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25 mars 2014

La seconde mort de Saïd Bourarach

 

 

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La seconde mort de Saïd Bourarach

A quelques années d’intervalle, deux faits divers tragiques, deux hommes tués en raison de leur appartenance ethnico-religieuse. Deux faits divers racistes pratiquement similaires, et pourtant jamais le contraste entre le traitement politico-médiatique et judiciaire de deux crimes pourtant comparables n’a été aussi éclatant. Tandis que le décès d’Ilan Halimi, élevé au rang d’une affaire d’État, a provoqué un véritable séisme, celui de Saïd Bourarach a été accueilli dans un silence assourdissant : peu de titres dans la presse nationale (éludant soigneusement l’origine confessionnelle des agresseurs et balayant d’un revers de main l’hypothèse d’un crime raciste), aucune déclaration de responsable politique. Cette politique officieuse du deux poids deux mesures qui s’applique jusque dans la tombe fait l’objet d’un consensus politique tellement fort que le simple de l’évoquer devient synonyme de délit – le pouvoir n’aime pas être placé face à ses contradictions. Et pourtant, elle ne résiste pas une analyse, même rapide, des faits.

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Un crime sordide qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire : un jeune homme de confession juive, attiré dans un guet-apens un soir de janvier 2006 à Sceaux est retenu et torturé pendant trois semaines dans une cité de Bagneux. Ses ravisseurs, le supposant riche parce que juif, voulaient extorquer de l’argent à sa famille. Il sera finalement retrouvé agonisant le long des lignes de RER, près de la gare de Sainte-Geneviève-les-Bois. Tous les membres du "gang des barbares" seront rapidement arrêtés et condamnés à de très lourdes peines : la perpétuité pour Youssouf Fofana, 15 et 18 ans de réclusion criminelle pour ses deux principaux complices. Fait rarissime, sous la pression de plusieurs associations juives (le CRIF et l’UEJF), Michèle Alliot-Marie demandera au procureur général près la Cour d’appel de Paris de faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions de l’avovat général, bafouant l’indépendance de la justice. La presse officielle comme les élites politiques, ont écarté dès le début tout doute sur la nature antisémite du crime alors que certains faits laissent plutôt penser à un crime crapuleux. L’affaire, abondamment médiatisée (Le Monde y a consacré plus de 80 articles entre la mi-février et la mi-avril, soit plus d’un par jour), a donné lieu aux grandes manœuvres politico-judiciaires : cérémonies organisées en hommage à la mémoire de la victime – la dernière il y a un mois et demi –, manifestations contre "l’antisémitisme", rassemblements citoyens à l’appel de la LICRA, de l’UEJF et de SOS Racisme, articles grandiloquents  – Eric Fottorino parlera à ce sujet d’un "crime contre l’humanité à dimension individuelle" –, dissolution d’un groupe identitaire noir, appel du Garde des Sceaux Pascal Clément à intensifier la lutte contre les actes racistes et antisémites et, quelques années plus tard, création d’un prix Ilan Halimi contre l’antisémitisme destiné à récompenser "toute initiative visant à déconstruire les stéréotypes antisémites". Le but de tout ce battage médiatique : rendre indicible et même impensable toute critique à l’égard d’Israël en reliant dans un même continuum critique du sionisme ou de l’État hébreu, antisémitisme et agression physique contre les juifs. Ou comment tirer partie d’un simple fait divers pour manipuler, une fois de plus, l’opinion publique.

Huit années plus tard, on pouvait croire le filon épuisé, mais c’était sans compter sur le pouvoir de la fiction pour relancer la compassion victimaire et ses arrière-plans idéologiques. L’affaire une fois dupliquée par la magie du cinéma, la machine de propagande sioniste peut se remettre en marche. Pour nous faire revivre la tragédie, deux films 100 % communautaires. Le premier, ultra-médiatisé avant même sa sortie en salles le 30 avril, s’intitule 24 jours. La Vérité sur l’affaire Ilan Halimi (dont on peut voir ici la bande annonce), adapté du livre éponyme d’Émilie Frèche et de Ruth Halimi – la mère de la victime. A la réalisation, Alexandre Arcady à qui l’on doit déjà Le Grand pardon (versions 1 et 2) :  sioniste déclaré, colonialiste et fier de l’être – il a fait partie des ardents défenseurs de feu le projet d’article de loi de 2005, relatif aux “aspects positifs de la colonisation, ami personnel de Manuel Valls qui lui a d’ailleurs rendu visite au moment du tournage, à l’automne dernier « suivant de près le projet sur cette terrible histoire, depuis le début », il tient (sans rire)  Dieudonné responsable des agressions que subit la communauté juive. Le casting est à l’avenant : Zabou Breitman, qui voit des antisémites partout, Pascal Elbé, habitué des films d’Alexandre Arcady – il a déjà joué dans Comme les 5 doigts de la main, en compagnie de Patrick Bruel, de Vincent Elbaz et d’Eric Caravaca également acteur de 24 jours – et qui considère Israël comme son « pays de cœur », Sylvie Testut qui était également à l’affiche de La rafle (en compagnie de Gad Elmaleh) et Michel Boujenah « éternellement attaché à l’État hébreu » et pour qui le désamour des Français pour Israël ne peut être que l’effet d’une « mauvaise communication ». Le terme de "communauté" prend ici tout son sens.

Pour s’assurer que le message soit bien compris, un second film sera consacré à cette affaire. Richard Berry, fidèle parmi les fidèles – il était notamment à l’affiche du Grand pardon,   Le Grand Pardon 2Le Grand CarnavalL’Union sacréePour Sacha et Entre chiens et loups tous réalisés par Alexandre Arcady s’apprête à diriger Tout, tout de suite, un long métrage inspiré de l’affaire Ilan Halimi, d’après l’oeuvre de Morgan Sportès. Une session de rattrapage pour ceux qui auraient raté la première.

Le meurtre de Saïd Bourarach n’a pas bénéficié de cette compassion publique, loin s’en faut. Il est resté un simple fait divers et a été rapidement recouvert d’une chape de plomb. Pourtant, le contexte du crime ne laisse planer aucun doute sur son caractère raciste : Saïd est attaqué par 6 inconnus dans le magasin de bricolage, à Bobigny, où il travaillait comme maître-chien, le 30 mars 2010. Contraint de sortir du magasin – où il s’était d’abord réfugié – afin de porter secours à sa chienne restée dehors et lapidée par les malfrats, il est alors roué de coups, frappé à plusieurs reprises à l’aide d’un cric, gazé et jeté dans le canal de l’Ourcq où il périra noyé, laissant sa femme et ses trois enfants sans revenus et traumatisés. Cette agression s’est accompagnée d’insultes islamophobes et de déclarations de mort (deux témoins ont clairement entendu l’un des agresseurs dire "on va te tuer"). Ces derniers, tous de confession israélite et ultrasionistes, sont sympathisants de la Ligue de Défense Juive, et ont tué Saïd au seul motif qu’il était arabe (voir ici le récit des faits par un témoin direct).

La réponse pénale a de quoi laisser pantois : tous les agresseurs ont été libérés depuis belle lurette après n’avoir passé au plus que 4 mois en prison (le premier est sorti au bout de deux semaines) et cette affaire, vieille de 4 ans, n’a reçu, à ce jour, aucune conclusion judiciaire. La justice n’a pour l’instant retenu, ni le caractère islamophobe de l’agression, ni même l’intention d’homicide – idem d’ailleurs pour les associations "anti-racistes" :  pour SOS Racisme il s’agit avant tout "d’actes de voyous", le Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme quant à lui "ne croit pas une seconde à un quelconque mobile raciste" – mais celui de mort "sous pression psychologique" (Saïd n’aurait pas été poussé à l’eau par les agresseurs mais contraint de le faire sous l’effet d’un choc émotif).

Son traitement médiatique est à l’avenant : mention spéciale à Libération qui lave de tout soupçon raciste les auteurs des faits : ce sont au pire "des jeunes de banlieue  revendicatifs", pas des idéologues et encore moins des sionistes. Le Monde, pourtant très prolixe au sujet d’Ilan Halimi, n’a publié qu’un seul article … signé Caroline Fourest (ça ne s’invente pas) et rédigé dans le seul but de disqualifier d’emblée la comparaison que l’on peut faire entre les deux affaires. Pour la presse officielle, les deux morts ne sont, évidemment, pas comparables : l’un était juif, l’autre seulement arabe.

Les faits bruts, ainsi exposés, parlent d’eux-mêmes et ils sont accablants pour la justice. La société française, derrière son égalitarisme officiel, est soumise à un régime d’apartheid qui fabrique des citoyens d’exception auxquels s’attaquer donne lieu à une affaire d’État et d’autres, de seconde, voire de troisième zones, que l’on peut tuer quasi-impunément dans une indifférence médiatique et politique totale. Ce véritable racisme d’État, indicible –  le révéler conduit tout droit aux tribunaux – est la nouvelle idéologie dominante des élites occidentales. C’est notamment elle qui inspire André Glücksmann quand il affirme que la réponse militaire d’Israël dans l’opération Plomb durci est proportionnée alors même que les pertes sont 100 fois plus nombreuses côté palestinien. C’est aussi elle qui autorise une comptabilité minutieuse, à l’unité près, des pertes militaires étasuniennes en Irak ou ailleurs alors que le nombre des civils tués est laissé dans le flou. C’est encore elle qui banalise les lois discriminatoires contre les musulmans en France qui se succèdent depuis 10 ans dans un large consensus politique. Et c’est elle, enfin, qui a tué une seconde fois Saïd Bourarach, par le silence médiatique et l’indifférence politique coupables.

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