« L’Union européenne, c’est une dictature », balance Mimoun d’un côté. « On nous ment, il y a déjà des OGM en France », renvoie Marc de l’autre. Alors qu’entre deux références à Jacques Sapir, Philippe Muray ou Alain Peyrefitte, on parle d’interdire le « puçage des humains ». La parole va, vient, virevolte entre les six compagnons présents. « On a un peu réinventé le café du commerce », arbitre fièrement Matthieu Huck, le délégué départemental des Hauts-de-Seine, à l’origine de cette « réunion » bimensuelle.
C’est pourtant loin des bistros, sur Internet, que vous avez probablement déjà croisé ces militants. Impossible de leur échapper, ils y sont omniprésents. Espaces de commentaires des grands sites d’information, forums ou réseaux sociaux, leurs objections sont partout (y compris sur Marianne.net). Et vilipendent le plus souvent le travail de la « confrérie des journaleux parisiens », dont ils viennent de lire l’article, coupables d’une « omerta anti-démocratique vis-à-vis des Français ». Coupables de quoi ? D'abord de ne pas parler de leur parti. « C’est énervant d’être blacklisté, soupire Mickaël Le Martelot, facteur de 40 ans et membre de l’UPR depuis un peu plus d’un an. Ca peut pousser certaines personnes à se radicaliser, notamment sur Internet… »
Sur son mur à lui pourtant, le délégué national du parti invite ses abonnés à partager, avec « tous leurs contacts », un mail tout fait qui explique pourquoi « il faut voter contre l’Union européenne (et donc pour l’UPR) ». Des soirées militantes sont même organisées à chaque émission télévisée de débats politiques. Et là encore, le petit manuel du parfait cybermilitant est prêt à l’emploi : « interpeller et répondre » aux tweets des téléspectateurs, inclure des mots clés, « illustrer » ses messages par des liens bien précis renvoyant vers un site « d’éducation populaire sur la dé-construction européenne » et, bien sûr, retweeter les messages de François Asselineau.
Un bon soldat qui préfère Bach à Beethoven — « A cause de la 9ème symphonie mais surtout parce que c’est trop tonitruant » pour lui — et dont c’est la première bêtise. Celle de l’enfant sage qui veut se venger de ses parents et qui prévient : attention, je vais piquer un bonbon ! Qui aimerait bien se faire prendre, mais que personne ne regarde... Il voudrait être puni, qu’on parle de lui, même en mal, et de son parti, quitte à se faire gronder très fort : le FN, c’est pas juste, Ruth Elkrief en parle tout le temps !
Du coup, c’est lui qui parle tout le temps. « Je vous préviens, je suis très bavard. » On comprend mieux deux heures plus tard… Pas vraiment le format média, ni le genre à faire des discours endiablés. François Asselineau, c’est plutôt le style conférencier. « C’est un technocrate, regrette un militant de Périgueux. Il est formaté par l’ENA, à partir de là, il ne peut plus parler au peuple avec ses tripes. » Ses conférences durent quatre heures. Mais pour ses partisans, pas de quoi leur donner des hauts-le-coeur: « Si vous faisiez bien votre travail de journaliste, vous regarderiez toutes ses vidéos en entier », sermonne l’un d’eux sans plaisanter.
Des faits qu’il interprète parfois à sa manière. Comme le programme du CNR. Il a fait sienne la charte du Conseil national de la Résistance de 1944. En la revisitant… Le programme original veut établir « la démocratie la plus large en rendant la parole au peuple français par le rétablissement du suffrage universel ». La version UPR de la charte est, pour une fois, plus synthétique : il s’agit seulement de « rétablir la démocratie la plus large ». Elaguer des principes déjà généraux et s’ouvrir grand des tiroirs, dans lesquels on peut ensuite ranger des propositions plus ou moins concrètes qui vont de la « lutte contre toutes les formes de terrorisme, à commencer par le terrorisme des séparatistes régionaux » à la « renationalisation de TF1 » en passant par l'arrêt de « l'américanisation subliminale des esprits », le lancement d'une « grande politique publique de médecines douces et alternatives » et le « refus de la stigmatisation insidieuse des Français d’origine arabe ou de confession musulmane ». Il y a dans ce bric-à-brac de propositions quelque chose qui n'est pas sans rappeler Solidarité et progrès, la formation de Jacques Cheminade...
Les militants de l’UPR, eux, viennent de partout. Souvent issus de la classe moyenne, ils militent pour la première fois. Avant, ils votaient « MoDem, PS, Front de gauche, le plus à gauche possible », dit-on à Châtillon. Alors, la charte, c’est le socle de l’UPR : assez large pour les réunir tous et la seule chose dont ils acceptent de parler. « On a une charte, il y a des sujets dont on ne discute pas », assure Mathieu devant Mimoun qui s’étonne quand même de la loi sur le « mariage pour tous » : « Pour moi, c’est de la poudre aux yeux. La plupart des homosexuels ne voulaient pas de cette réforme. Et puis d’abord, si Hollande tient tellement au mariage, il n’avait qu’à l’épouser sa Trierweiler. » Mathieu sent la conversation dériver, alors il reprend la main. « Bon, on ne va pas s’attarder là-dessus… Il y a des questions plus importantes à traiter. » Comme celle des femmes en politique ? A l’UPR, il y en a peu. « Ca ne les intéresse pas !, reprend Mimoun. « Mais si ! », s'enhardit Julia, la trentaine, assise face à lui. Jusque-là passifs, ses yeux bleus sont en furie. Finalement, cette charte, c’est le meilleur moyen d’être d’accord sur tout.
L’UPR se veut donc « ni de droite, ni de gauche » mais un mouvement de « rassemblement ». De tous les Français. Mais n’a pas vocation à rester au pouvoir. « Une fois l’objectif atteint — restaurer la démocratie — on fera une fête d’adieu et ce sera fini ! », se réjouit déjà Marc. Ensuite ? Ensuite, c’est un peu chacun pour soi. Mickaël le Martelot, lui, finance aussi le projet Vénus. « C’est le rêve d’un scientifique qui milite pour une économie qui reposerait sur les ressources naturelles et non plus sur l’argent, explique-t-il sereinement. C’est l’idée d’une terre unifiée. J’y crois ! Dans Star Trek, c’est comme ça. Après, je ne sais pas quand ça arrivera. Star Trek, ça se passe au XXIIIème siècle… »
En attendant la bannière étoilée, c’est bien la cocarde tricolore qui décore les tracts de campagne de l’UPR. « Quand ma mère m’a montré ça pour la première fois, je me suis dit que c’était un parti de fachos, se souvient Julia. Mais ensuite, toute la famille a adhéré. » « Moi, je me suis fait traiter de facho », s’étonne Mathieu, en secouant ses cheveux longs. A force de parler du Front national, on hérite de ses ennemis...
Jaloux de la concurrence l’UPR ? Pour Mimoun, c’est tout l’inverse : « Marine Le Pen a plagié le discours d’Asselineau quand elle est passée dans l’émission Mots Croisés ! » Autour de la table, tous acquiescent. Alors Mimoun en rajoute : « Le FN pompe tout sur l’UPR. Sans Asselineau, il n’existerait peut-être même plus ! »