le son. Alors, je lui ai dit : Non, non, remets le son – nous aussi, on adore cette chanson ! », raconte Igor en souriant.

 

Cosaques de Serbie

Mais les Cosaques russes ne sont pas les seuls à avoir fait le déplacement jusqu’en Crimée. Cinq Serbes, badge OBR à la boutonnière, qui se présentent comme des membres du Mouvement Tchetnik, sont arrivés mercredi 5 mars pour « soutenir le peuple russe ». Accueillis en frères par les Cosaques russes qui les hébergent dans leur camp, ils baragouinent avec les autres volontaires dans un serbo-russo-anglais à l’écoute duquel on ne peut pas se retenir de sourire.

À leur tête, Milutin Mališić : un ours à la longue barbe noire et au discours bien rôdé. « Notre mouvement est comparable à celui des Cosaques de Russie. Le but de notre venue est d’apporter, au nom du peuple serbe, notre soutien et notre expérience au peuple russe. La situation est la même qu’en Serbie il y a quelques années. L’Occident et l’Europe financent l’opposition et font miroiter des perspectives européennes à la population », affirme le komandir.

Les volontaires se relaient toute la nuit

Les volontaires se relaient toute la nuit

Les hommes n’ont toutefois pas très bonne publicité chez eux. La presse serbe s’est empressée de ressortir de vieux dossiers sur Milutin, accusé d’avoir participé, en 2000, à l’assassinat de l’ancien président Slobodan Milosevic et critiqué pour sa participation dans l’Armée de libération de Serbie (OSA), mouvement nationaliste serbe. Les médias serbes accusent également les autres Tchetniks d’être impliqués dans plusieurs crimes au Kosovo, en 1999. « On nous accuse de tout et n’importe quoi, regrette Nemanja. Mais je n’ai que 24 ans, je n’ai participé à aucune guerre. »

Originaire de la ville de Nis, Nemanja, sans travail chez lui, effectue en Crimée sa première mission. « Nous sommes venus aider. Nous resterons le temps qu’il faudra », me confie-t-il, avant de me montrer fièrement une petite jarre, « souvenir » de Sébastopol. Le jeune homme est calme, et fume cigarette sur cigarette. Il regarde avec intérêt son komandir donner une interview à une chaîne de télévision étrangère. « Tout le monde vient nous voir : des Américains, des Italiens, des Allemands, des Français… », dit-il, s’efforçant tant bien que mal de ne pas rougir.

Comme la plupart des hommes présents sur le barrage, Nemanja travaille un jour sur deux. Ils sont, en tout, entre dix et quinze en permanence. Certains dorment sur place, dans des tentes ou dans les cabanes du bord de la route, d’autres viennent quand ils peuvent, après le travail, sur leur temps libre.

À l’écart de la route s’installe leur « cafétéria ». Les hommes y mangent et s’y reposent, mais c’est aussi là que les habitants viennent déposer un peu d’aide. Une vieille Lada rouge y est justement garée, coffre ouvert. Un homme d’une soixantaine d’années en sort des bûches de bois et quelques légumes.

Sur l'affiche :

Sur l’affiche : “Sébastopol demande à l’OTAN d’aller se faire f*****”

Sur la table, on aperçoit du café, du thé, beaucoup de pain, des fruits et des pommes de terre. Un générateur alimente le camp de fortune en électricité, tandis qu’un samovar artisanal fournit l’eau chaude. Les détritus passent directement au feu, autour duquel les bénévoles sont assis, le visage fatigué, en attendant le relais. Il est près de minuit.

Quand je passe devant eux en quittant le barrage, un jeune homme m’interpelle :

Reviens en Crimée cet été !
Je reviendrai.
Bah !, tu es le deuxième Français qui me ment aujourd’hui.

 

 

 

 

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