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5 avril 2014

Démystifier l’Europe !

Sur LIBRESPACE

 

Démystifier l’Europe !

Le 16 mars 2014, par Gérard Molines.

Pertinence et lucidité ! Tels sont les qualificatifs que l’on peut attribuer à cet essai paru au mois de mars 2014 sous la plume de la jeune journaliste, Coralie Delaume.

Tout est déjà dans le titre. Transparaît en filigrane la thèse majeure de ce livre : les discours sur le « chantier européen » de ses origines dans les années 50 jusqu’à nos jours, sont une gigantesque manipulation-mystification de l’opinion publique. Il s’agit d’une formidable mise en scène, organisée par les détenteurs de pouvoirs (politiques, médiatiques, publicitaires) afin de crédibiliser une idée. Cette idée revient fréquemment dans les analyses de Coralie Delaume : « seule la création d’une Europe unie, anéantira les velléités guerrières des nations européennes ». Partant, les promoteurs de cette Europe-là n’ont eu de cesse durant les 60 années écoulées de déconstruire jusqu’à l’idée même de Nation. L’objectif étant de favoriser l’émergence d’une gouvernance européenne, instrument essentiel d’une Europe qui deviendrait fédérale.

Ainsi, « Les Etats désunis » seraient le produit, nous dit Coralie Delaume, d’une vaste opération économico-juridique.

Ma première lecture de l’ouvrage fut teintée d’un grand étonnement tellement j’y trouvai des analyses et des arguments qu’il m’a été fréquemment donné de développer dans des conférences sur l’Europe.

Ma seconde lecture (car il y eut une indispensable seconde lecture) me combla d’aise ! Cette auteure a non seulement de colossales qualités lexicales (quel style et quel humour par moment !) pour exprimer des contenus arides (pensez aux institutions européennes dont le seul énoncé exaspère le lecteur), mais elle exprime une formidable lucidité dans l’analyse des multiples textes abscons dont « Bruxelles » s’est fait la spécialité à travers une parfaite langue de bois. Remontant aux origines de « l’idée d’Europe », Coralie Delaume égrène les différents « moments historiques » au cours desquels seront sacralisées toutes les marches qui mènent immanquablement à la gouvernance et au fédéralisme européen.


Car « la gouvernance c’est la mort du Politique » dit-elle. La gouvernance crée du « juridisme et du technocratisme », elle donne le rôle primordial à « l’expert et au banquier ». La gouvernance c’est la mort annoncée de la Nation puisque « les budgets nationaux sont mis sous tutelle de la Commission de Bruxelles » dont les membres cooptés restent politiquement « irresponsables devant les Parlements nationaux ». La gouvernance c’est enfin l’effacement du substrat démocratique ; la disparition assurée du rôle du peuple dans la vie publique. Ce dernier se détourne d’une fonction que l’expert lui refuse : s’occuper collectivement de sa destinée. Bien sûr, le peuple peut continuer à se rendre régulièrement aux urnes pour maintenir l’illusion du pluralisme. Mais gare à lui si d’aventure il chérissait une voie contestataire telle le refus du référendum de 2005 ; l’expert, le politique et le banquier sauront dès lors contenir et outrepasser cette volte face momentanée en discourant sur « le manque de pédagogie de ceux qui ont présenté le projet » et proposeront, en évitant la sanction d’un nouveau vote négatif, le même projet rapidement adopté par des instances aux ordres.

Quant au fédéralisme, il est la partie immergée du chantier européen. Aux yeux des eurocrates, il reste la forme la plus pertinente du régime de gouvernance. Principe de base : le pouvoir fédéral à Bruxelles, les pouvoirs auxiliaires à Francfort (B.C.E), à Strasbourg (Parlement), à Luxembourg (Cour de Justice). Le pouvoir des Etats européens se limite à une représentation plus que symbolique, faite d’obéissance aux injonctions de la B.C.E (stabilité inconditionnelle pour la monnaie unique) ainsi qu’aux directives de la Commission (sous peine de pénalités importantes payées par les populations des Etats qui n’ont pas respecté les ukases des commissaires).
Coralie Delaume insiste beaucoup sur ces aspects ignorés du public. Tous sont massivement passés sous silence par les thuriféraires béats d’une Europe néolibérale. Elle note avec lucidité la lente mise en œuvre des mécanismes de dessaisissement des pouvoirs de chaque Etat. En effet, l’institution de Bruxelles, aidée en cela par le « laxisme » des dirigeants nationaux, n’accorde plus aux Etats que la capacité de répression et de contrôle des populations. Même plus les habituels pouvoirs régaliens !

En fine analyste, Coralie Delaume revisite donc l’Europe.

Elle ausculte les traités, elle bouscule les prêts à penser imposés par un « Ministère des Idées » cher à Orwell, elle examine la nature des décisions d’une Commission soumise en permanence à des centaines de lobbies, bref, elle approfondit avec une aisance remarquable cette « écume d’Europe » dont les européistes (béats) de toujours abreuvent l’opinion. Elle malmène ces faiseurs de biographies qui sur-alimentent (surtout dans les manuels scolaires) la notoriété de « Pères fondateurs » d’une Europe qu’ils voudraient assimiler à la naissance de la « nation » étatsunienne. Elle déconstruit vaillamment le dogme « Europe contre la guerre » pour en montrer le changement d’échelle : si les assauts militaires ont certes presque disparu au sein de l’Europe depuis 1957, les fulgurances économiques les ont amplement remplacées. La guerre a tout simplement changé de nature mais elle se réalise toujours au détriment des peuples. L’austérité est devenue le général en chef de ces conflits actuels, car il faut sauver l’ordolibéralisme, façon B.C.E (traduisez la Bundesbank).

En somme, ce livre s’appuie sur des analyses lucides et dépersonnalisées d’une histoire qui dure depuis bien longtemps. Cette histoire, construite de toute pièce par les discours laudateurs de porteurs de valises remplies de « storytellings », est en passe de devenir officielle. Les « eurosceptiques » deviennent des empêcheurs d’intégrer en rond. Critiquer des décisions européennes, mettre l’accent sur la « tiermondisation » accrue d’une partie de l’espace européen et de ses sociétés ou encore revendiquer « une autre Europe » est devenu une offense de mécréant. Critiquer le basculement de l’Union européenne dans le giron atlantiste (cf. le processus plus que discret de mise en œuvre du Grand Marché Transatlantique pour 2015), c’est aussi, pour les tenanciers de cette « maison Europe » une pratique anti démocratique qu’il convient d’assimiler à une entreprise anarchiste !

Réquisitoire anti européen ce livre ? Non certes pas. Enoncé lucide et documenté d’une dérive progressive organisée par des opérateurs intuitifs qui cherchent par tous les moyens à éloigner les populations du Politique en proclamant haut et fort (les élections européennes sont faites pour cela) qu’il n’existe nulle part ailleurs de réalités plus démocratiques que cette Europe là.

Au bout du compte, pourquoi cette lecture m’a-t-elle rappelé ces propos de Pierre Bourdieu, cités par Raoul Marc Jennar : « L’Europe ne dit pas ce qu’elle fait, elle ne fait pas ce qu’elle dit. Elle dit ce qu’elle ne fait pas ; elle fait ce qu’elle ne dit pas. Cette Europe qu’on nous construit, c’est une Europe en trompe l’œil. » ?

Allez savoir !

Gérard Molines, Montélimar

N.B. Ce travail est à recommander sans modération aux étudiants des classes préparatoires, aux étudiants des Grandes Ecoles de Commerce qui y trouveront matière à (enfin) élaborer

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