Malgré le rattachement de la Crimée et de Sébastopol à la Fédération de Russie, officiellement signé vendredi 21 mars, certains militaires ukrainiens de la péninsule résistent encore et toujours, livrés à eux-mêmes. Le rappel des troupes ukrainiennes de Crimée n'a en effet été ordonné par le président par intérim que le lundi 24 mars.

 

Ukraine Crimée soldats ukrainiens

Le Zaporojié (centre).unique sous-marin de la flotte ukrainienne Crédits : luckywanderer.ya.ru/

 

Seuls contre tous

Ces irréductibles Ukrainiens sont toutefois de moins en moins nombreux chaque jour. Au cours de ce premier week-end après le rattachement, les 22 et 23 mars, le drapeau russe a été hissé au-dessus de la grande majorité des bases militaires ukrainiennes de Crimée, et même sur l'unique sous-marin de la flotte ukrainienne, le Zaporojié.

Les Russes ont également saisi deux bases dans la journée du samedi : Novofedorivka et l'aéroport de Belbek, à proximité de Sébastopol. Quatre officiers, dont le colonel Yuliy Mamchur, ont été arrêtés et emmenés dans un lieu qui demeure inconnu. Sur le second site, le ministère de la défense ukrainien fait état de deux blessés : un journaliste et un soldat ukrainien.

Lundi 24 mars, les forces russes ont pris d'assaut la base militaire ukrainienne de Théodosie, un des derniers bastions où flottait encore le drapeau ukrainien. L'opération, au cours de laquelle plusieurs soldats ukrainiens ont été blessés et plus de 60 d'entre eux capturés, a été menée avec des blindés légers et des hélicoptères. « Le commandant de bataillon Dmitro Deliatnitski et son adjoint Rostislav Lomtev ont été jetés à terre et ont reçu des coups de pied au visage. Ensuite, ils ont été emmenés à bord d'un hélicoptère vers une destination inconnue », indiquait un communiqué officiel du ministère ukrainien de la défense lundi 24 mars.

Parallèlement, 72 sites militaires, dont 25 navires d'entretien et six bâtiments, ont déjà officiellement rejoint l'armée russe de leur propre gré.

 

La goutte d'eau

Si une grande partie de l'effectif militaire est en effet passée du côté russe, c'est aussi parce que la Russie a plusieurs avantages à proposer aux soldats ukrainiens. Tout d'abord, ces derniers ont reçu la garantie officielle que leurs grades resteraient les mêmes lors de leur affectation dans l'armée de la Fédération, après signature d'un décret correspondant, jeudi 20 mars, par Vladimir Poutine.

Il faut reconnaître, ensuite, que la rémunération dans l'armée russe est beaucoup plus intéressante qu'en Ukraine. Ainsi, un officier russe gagne quelque 100 mille roubles par mois (environ 2000 euros), alors que son homologue ukrainien ne touche pas plus de 6,5 mille hryvnias mensuels (environ 448 euros).

Enfin, les récentes déclarations du ministre ukrainien de la défense par intérim, Igor Tenioukh, lors d'un direct sur la chaîne ukrainienne 1+1 vendredi 21 mars, n'ont pas contribué à remonter le moral des troupes.

Répondant au témoignage, en vidéo-conférence, de l'adjoint du commandant du bataillon d'infanterie de marine de Kertch, Alexeï Nikiforov, qui constatait qu’une partie de ses hommes étaient déjà passés du côté russe et se plaignait de ne recevoir aucune directive de la part de l’état-major ukrainien, le ministre n'a pas pris de gants. Il a notamment affirmé que la faute en revenait au commandant lui-même, qui n'a « pas su éduquer ses hommes », allant même jusqu'à rappeler à l'ordre le soldat – « qui doit servir et non se plaindre ».

Face à ce manque de tact de M. Tenioukh, l'adjoint Nikiforov a décidé de prendre les devants. « Camarade Amiral, je ne sais quoi répondre. Après ce que vous venez de dire, mes 50 hommes (qui restaient fidèles à l’Ukraine, ndlr) ne serviront ni les Russes, ni vous. Ils vont simplement rentrer chez eux », a déclaré Nikiforov.

Contacté un peu plus tard par le site d'information ukrainien Vesti, l'adjoint n'a pas caché sa déception concernant la position de son ministère. « Aujourd’hui, tout ce que je veux, c’est démissionner. Et servir la Russie, pour moi ce n’est pas possible », a-t-il confié par téléphone.

 

« Qu'ils aillent se faire... »

Ces propos du ministre ont fait l'effet d'une bombe dans toutes les bases ukrainiennes de Crimée. À Simferopol, les soldats se sont même déclarés prêts à ne plus obéir à Kiev. « Avec ces déclarations, Tenioukh a chuté dans notre estime et dans celle de tout le peuple ukrainien, a confié à Vesti un officier de cette base. Le nombre d'hommes voulant rentrer au pays et continuer de servir dans l’armée ukrainienne a considérablement diminué depuis. »

L'officier a également félicité Alexeï Nikiforov, le seul, selon lui, a avoir eu le courage de dire la vérité. « Bravo. Gloire et honneur à Alexeï. Que le peuple ukrainien ouvre les yeux et lâche ce gouvernement incapable. Ce sont des idiots et des filous. Tenez le coup, le peuple est avec vous !, nous rabâchent-ils. Ils se cachent derrière le peuple. Mais cela ne marche pas. Ç'en est trop. Que veulent-ils ? Que nous les protégions ? Je ne risque pas de mourir pour eux, qu'ils aillent se faire... J'ai trois enfants à nourrir. Quitte à ce que l'on me considère comme un traître et un idiot, je ne servirai plus dans cette armée. Ils avaient le temps d’évacuer les troupes, mais ils ne l'ont pas fait. Maintenant ils nous accusent, nous. »

D'autres officiers n'ont d’ailleurs pas attendu le feu vert de Kiev pour quitter le territoire de Crimée. « Je me suis entendu avec une entreprise ukrainienne qui m'a proposé deux autobus. Cela nous a permis d'évacuer presque tous les soldats. Il ne reste plus que les officiers à la base, a expliqué l'un d'eux, stationné à Théodosie, à Vesti. Nos dirigeants sont des incapables. Il faut tous les chasser et reprendre leurs salaires. Je suis allé aujourd'hui sur notre aérodrome et je me suis fait fouiller par les Russes. J'ai ensuite dit à mon chef : Voilà comment il fallait diriger les divisions. Au lieu de cela, vous avez rendu votre base aux Cosaques, qui ne sont même pas armés. Résultat, nous n'avons plus d'essence, plus d'armes, et on nous dit : Battez-vous, les gars !. C'est facile, à l'écran, de sourire et d'accuser les autres... Ils feraient mieux de se remettre en question. »

Pourquoi le ministre ukrainien de la défense a-t-il décidé de ne pas venir en aide à ses troupes ? Pour Dmitri Tymtchouk, expert militaire ukrainien, cette prise de position « inacceptable » témoigne de l'absence de toute décision émanant de l’état major des armées.

« L'Ukraine attend aujourd'hui la prochaine session de l'Assemblée générale des Nations unies, le 27 mars, afin de déclarer la Crimée zone démilitarisée et de lancer les négociations autour de l'évacuation des troupes ukrainiennes et russes. De son côté, la Russie fera son possible pour évacuer d’ici là de la péninsule toutes les divisions militaires ukrainiennes afin qu'il n'y ait rien à négocier », a déclaré l'expert à Vesti.

Il est toutefois important de rappeler que la Russie, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, est en mesure de bloquer toute décision de l'organisation internationale.

Au bout de près d’un mois de conflit en Crimée, les autorités ukrainiennes ont finalement ordonné lundi 24 mars au ministère de la défense de redéployer les unités militaires qui se trouvent sur la péninsule vers l’Ukraine continentale, a indiqué le président par intérim, Olexandre Tourtchinov, face au chefs des groupes parlementaires.

Selon  Vesti, le gouvernement ukrainien travaillerait déjà sur un projet concernant l’avenir des soldats auparavant stationnés en Crimée.


Vidéo : Sébastopol, l'académie de la Marine est passée sous contrôle russe. Le drapeau russe a pris la place de l'ukrainien. Un groupe d'étudiants s'éloigne du lieu de la cérémonie et chante en chœur l'hymne ukrainien. Vidéo publiée le 20 mars.