Jeudi 17 avril, Vladimir Poutine a répondu aux questions de la population russe lors de sa traditionnelle « Ligne directe », retransmise à la télévision chaque année depuis 2001 (à l’exception de 2004 et 2012). Sur les quelque 2,5 millions de questions qui lui ont été adressées, Vladimir Poutine a choisi de répondre à 81, dont 35 concernaient la Crimée et l’Ukraine. Voici les cinq points à retenir de ces quatre heures d’intervention.
La Crimée et les « gentils hommes verts ». Mieux vaut tard que jamais : « Ce sont effectivement nos soldats qui ont apporté leur soutien aux forces de sécurité locales », a reconnu Vladimir Poutine, sourire malicieux en coin, tout en soulignant n’avoir jamais caché que le but de la Russie était « de garantir les conditions idéales pour les citoyens de Crimée, afin qu’ils puissent organiser un référendum et éviter l’arrivée de nationalistes ukrainiens ».
Rappelez-vous, à la veille du référendum de Crimée en mars 2014, la question était sur toutes les lèvres : mais qui sont ces soldats en « uniforme vert de l’armée russe », apparus soudainement et baptisés « gens polis » par la population, qui stationnent devant toutes les bases militaires ukrainiennes de la péninsule de Crimée ? Ne seraient-ils pas russes, par hasard ? « Foutaises !», avait répondu alors – le 5 mars – le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, face aux photographies de ces hommes armés « sans insignes » publiées par les médias étrangers au lendemain de l’obtention par le président russe, le 1er mars, de l’autorisation d’envoyer des troupes dans la péninsule.
Y a-t-il aujourd’hui des soldats russes dans l’Est ukrainien ?, se sont empressés de demander les journalistes à M. Poutine lors de cette ligne directe, profitant de l’excès de franchise du président. « Foutaises ! », a répondu ce dernier à son tour. Doit-on de nouveau comprendre « oui » ? La réponse dans les mois à venir…
L’Europe « de Lisbonne à Vladivostok ». « Au fond, les valeurs de la Russie ne diffèrent pas radicalement des valeurs européennes. Nous appartenons tous à une même civilisation. Oui, nous sommes différents, nous avons nos particularités, mais nos valeurs fondamentales sont identiques. Je pense qu’il faut nécessairement chercher à bâtir une Europe de Lisbonne à Vladivostok », a affirmé Vladimir Poutine, rejoignant le grand projet d’une « Europe forte et unie » soutenu autrefois par le général Charles de Gaulle.
À la différence près que, si le général français appelait à créer une alternative au monde bipolaire, le président russe, lui, se bat précisément contre l’instauration d’un régime mondial unipolaire, titillant ainsi son « partenaire américain ». « Rappelons-nous ce qui s’est passé en Irak, en Afghanistan, en Libye, etc., quand quelqu’un a tenté de rendre le monde unipolaire, et que ce pôle a eu l’illusion que la force armée suffisait à régler tous les problèmes », a notamment souligné M. Poutine.
« Ice-Crim(ée) ». « Vous savez que c’est comme ça qu’on surnomme l’Alaska, aujourd’hui ? », a plaisanté un journaliste, après avoir lu la question d’une retraitée sur un éventuel rattachement de cet ancien territoire russe à la Fédération. « Je sais, a répondu le président. Mais pourquoi voudriez-vous que nous récupérions l’Alaska ? 70 % des terres russes sont déjà situées dans le Nord, voire l’Extrême-Nord. L’Alaska n’est pas dans l’hémisphère Sud, si je ne me trompe. Il fait froid là-bas aussi ! »
Quand à la transaction qui avait conduit au rattachement de l’Alaska aux États-Unis, le président a préféré ne pas s’y attarder. « Ce territoire a été vendu aux États-Unis d’Amérique au XIXème siècle, pour 7,2 millions de dollars or. Je vous l’accorde, c’est un montant qui peut paraître dérisoire à l’heure actuelle », a simplement admis M. Poutine.
Sur écoute, version danoise. La vengeance est un plat qui se mange froid pour Vladimir Poutine. Interrogé sur la possibilité d’un dialogue UE-Russie sans la participation des États-Unis, le président russe n’a pas hésité à ressortir un vieux dossier, qui lui était resté à travers de la gorge.
« Le secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh Rasmussen m’a invité, à l’époque où il était Premier ministre danois, à venir discuter avec lui dans le cadre d’une rencontre spontanée. Par la suite, il s’est avéré qu’il portait sur lui, au cours de cet entretien, un dictaphone, et qu’il n’a pas hésité à publier le contenu de notre discussion dans la presse. Je n’en ai pas cru mes yeux ni mes oreilles ! M. Rasmussen a expliqué plus tard avoir enregistré notre entretien « pour l’historique » », a raconté M. Poutine, qui reproche toujours à l’ancien Premier ministre danois de ne pas l’avoir prévenu.
Gardée secrète jusqu’ici, l’histoire a eu l’effet d’un tremblement de terre au niveau international. Première à réagir : l’OTAN, qui a immédiatement démenti les accusations de V. Poutine, précisant dans la journée, par la voix de sa porte-parole Oana Lungescu, que « lors de son mandat de Premier ministre du Danemark, M. Rasmussen n’a jamais porté de dictaphone pour enregistrer le contenu de rencontres avec M. Poutine ou avec quiconque. »
Rasmussen en avait pourtant bien un, mais « involontairement », a toutefois révélé, le lendemain, le très sérieux quotidien danois Politiken. L’histoire remonte à 2002, à l’époque où le Danemark siégeait à la présidence de l’UE. Peu avant sa rencontre avec M. Poutine, M. Rasmussen s’était entretenu avec le journaliste Christoffer Guldbrandsen, qui tournait un reportage. Le Premier ministre danois portait pour l’occasion un micro-cravate, qu’il aurait « oublié d’enlever » avant de rencontrer le président russe. « Cette rencontre a été enregistrée et utilisée dans le cadre de mon reportage [« Fogh bag facaden », ndlr] », a déclaré Christoffer Guldbrandsen.
« Citoyens de seconde zone ». La crise en Ukraine a été un des sujets phares de cette « Ligne directe » édition 2014. Revenant sur l’histoire de l’Ukraine et des différences entre ses territoires, le président Poutine a livré sa lecture des humeurs pro-européennes des habitants de l’Ouest. « Une partie des territoires de l’Ouest ukrainien actuel appartenait autrefois à d’autres États – Tchécoslovaquie, Hongrie, Autriche, Empire austro-hongrois et Pologne. Ces États étant aujourd’hui membres de l’Union européenne, les Ukrainiens de l’Ouest se sentent appartenir à cette communauté. Ils oublient cependant qu’ils ont toujours été, dans ces pays, des citoyens de seconde zone », a analysé M. Poutine.