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8 avril 2014

Qu'est-ce qui fait échouer le Front de gauche ?

 Sur MARIANNE

 

Qu'est-ce qui fait échouer le Front de gauche ?

Vendredi 17 Janvier 2014 à 13:10 | Lu 20540 commentaire(s)

Propos recueillis par Bertrand Rothé
Dans "la Gauche radicale et ses tabous", Aurélien Bernier, ancien membre d'Attac, s'interroge sur les raisons des échecs électoraux du Front de gauche et du Nouveau Parti anticapitaliste et leur incapacité présente à se faire entendre des classes populaires. Un livre important pour combattre le Front national.

SEVGI/SIPA
SEVGI/SIPA
Marianne : En refermant votre livre, on a un peu froid dans le dos. Vous écrivez que les succès récents du FN s'expliquent en grande partie par sa critique de l'Europe et son discours altermondialiste. Sur ce terrain, le parti de Marine Le Pen aurait, hélas, pris tout le monde de court et beaucoup d'avance...

AURÉLIEN BERNIER : Pour commencer, on peut dire que le FN est antieuropéen, mais on ne peut pas dire qu'il est altermondialiste. Il est antimondialiste. Le projet de Marine Le Pen n'est pas de modifier l'ordre économique international. Son projet est de restaurer la compétitivité de la France dans un ordre économique international inchangé. C'est ce qui fait la différence entre le discours du FN et une vision de gauche. Ensuite, il faut préciser que ce n'est aucunement ce parti qui a la paternité de ces critiques. A contrario, le FN a longtemps tenu des propos favorables à l'Europe. Des années 70 jusqu'au début des années 90, ce parti a un discours tout à fait ultralibéral. A l'époque, Jean-Marie Le Pen ne critiquait pas l'Europe, au contraire ! Dans sa campagne électorale de 1988, il avait complètement intégré le discours des communicants de Bruxelles. La construction européenne allait permettre d'adapter la société française aux contraintes du libéralisme économique et à la mondialisation. Bruxelles allait nous forcer à réduire le poids de l'Etat, le nombre de fonctionnaires. La CEE devait améliorer la compétitivité de nos entreprises. En somme : le discours actuel du PS ! Le virage date du début des années 90. Jean-Marie Le Pen se met alors à critiquer en des termes extrêmement violents l'Europe. Tout y passe, y compris les «banquiers apatrides» qui provoquent les délocalisations et la ruine des industries françaises.

Comment expliquer ce revirement ?

A.B. : Il y a trois raisons à cela. D'abord, l'effondrement du bloc soviétique. Avec la chute du Mur, le FN perd son ennemi de toujours. La deuxième raison, c'est le durcissement des politiques ultralibérales dans le cadre de la construction européenne. Et, enfin, la préparation de la campagne sur le référendum de Maastricht. C'est le moment où ce parti devient antimondialiste et antieuropéen. Le revirement est alors très rapide, cela aurait dû le rendre suspect.

Pourtant, progressivement le FN devient légitime sur ces deux thématiques...

A.B. : Oui, car il a de très loin le discours le plus radical. Le mot «protectionnisme» ne l'effraie pas. Il affirme haut et fort qu'il faut sortir de l'euro, voire sortir de l'Union européenne. Il y a quelques mois, il a proposé sur son site Internet un miniréférendum sur le sujet. De l'autre côté du spectre politique, c'est beaucoup moins clair. La gauche radicale critique l'Europe, les politiques libérales, la mondialisation, mais, dès qu'il est question de passer à l'acte, tout devient flou. On n'est plus sûr de rien. Faut-il ou non sortir de l'euro ? Rester dans l'Europe ? Désobéir aux ordres de Bruxelles ? Certains hésitent voire refusent de sortir de la mondialisation. Ce flou profite au Front national. Surtout dans les régions désindustrialisées. Là où les gens souffrent vraiment de ce phénomène, le FN passe pour «le seul parti antisystème». Si les lecteurs de Marianne ont des doutes, je les renvoie à un livre que vient de publier Sylvain Crépon : Enquête au cœur du nouveau Front national (Nouveau Monde Editions). Il a rencontré de nouveaux militants du FN, notamment dans le canton d'Hénin-Beaumont. Il a pris le temps d'écouter et il en conclut que le discours du FN qui porte aujourd'hui est celui qui affirme que la gauche a abandonné le monde ouvrier. Pour beaucoup, il est le seul parti qui puisse les défendre. Evidemment, il reste des électeurs qui votent Front national par racisme. Mais le discours antimondialiste et antieuropéen du FN aujourd'hui accroche bien plus que la nostalgie de l'Algérie française. D'autant plus que Marine Le Pen adopte un discours social. Elle commence à parler d'interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices - un copier-coller des propositions de la LCR et du NPA. Elle propose une meilleure redistribution des richesses, la défense des services publics.

Pourquoi la gauche radicale n'arrive pas, elle, à proposer des alternatives crédibles à la crise ?

A.B. : Au sein de la gauche, il y a plusieurs sensibilités et plusieurs manières d'appréhender la démondialisation et le protectionnisme. D'abord, il y a ceux qui croient que toute mesure strictement nationale équivaut à un repli nationaliste, ce que j'ai appelé dans mon livre la «pensée Lutte ouvrière», car c'est ce parti qui est le plus caricatural à ce niveau. Pour LO, mais aussi pour d'autres mouvances trotskistes, toute forme de protectionnisme contraindrait à la misère les peuples les plus pauvres, les plus fragiles. De façon constante, ils ont toujours critiqué les solutions nationales, même et peut-être surtout lorsqu'elles venaient du PC, des années 50 aux années 90. C'est pour eux un principe philosophique, les changements doivent se faire à l'échelle mondiale. C'est aujourd'hui le discours du NPA de Philippe Poutou et de Lutte ouvrière. Pour eux, l'équation est simple, toute solution nationale est synonyme de nationalisme voire de guerres à venir.

Passons maintenant au PC...

A.B. : Si vous le permettez, j'aimerais faire un petit crochet par le mouvement altermondialiste. Ce n'est pas une organisation politique, mais il joue un rôle fondamental. Il apparaît à la fin des années 90 et atteint son apogée au moment du vote de 2005. Il est imprégné de la philosophie post-soixante-huitarde des mouvements alternatifs et écolos. Ces militants, qui sont essentiellement des intellectuels, pensent que c'est au niveau international voire supranational que les solutions doivent se trouver. Leurs slogans témoignent pour eux : «Un autre monde est possible», «Une autre Europe est possible». Ils défendent une réforme de l'intérieur à la fois des organismes européens et des organismes internationaux. Comme LO et le NPA, ils condamnent le «repli national». Et comme ce mouvement altermondialiste a énormément de succès à cette époque, les partis politiques vont s'imprégner de leur pensée.

Maintenant, revenons au Parti communiste français. Il faut commencer par rappeler que le PCF a longtemps été le parti le plus critique de la mondialisation et de la construction européenne. Il a compris le premier que l'Europe était un outil du libéralisme et du capitalisme. Les communistes ont longtemps lutté contre la monnaie unique. La souveraineté populaire ne pouvait s'exprimer, rappelaient-ils, que dans un cadre national. Leur discours était cohérent, efficace et incontestable lors du référendum sur Maastricht. Un traité voté, faut-il le rappeler, d'un cheveu.

Mais l'effondrement du bloc de l'Est a déstabilisé énormément le PC, tout comme le départ de Georges Marchais. Robert Hue, qui lui succède, souhaite aussi créer une nouvelle alliance avec le PS. Il l'affirme, dès son intronisation, dans le livre qu'il publie pour se faire connaître. L'histoire s'accélère en 1997, lorsque Jacques Chirac dissout l'Assemblée nationale. Lionel Jospin propose l'alliance avec le PCF à condition que le Parti arrête ses critiques contre des choix structurants du PS, notamment contre l'euro. Pour quelques maroquins, Robert Hue se couche. En quelques semaines, il signe avec le PS une déclaration commune dans laquelle ils proposent un «dépassement de Maastricht». Qu'est-ce que cela veut dire ? Pas grand-chose. A partir de là, le PC abandonne toute critique radicale de l'Europe et de la mondialisation. Il devient altermondialiste et espère, comme les militants d'Attac, une transformation de l'Union européenne ou de l'OMC «de l'intérieur». Pour être socialo-compatibles, les dirigeants du PCF vont devenir «euroconstructifs».

Reste le cas du Front de gauche, ou plutôt du Parti de gauche...

A.B. : Le Parti de gauche part de loin. Il est d'abord altermondialiste, il fait siennes les thèses d'une autre Europe possible. Mais, devant l'ampleur de la crise, les résistances de l'Allemagne et des lobbies des multinationales, ses membres commencent à intégrer la notion de désobéissance européenne. Ils s'aperçoivent qu'il est impossible de mettre en place un programme de gauche en respectant le traité de Lisbonne et le corset des directives européennes plus libérales les unes que les autres. Mais ils n'ont pas encore compris que c'était du tout ou rien, puisque le traité de Lisbonne a été inscrit dans la Constitution française. Il faut donc aller jusqu'au bout de la logique et restaurer la primauté du droit national sur le droit communautaire. Sur la question de l'euro, Le Parti de gauche évolue aussi. Au départ favorable à la monnaie unique, il veut aujourd'hui négocier avec les partenaires européens une application plus sociale, quitte à sortir de l'euro s'il n'obtient pas ce qu'il souhaite. Son malheur, c'est qu'il ne se rend pas compte que c'est avec ce type de stratégie que les socialistes ont trahi leurs engagements politiques à chaque victoire électorale. Les électeurs s'en souviennent et c'est pour cela qu'ils ne croient pas au Front de gauche et qu'ils font davantage confiance au FN qu'à lui.

Pour conclure, avec un tel livre, ne craignez-vous pas d'être traité de néoconservateur par un hebdomadaire comme le Point, voire d'archaïque par un Pascal Lamy ?

A.B. : Je prendrais cela comme un compliment.


La Gauche radicale et ses tabous. Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national, d'Aurélien Bernier, Seuil, 17 euros.

 
Repères bio

Né en 1974 à Orléans, Aurélien Bernier est un auteur d'essais politiques et de nouvelles et un militant de gauche. Ancien membre d'Attac, il collabore depuis 2006 au Monde diplomatique. Son premier ouvrage, le Climat otage de la finance (Mille et Une Nuits, 2008), décrit et dénonce le marché du carbone et la spéculation sur l'environnement.

En 2012, il soutient la compagne du Front de gauche et publie un nouvel essai : Comment la mondialisation a tué l'écologie (Mille et Une Nuits).

 
ADRESSE AU NPA ET À LUTTE OUVRIÈRE

Je trouve que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le NPA et LO plagient les tenants du libre-échange : le grand avantage de la mondialisation serait de fournir du travail aux populations les plus faibles. Evidemment, cette affirmation ne résiste pas à l'analyse, la mondialisation ne fait que déplacer des postes de pays à forte protection sociale vers des pays qui exploitent leurs salariés. Beau progrès ! Cette stratégie permet seulement d'exploiter les plus faibles en France, mais aussi dans les grands pays émergents, comme la Chine et l'Inde. En plus, le NPA et LO oublient que ces pays doivent leurs compétitivités au faible coût de leur main-d'œuvre et au non-respect des lois environnementales. Ces deux critères donnent à leurs classes dirigeantes un avantage extraordinaire dans le système de concurrence internationale. Il n'y a aucune chance qu'ils les abandonnent. Ils n'ont aucun intérêt à accroître les salaires, à développer des normes écologiques. A l'inverse, des mesures protectionnistes auraient des effets positifs. La baisse des exportations et donc de leurs revenus forcerait leurs élites capitalistes, leurs milliardaires, à développer leurs marchés propres, à accroître la demande intérieure, ce qui supposerait d'augmenter les salaires des plus faibles. Cette situation serait porteuse de luttes sociales, comme pendant les Trente Glorieuses en Europe. Comme les militants de ces deux partis, je souhaite l'émancipation des travailleurs chinois et indiens, mais j'ai la conviction que sortir de la mondialisation serait le moyen le plus efficace, le plus rapide, le moins violent d'améliorer leur sort.
 

 

 

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