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2 mai 2014

Elections Européennes par J. Sapir

 

 

Elections Européennes

7 avril 2014
Par

Avec la formation du nouveau gouvernement, nous sommes d’ores et déjà entrés de plain-pied dans la campagne pour les élections européennes. Ces dernières ne suscitent, en général, que peu d’intérêt. C’est un tort, et il serait particulièrement dommageable qu’il en soit ainsi pour cette nouvelle échéance. L’enjeu de ces élections n’est pas mince. Cet enjeu va déterminer des choix électoraux qui seront, sans conteste, difficiles et délicats. Il convient ici de rappeler que ces élections concernent en réalité l’Union européenne et non l’Europe elle-même. On peut se sentir culturellement et historiquement européen et récuser  l’institution qui s’est appropriée le nom “d’Europe” mais qui est loin d’y correspondre.

 

Une Union Européenne à la dérive

Aujourd’hui, même les plus fervents défenseurs de l’Union Européenne admettent que cette dernière est à la dérive, et qu’elle sert, de plus en plus, de couverture aux seuls intérêts de l’Allemagne[1]. La poursuite de la politique d’austérité, mise en place explicitement pour « sauver l’Euro » sans imposer des coûts trop importants à l’Allemagne le souligne. Cette politique conduit aujourd’hui les pays d’Europe du Sud à la ruine et à la misère. Mais, d’une manière plus générale, l’UE souffre aussi de multiples défauts, qui sont devenus de plus en plus évidents avec le temps. Elle est obèse politiquement, elle est trop ouverte et sans autre ligne de politique industrielle que la fameuse « concurrence libre et non faussée », dont tout économiste un peu honnête doit reconnaître qu’il s’agit d’une contradiction dans les termes. Elle n’assure ni la sécurité économique aux peuples des pays membres, ni même la sécurité politique ; ayant été capturée par des intérêts qui poussent désormais à un affrontement avec la Russie, comme on a pu le voir à propos de la crise ukrainienne. À cette occasion, les dirigeants de l’UE, qui se targuent de respecter les droits de l’homme, n’ont pas hésité à apporter leur soutien à des groupes fascisants comme « Pravy Sektory » ou SVOBODA. Rappelons aussi que cette UE fut parfaitement incapable de nous éviter la crise financière de 2007-2008, et ceci en dépit de tous les discours sur « l’Europe protège ». Cette politique veut se continuer dans la signature prochaine du « Traité Transatlantique », qui établit les conditions d’un libre-échange généralisé avec les Etats-Unis et qui, de fait, impose que nos normes sociales et sanitaires s’alignent sur celles des Etats-Unis. On ne voit plus, alors, ce qui pourrait justifier le maintien d’une « Union Européenne » devant cette nouvelle abdication face à Washington.

L’Union Européenne peut par ailleurs être qualifiée d’organisation criminelle par la politique qui est menée par ce que l’on appelle la « Troïka » en Grèce et dans d’autres pays. Assurément, elle n’est pas seule. La « Troïka » est constituée de la BCE, de la Commission européenne et du FMI. Mais on doit reconnaître que le FMI s’est régulièrement opposé aux politiques menées par cette « Troïka », parce qu’il en prévoyait et en mesurait les conséquences. La responsabilité des malheurs immenses de ces politiques, qui se sont traduites par une forte augmentation de la mortalité en Grèce, et depuis quelques mois au Portugal, – et c’est pour cela que nous utilisons le qualificatif de criminel – sont de la seule et unique responsabilité de la Commission et de la BCE. L’UE porte aussi la responsabilité d’avoir fait entrer un mouvement néo-Nazi, Aube Dorée au Parlement Grec. C’est cela aussi qu’il faudra sanctionner dans ces élections.

 

L’inanité du discours « changeons l’Europe »

Dans ce contexte, il est clair que personne ne défendra l’UE « telle qu’elle est » et que les discours sur la nécessité de « changer l’Europe » vont se multiplier. Mais quelle peut être leur réalité ?

L’Union Européenne fonctionne avec trop de membres pour que des projets intéressants puissent voir le jour. C’est une réalité qu’une alliance est toujours plus lente et plus faible qu’un seul pays. Par ailleurs, la nature libérale de l’Union Européenne n’est pas seulement inscrite dans le projet européen dès le départ, mais correspond à la pente logique des négociations. Quand vous cherchez un compromis, il est toujours plus facile de le trouver sur une position de non-intervention, que ce soit dans le domaine économique ou social. Tout acte positif donne naissance à d’infinis marchandages qui, en retour, donnent lieu à de nouveaux contentieux. Outre le poids de l’idéologie libérale, le poids des intérêts particuliers des grandes firmes qui sont bien représentées à Bruxelles, il faut savoir que dans la logique d’une négociation le « point focal[2] » de cette dernière est très souvent trouvé dans la mesure la plus « libérale ».

L’Union Européenne n’est pas une institution hors contexte. Elle se meut dans un univers ou, par intérêt personnel comme par idéologie, les fonctionnaires qui la composent, et qui dans une large mesure décident des ordres du jour des réunions, sont acquis à l’idéologie la plus libérale. On rappellera que ces personnes vivent avec des salaires des plus confortables (qu’il ne leur est pas venu dans l’idée de baisser en solidarité avec les peuples qu’ils opprimaient). Prétendre changer l’Union Européenne revient à prétendre vouloir établir un autre contexte, et implique la volonté coordonnée d’une majorité de pays. Il est très clair qu’en raison de l’asynchronie des rythmes politiques dans les principaux pays, ceci est à l’heure actuelle complètement impossible.

On dira alors que ceci tient à la nature intergouvernementale de l’UE et que c’est la raison pour laquelle il faut aller vers une Europe fédérale. Mais ce raisonnement repose sur des bases erronées. Tout d’abord, il n’y a pas de peuple européen, que ce soit du fait de représentations politiques trop divergentes ou du poids des histoires trop enracinées. Seule la solution de l’inter-gouvernementabilité est possible si l’on veut préserver un minimum de démocratie. Par ailleurs, la solution fédérale exigerait aujourd’hui que l’on prélève massivement sur le revenu des plus riches (des Allemands pour faire simple[3]) pour alimenter ce « budget fédéral » que d’aucuns appellent de leurs vœux. La fédéralisation de l’Europe est un non-sens tant politique qu’économique.

Enfin, regardons qui prétend « changer l’Europe ». Ce discours va être tenu tant par l’UMP que par le PS. Or, aucun de ces partis n’a montré depuis plus de vingt ans une quelconque volonté en la matière. La seule manière de réellement « changer l’Europe » serait de provoquer une crise grave, en bloquant le processus décisionnel, que ce soit la France seule ou avec d’autres pays, jusqu’à ce que nous ayons obtenu satisfaction, du moins en partie. C’est ce que fit le Général De Gaulle dans les années 1960 avec la « politique de la chaise vide ».  Or, ni l’UMP ni le PS ne prônent une telle politique, ce qui établit un doute radical sur leur volonté réelle de « changer l’Europe ». On peut faire la même remarque avec le parti centriste UDI, les dissidents socialistes de “Nouvelle donne” ou avec les écologistes de EELV. Ajoutons que ces partis sont faiblement structurés, la proie du choc des ambitions personnelles et des conflits d’ego. Il faudrait être fou pour croire qu’une possibilité de changement puisse en émerger.

En réalité, le discours sur « changer l’Europe » se révèle être, que ce soit par dessein ou la conséquence des moyens proposés, un discours mystificateur. On ne change rien, mais l’on prétend vouloir changer pour légitimer des positions qui dans les faits ne changeront rien. Ce n’est même pas comme dans Il Gattopardo de Giuseppe Tomasi di Lampedusa « tout changer pour que rien ne change ». En fait ce n’est pas « changer l’Europe » qu’il faut, mais bien changer d’Europe. Et pour cela, il faut commencer par détruire ce qui dans l’UE empêche tout mouvement.

 

Deux points critiques

La pression peut être forte dans ces conditions pour refuser ces élections. C’est la position de certains, dont Jacques Nikonoff et le M’PEP. C’est une position honorable mais c’est une position erronée. Dans une élection, sauf à pouvoir en empêcher matériellement la tenue ou à obtenir un taux d’abstention dépassant les 90%, les absents ont toujours tort. Il faut donc définir ce qui va motiver le vote et quelles sont les listes qui pourraient en bénéficier, sachant qu’à priori ni l’UMP, ni l’UDI, ni le PS ni EELV n’en feront parties. Ces élections vont se faire dans la réalité sur deux points.

Le premier point est le fameux « Traité de libre-échange transatlantique ». Ce traité est néfaste sur plusieurs points, que ce soit parce qu’il retire aux États la compétence pour traiter de points essentiels comme la souveraineté alimentaire où la traçabilité en matière de médicaments (touchant ainsi à deux points clefs que sont l’alimentation et la santé), ou parce qu’il organise un abandon à peine déguisé de toutes les normes françaises ou européennes. Ce traité, Michel Sapin l’a affirmé dans une déclaration le 2 avril 2014, ne sera pas soumis à référendum. Il faut donc l’arrêter dans l’œuf, et ceci ne peut se faire qu’aux élections européennes.

Le deuxième point est, bien entendu, l’Euro et la politique d’Euro-austérité qu’il entraîne. On a largement développé depuis de nombreux mois tous les problèmes, tant conjoncturels que structurels, que pose l’Euro[4]. Depuis 2012, nombreux sont les économistes comme les politiques qui se sont rendus à ces conclusions[5]. Le débat est aujourd’hui général, et se développe de l’Italie au Portugal, en passant par l’Allemagne[6]. Il faut le redire, la seule manière de sortir du cercle vicieux de l’austérité et de la dette, c’est en dissolvant l’Euro. Le Parti de Gauche a infléchi de manière significative sa position vers une sortie de l’Euro au mois de février dernier sur la base de cet argument.

Dès lors, et compte tenu de la nature du scrutin, il conviendra de soutenir et de voter, selon ses préférences politiques personnelles, pour toutes les listes qui se prononceront sans ambiguïté contre ces deux points. Seule une défaite claire et nette des listes européistes (UMP, UDI, PS, « Nouvelle Donne » et EELV) peut permettre la clarification politique dont nous avons besoin, que ce soit en France ou en Europe. Il faut refuser d’envoyer au Parlement Européen des personnes qui ne feront que prolonger une politique qui n’a que trop durée.


[1]  Voir Delaume C., Europe, les États désunis, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2014 et Lordon F., La Malfaçon, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2014.

[2] Schelling T.C., The Strategy of Conflict, Harvard University Press, Cambridge (Mass.), 1960.

[3] Artus P., « La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l’Allemagne : rester compétitive au niveau mondial ? La réponse est oui », NATIXIS, Flash-Économie, n°508, 17 juillet 2012Sapir J., « Le coût du fédéralisme dans la zone Euro », in RussEurope, 10 novembre 2012, http://russeurope.hypotheses.org/453

[4] Sapir J., Faut-il Sortir de l’Euro ? Le Seuil, Paris, 2012.

[5] Outre de nombreux universitaires français comme Jean-Jacques Rosa, Gérard Laffay, Jean-Pierre Vesperini,  nous avons des Italiens représentés par Alberto Bagnai, Claudio Borghi Aquilini, Giuseppe di Taranto et Antonio Rinaldi (pour ne citer que des professeurs), des Allemands avec Hans-Olaf Henkel et Alfred Steinherr, des Espagnols avec Juan Francisco Martín Seco et Antoni Soy, des Britanniques Brigitte Granville, Peter Oppenheimer ou encore Christopher Pissarides de la London School of Economics, un ancien partisan de l’Euro, bref, comme aurait dit Victor Hugo « j’en passe et des meilleurs ». En France Lordon F., La Malfaçon, op.cit. est le dernier à avoir pris publiquement position., mais on notera aussi L. Faibis et O. Passet, « L’euro pour tous et chacun pour soi : le nouveau débat interdit »,  Les Échos, 23 décembre 2013, http://m.lesechos.fr/idees-et-debats/le-point-de-vue-de/l-euro-pour-tous-et-chacun-pour-soi-le-nouveau-debat-interdit-0203193619902.htm

[6] Avec la création d’un parti « anti-Euro » AfD, mais aussi les positions prises par O. Lafontaine.

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