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21 mai 2014

Un orchestre de trop à Radio France ?

 

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 Un orchestre de trop à Radio France ?

LE MONDE CULTURE ET IDEES | 25.04.2014 à 10h39 • Mis à jour le 25.04.2014 à 11h11 | Par

 

L'Orchestre national de France, lors des 50 ans de Radio France.
L'Orchestre national de France, lors des 50 ans de Radio France. | DR

 

 

Le 14 novembre 2014, Radio France aura, pour la première fois de son histoire, un auditorium capable d’accueillir pleinement ses deux phalanges symphoniques, l’Orchestre national de France et l’Orchestre philharmonique de Radio France. Construite pour un coût déclaré de 33 millions d’euros, cette salle de 1461 places, assortie du mythique Studio 104, rouvert après sa réhabilitation, devrait changer assez radicalement la donne : le « National » est aujourd’hui cantonné en sa résidence historique du Théâtre des Champs-Elysées, tandis que le « Philhar » se partage entre la Salle Pleyel et le Théâtre du Châtelet.

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Cette perspective, plutôt bien accueillie par les musiciens, n’est cependant pas sans susciter des inquiétudes. Dans un budget de la culture de plus en plus contraint, le rapprochement pourrait en effet poser la question d’une éventuelle fusion des deux orchestres. Un orchestre de trop à Radio France ? L’hypothèse, pour être quasiment taboue en interne, a été périodiquement envisagée. Les deux formations, qui comptent respectivement 120 musiciens pour le « National » et 141 pour le « Philhar », affichent officiellement en 2013 un taux de fréquentation du public de 77 %. Leur budget s’élève, chœur et maîtrise compris, à environ 8,5 % des 660,3 millions d’euros du budget de fonctionnement adopté en conseil d’administration par Radio France pour 2014. Les deux orchestres ne font certes pas partie du cercle fermé des vingt meilleurs mondiaux. Ils tirent néanmoins leur épingle du jeu sur l’échiquier international.

 

Reste que le climat en Europe est à l’austérité, voire à la restriction. Il y a vingt ans déjà que la Radiotélévision publique italienne (RAI) a regroupé ses quatre orchestres de Turin, Milan, Rome et Naples en un seul, basé à Turin. L’Allemagne, « pays de la musique », a, elle aussi, procédé à la fusion de quelques-uns de ses orchestres de radio. En 2007, la Deutsche Radio Philharmonie (DRP) a réuni l’Orchestre symphonique de la Radio sarroise (SR) et l’Orchestre radiophonique de Kaiserslautern (SWR). S’il suscite toujours des vagues de protestation, le mariage forcé de l’Orchestre symphonique du SWR de Baden-Baden et Fribourg avec celui de Stuttgart est maintenu pour 2016 — la perspective d’une économie de 5 millions d’euros pousse les Länder de Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat à faire la sourde oreille. Quant aux phalanges de la BBC, respectivement sises à Londres, Manchester, Cardiff et Glasgow, elles pourraient ne devoir leur survie qu’au fait d’être équitablement réparties sur le territoire britannique.

« UNE ÉPÉE DE DAMOCLÈS »

Les inquiétudes sont bien présentes, ainsi que l’a prouvé le préavis de grève déposé le 14 février par les syndicats CGT et SUD, alertés par un recrutement jugé insuffisant en regard des postes vacants — quelque 10 % des effectifs. « Dans une logique comptable et technocrate, il est toujours possible que le non-renouvellement des postes, adossé à une pyramide des âges croissante, dérive doucement vers une fusion des orchestres, constate le corniste Jean-Paul Quennesson, délégué syndical SUD et membre de la représentation permanente au National. L’analyse laisse dubitatif le jeune clarinettiste solo du « National », Patrick Messina : « C’est une épée de Damoclès brandie au-dessus de nos têtes depuis plus de trente ans, et le moment serait plutôt mal choisi : le projet autour du nouvel auditorium va en effet requérir toutes les forces musicales de la maison. » Une opinion que semble partager la directrice générale déléguée de Radio France, Catherine Sueur, qui souligne : « C’est un moment intéressant de la vie musicale à Radio France, qui devrait offrir aux orchestres de nouveaux développements. »

Les partisans de la fusion ont cependant un argument de poids. Depuis le début des années 1990, les deux phalanges ont souvent donné l’impression de se battre avec les mêmes armes sur les mêmes territoires. Le comble ? Des programmes en doublon, comme, en 2007, cette Neuvième symphonie de Dvorak, successivement interprétée par Kurt Masur au pupitre du « National » et Chung Myung-whun à la tête du « Philhar ». Problème d’ego, manque de concertation : de cette « guerre des chefs », que la direction de la musique s’est révélée impuissante à endiguer, a découlé le délitement progressif des identités singulières de chacun des orchestres.

Fondé en 1934, le « National » est d’emblée considéré comme un orchestre de prestige, ambassadeur de la culture française. De son côté, le Nouvel Orchestre philharmonique, né quarante ans plus tard du rassemblement de plusieurs formations après l’éclatement de l’ORTF en 1975, a pour vocation d’être un ensemble à géométrie variable, dévolu notamment aux œuvres à petits effectifs et à la création contemporaine. Les deux sont donc a priori complémentaires. Une logique que l’histoire des orchestres va peu à peu contredire, au gré d’évolutions contraires : alors que le « National » perd en vitesse, on assiste à une montée en puissance du « Philhar ». Le premier a troqué son glorieux monopole de quarante ans (jusqu’au départ de son chef Jean Martinon, en 1974) pour entrer dans une période moins prestigieuse, en dépit de grands chefs invités comme Leonard Bernstein ou Sergiu Celibidache.

MÉTAMORPHOSE

La crise de confiance ne sera pas enrayée par la nomination de Lorin Maazel en 1987, ni par la décennie Charles Dutoit (de 1991 à 2001). Dans le même temps, le Nouvel Orchestre philharmonique a peaufiné sa métamorphose sous la direction du Kapellmeister Marek Janowski. De 1984 à 2000, la jeune phalange décomplexée marche allègrement sur les brisées du « National » — le grand répertoire classique et romantique. La riposte (inachevée) de l’aîné aura lieu à l’aube des années 2000, sous le mandat de Kurt Masur, autre Kapellmeister à l’ancienne, avant Daniele Gatti, en poste depuis 2008. « Le National est dans une forme superbe, plaide aujourd'hui le percussionniste Florent Jodelet. Mais il pâtit de ne pas avoir de salle. Sans une acoustique appropriée, on perd les qualités du son d’un orchestre. Le retour, ou plus exactement notre arrivée à Radio France, est donc une chance. »

Tous veulent le croire, fatigués qu’ils sont aussi de courir les salles de répétition, dont certaines en commun, aux quatre coins de Paris : les Ateliers Berthier (Paris 17e), le Centquatre-Paris (Paris 19e), l’Opéra Bastille (Paris 12e), la Salle Colonne (Paris 13e). Pour autant, la future cohabitation relève d’ores et déjà de la diplomatie. Le maestro Gatti n’a-t-il pas fait valoir la priorité du « National » à disposer du nouvel auditorium ? Quant à savoir qui, de lui ou du maestro Chung Myung-whun, en assurera l’ouverture, mystère ! « Il règne quand même une odeur de poudre autour de la question de la légitimité de tant de musiciens au même endroit, reconnaît Jean-Paul Quennesson, qui pointe la période à haut risque où les deux directeurs musicaux seront là en même temps. Néanmoins, chacun est conscient de l’importance des enjeux futurs. « La raison finira par l’emporter, prophétise M. Quennesson, car le retour à Radio France ravive le sentiment d’appartenir à une même entité. Et puis nous avons tous une nouvelle page de notre histoire à écrire. »

Si l’éventualité d’un rétropédalage est unanimement écartée en ce qui concerne le « Philhar », beaucoup préconisent que le « National » renoue avec la musique française, qui est dans son ADN. « Cette redéfinition des identités des orchestres va demander un sérieux travail de marketing, remarque le trompettiste Jean-Pierre Odasso, membre de la représentation permanente du « Philhar ». On espère que cela passera par la fin de la sacro-sainte dictature des affiches et plaquettes de programmes communes ! »

Dans le mastodonte de l’avenue du Président-Kennedy, les regards des musiciens sont désormais tournés vers Mathieu Gallet, qui succédera à Jean-Luc Hees le 12 mai. « C’est le premier président mélomane depuis Roland Faure », se réjouit Jean-Pierre Odasso. Une partie du projet est déjà connue, depuis que M. Gallet s’est présenté devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui l’a nommé, le 27 février. Outre la négociation d’un nouvel accord d’entreprise, le prochain patron de Radio France souhaite une clarification des missions des orchestres, l’instauration d’un nouveau mode de gouvernance incluant l’administration et l’artistique, ainsi que la mise en place d’une véritable coordination entre les formations musicales et les antennes radiophoniques.

 

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