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22 mai 2014

Sarkozy et l’Europe: moi et le néant

Sur le blog de J SAPIR

Sarkozy et l’Europe: moi et le néant

22 mai 2014
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Dans le numéro 2175 du magazine Le Point, l’ex-Président Nicolas Sarkozy vient de faire paraître un long article sur l’Europe, qui complète et répond à la tribune que le Président François Hollande avait fait paraître dans le journal Le Monde[1]. Cette tribune, après un plaidoyer  pro Domo sur l’identité française (mais qui doute donc de celle de M. Sarkozy ?), s’articule autour de 5 points.

Le premier est l’affirmation que « l’Europe, c’est la paix ». On retrouvait la même affirmation dans l’article de François Hollande. Il est indiscutable que l’Europe occidentale a connu la paix depuis 1945. Ce ne fut pas le cas dans les Balkans, qui font partie de l’Europe, et qui ont été déchirés par des guerres pendant une dizaine d’année. Mais c’est aussi le cas de l’Amérique du Sud où les trois grands pays du Continent, l’Argentine, le Brésil et le Chili sont en paix depuis longtemps. A tout prendre, il y eut moins de conflits en Amérique Latine qu’en Europe au XXème siècle, même s’il y en eut, connus ou pas[2]. Cette situation particulière de l’Europe occidentale, on la doit à la coupure de l’Europe en 2 blocs qui résulta de la seconde guerre mondiale, puis à l’accession de la France au statut de puissance nucléaire qui gela définitivement toute possibilité de guerre en Europe occidentale. Par contre, l’Union européenne a eu un effet destructeur sur les pays à sa périphérie, ce que l’on a constaté dans les années 1990 avec l’ex-Yougoslavie, et aujourd’hui en Ukraine. Il est donc faux et mensonger de prétendre que seule l’Union européenne garantirait la paix, et cette paix existe sur des continents où il n’y a pas de grand projet d’Union. Cette affirmation est cependant courante chez les européistes. Elle sert d’argument d’autorité. Il est particulièrement grave qu’un ancien Président la reprenne et néglige de signaler le rôle éminent que joua, et que continu de jouer, la dissuasion nucléaire française dans l’équilibre européen, dissuasion dont il eut pourtant la responsabilité. Cela discrédite en partie son argumentaire.

Le second point qu’il souligne est le rôle de l’Europe pour « mettre à la raison » les dirigeants européens. Mais, où est la raison quand on voit les résultats de la politique économique européenne, et des mesures décidées par les différents chefs d’Etat, dont Nicolas Sarkozy, de 2009 à 2012 ? Le chômage atteint 28% en Grèce, 26% en Espagne, et il s’approche, en chiffres réels des 14% en Italie et en France. Où se trouve la raison quand on voit que l’Union européenne a été largement ouverte à la spéculation financière internationale, et qu’elle est incapable de s’en protéger ? Ce que Nicolas Sarkozy qualifie de raison, c’est la folie en réalité d’un système économique largement ouvert et complètement financiarisé. C’est cette folie, et les conséquences de cette folie, comme la pauvreté, le chômage, que refusent les peuples.

Le troisième point concerne le rapport de la France avec l’Allemagne. C’est un point important. Bien sur, nous sommes deux pays liés par l’économie. Nous l’étions déjà en 1914 ! En réalité, la démographie et la logique structurelle de nos économies ont divergé depuis longtemps. De cela, pas un mot. Soit notre Président l’ignore, et cela montre qu’il ignore les fondamentaux de la relation franco-allemande, soit il le cache, et alors il ment aux Français et aux Allemands (car son article est reproduit dans la presse allemande). C’est une attitude indigne, et dangereuse, de la part d’un ancien Président. Ce n’est pas sur cette base que se résoudra le conflit, car il faut l’appeler par son nom, qui existe entre l’économie française et l’économie allemande. Ce que propose Nicolas Sarkozy, c’est l’alignement pur et simple de la politique française sur la politique allemande, ce qui ne peut que détruire l’économie française.

Le quatrième point porte sur les accords de Schengen et une proposition de réforme. Que ces accords posent problèmes, il y a désormais consensus pour le reconnaître. Mais qui, honnêtement, peut croire qu’une réforme de ces accords va mettre fin à la crise économique inouïe que connaissent les pays de l’Europe du Sud ? C’est une réponse qui n’est même pas dérisoire, mais en réalité indigne aux problèmes des pays européens. Comment peut-on faire confiance à un homme qui, devant le feu qui ravage une maison va vous proposer d’en changer la serrure ?

Enfin, tarte à la crème ces derniers temps de la réflexion sur l’Europe dans le camp politique de Nicolas Sarkozy, la question des « deux Europe » constitue le cinquième point. Saluons l’étonnante sagacité d’une ancien Président qui a mis 15 ans (1999-2014) à découvrir que la création de l’Euro a institué une Europe à deux vitesses ! En réalité, les lignes de fracture qui parcourent l’Union Européenne sont bien plus nombreuses. Elles concernent certes la monnaie, mais aussi l’économie car la fracture issue de la Révolution Industrielle entre Europe de l’Ouest et Europe de l’est n’est toujours pas résorbée, elle porte sur la notion de droit, entre pays influencés par le droit anglo-saxon et pays de droit romain, elle est aussi démographique et elle porte sur l’histoire politique et culturelle. En fait, la création de l’Euro a fait éclater ces différentes divergences et les rend d’autant plus insurmontables que l’on a perdu le mécanisme d’ajustement que représentait la variation des taux de change. Cette multiplicité des Europes doit être affrontée dans un cadre réaliste si l’on veut pouvoir la résoudre. Mais sur ce point, on ne trouvera rien dans le texte de Nicolas Sarkozy qui ouvre ne serait-ce qu’une piste.

Ce texte apparaît donc pour ce qu’il est : un manifeste de propagande écrit à la veille d’élections qui risquent d’être désastreuse. Ce n’est pas une réponse aux problèmes réels qu’affronte le continent européen. On n’y trouvera rien sur les relations avec les Etats Unis et la Russie, qui sont pourtant des problèmes essentiels aujourd’hui. On n’y trouvera rien sur la question du chômage, de l’investissement (qui chute dramatiquement), sur la nécessité de retrouver une flexibilité monétaire entre pays pour permettre d’amortir les chocs économiques. Nicolas Sarkozy a écrit trois pages pour ne rien dire. Il fait son auto-promotion mais sur tous les sujets importants reste bien silencieux; cet article, c’est “moi et le néant”.


[2] Citons la Guerre du Chaco entre le Paraguay et la Bolivie au début des années 1930, ou le conflit entre le Pérou et la Colombie de 1932 et les conflits entre le Pérou et l’Equateur.

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