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28 juin 2014

MNEF et certains ELUS SOCIALISTES

L'EXPRESS

 

Mnef  , l'affaire qui inquiète le PS

Par Gaetner Gilles, publié le 29/07/1999

 

La justice n'arrête pas de découvrir des irrégularités dans la gestion passée de la mutuelle étudiante. Et tente d'éclaircir ses liens avec certains élus socialistes


Michel Charzat, Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Marie Le Guen, Georges Sarre, Dominique Strauss-Kahn, Daniel Vaillant... et bien d'autres. Ils sont légion, les socialistes, à voir désormais leur nom cité dans le dossier de la Mutuelle nationale des étudiants de France (Mnef), instruit depuis près d'un an par les juges parisiens Armand Riberolles et Françoise Neher

A priori, pourtant, à part Jean-Christophe Cambadélis, no 2 du PS, et Jean-Marie Le Guen, patron de la fédération de Paris, ces élus n'ont jamais entretenu la moindre relation avec la Mnef ou ses satellites. Alors, pourquoi apparaissent-ils? Simplement, ils ont fait appel, à l'occasion de leurs campagnes électorales, à une agence de communication, Policité, fondée en 1993 par un militant socialiste, Gérard Obadia, et gravitant dans l'orbite de la mutuelle étudiante (voir l'encadré sur Policité page 52). Or Policité, tout comme Efic, l'ancienne imprimerie de la Mnef, qui, elle aussi, a financé quelques élus dans les années 1990-1992, fait l'objet d'une information judiciaire conduite depuis septembre 1998 par les juges Riberolles et Neher (voir l'encadré sur les enquêtes en cours visant la Mnef page 51). 

Certes, ce n'est un mystère pour personne: la Mnef et ses filiales ont toujours entretenu d'excellentes relations avec le PS. La mutuelle étudiante a même servi de vivier, si ce n'est de laboratoire, pour les futurs caciques de ce parti. Ainsi, Cambadélis a été un temps administrateur de la Mutuelle interprofessionnelle de France, liée à la Mnef; Jean-Marie Le Guen, pour sa part, ami de longue date de l'ancien directeur général Olivier Spithakis, a occupé les fonctions de médecin-conseil de la Mnef (voir page 51). 

Alors que l'Hôtel Matignon suit de près cette affaire, qui risque de devenir embarrassante, les deux magistrats poursuivent au pas de charge leurs investigations sur la Mnef. Ils ont demandé à René Vacquier, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, les dossiers des candidats socialistes cités plus haut. L'objectif? Eplucher les fameuses factures Policité, ainsi que celles d'Efic. Mais les juges Riberolles et Neher tentent surtout d'y voir clair dans leur dossier principal: celui de la gestion de la Mnef, dirigée pendant près de quinze ans par Spithakis, qui s'est livré à une politique de diversification, de développement tous azimuts, aux contours parfois opaques. Désormais, "Spit" se trouve dans la ligne de mire des deux juges. Son audition est, dit-on, imminente. Tout comme celle de son conseiller financier, Wilson Bihi Zenou. 

 

Un authentique militant
En dix mois, l'instruction a progressé. Considérablement. Des têtes sont déjà tombées. Celles de Bruno Pelletier, ancien patron d'Efic, et de son associé, au passé plutôt sulfureux, Eric Berardengo.
Retour en arrière. 1985. Olivier Spithakis, fraîchement diplômé de Sup de co Marseille, devient directeur général de la Mnef, après en avoir été le trésorier. Spit est un authentique militant socialiste: dès 1981, sur la recommandation de Gaston Defferre, il organise les déplacements du candidat à la présidentielle François Mitterrand. Deux ans plus tard, le voici élu conseiller municipal d'Aubagne (Bouches-du-Rhône).
En 1985, donc, Olivier Spithakis prend les rênes de la Mnef, installée à Gentilly (Val-de-Marne). La mutuelle connaît une crise financière sans précédent. Spithakis impose alors une politique d'économies draconienne. Et ça marche: en 1987-1988, la Mnef affiche 100 millions de francs de bénéfices. 

Grisé par le succès, sans doute, Spithakis prend conscience de sa puissance: à 30 ans à peine, il gère la Sécurité sociale de 600 000 étudiants (à l'heure actuelle, plus de 800 000) et, surtout, il devient l'interlocuteur privilégié de ministres: ceux des Affaires sociales et de l'Education nationale, notamment. Petit à petit, Spithakis constitue ses réseaux, place ses hommes aux postes clefs de la mutuelle. Philippe Plantagenest, ancien président de l'Unef-ID, devient directeur de son cabinet; Jean-Marie Le Guen, l'ami de toujours, est promu médecin-conseil; Michel Proust, un vieux copain lui aussi, est nommé directeur du développement. Spithakis, soucieux de ses intérêts, ne s'oublie pas. Grâce à son conseil d'administration, qui ne lui refuse rien, il obtient un contrat de travail en béton. Jugez plutôt: en cas de départ, il a droit à trois mois de salaire brut par année d'ancienneté. Cette instance va jusqu'à l'autoriser à exercer des activités, sans aucune limite, dans les domaines suivants: agriculture, immobilier, transports, assurance... Spit se voit attribuer une rémunération annuelle de 697 230 francs. Ajoutée à d'autres revenus (immobiliers, notamment), elle tourne en réalité autour de 1 million. Spithakis sera même, une année durant, collaborateur salarié du député Jean-Marie Le Guen. 

Le directeur général de la Mnef ne manque pas d'ambition. Des projets et des bonnes idées, il en a plein la tête. Il crée la Carte jeunes afin que les 16-25 ans obtiennent divers avantages en France et en Europe, lance le programme Stag'Etud pour permettre l'insertion des jeunes diplômés, organise des campagnes de sensibilisation contre le sida. Il s'associe - via un holding de la Mnef, Raspail Participation et Développement - avec la Générale des eaux pour la création notamment de résidences étudiantes. A cette occasion, Dominique Strauss-Kahn, en tant que conseil de la Mnef, percevra, entre 1995 et 1997, 600 000 francs d'honoraires (TVA comprise). En l'état actuel de la procédure, rien ne permet cependant d'affirmer que l'actuel ministre de l'Economie ait bénéficié d'une faveur. En tout cas, son intervention a permis à la Mnef de récupérer 24 millions de francs. 

Parfois, Spithakis joue volontiers les mécènes pour le financement d'activités peu en rapport avec l'objet de la Mnef: ainsi, en 1992, cette dernière verse son écot à la Caravane des potes, Caravane de la paix. Elle règle le loyer de l'Unef-ID (243 000 francs par an) et finance l'Université de la paix à Sarajevo. Elle va jusqu'à subventionner le Stade toulousain, le club de rugby plusieurs fois champion de France (100 000 francs), et le club de foot d'Istres (Bouches-du-Rhône), ville dont l'élu n'est autre qu'un proche de Spithakis, François Bernardini, à l'époque dirigeant de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. 

Le patron de la Mnef sait aussi joindre l'utile à l'agréable. Passionné de bateau, il fait acheter - via Bruno Pelletier - un voilier, le Derya (voir l'encadré).
Efic: autopsie d'un fiasco
C'est en 1990 que Spithakis commet son premier faux pas. Il tient en quatre initiales: Efic. Cette imprimerie a repris en 1985 Abexpress, très liée au mouvement trotskiste l'OCI (Organisation communiste internationaliste), qui se trouve en pleine déconfiture: ses pertes atteignent 5 millions de francs. Au fil des ans, la Mnef, qui fait réaliser bon nombre de travaux par Efic, entre dans le capital de celle-ci. Philippe Plantagenest en devient le PDG. Mais la gestion effective d'Efic est confiée à un autre proche de Spithakis, Bruno Pelletier. Tous deux se connaissent depuis l'âge de 14 ans. Pelletier a eu quelques soucis avec la justice lors d'une première affaire de financement politique (Radio Nostalgie), instruite à Lyon en 1987. Spithakis jure aujourd'hui qu'il ignorait ce passé encombrant. 

La mission de Pelletier? Remettre à flot Efic. Si le premier exercice (1990-1991) est excédentaire, le second tourne au fiasco: les frais sont artificiellement gonflés, le papier est surfacturé. De plus, Pelletier puise dans la caisse d'Efic pour ses dépenses personnelles. En effet, il fréquente assidûment une boîte de nuit à Paris, où il a rencontré une ravissante créature qui souhaite pousser la chansonnette. Qu'à cela ne tienne! Pelletier crée une maison de production, financée par Efic, pour éditer un CD de la jeune femme. Il en coûtera à l'imprimerie quelques centaines de milliers de francs! 

De plus en plus incontrôlable, Pelletier s'associe, en 1991, à l'un de ses vieux copains, Eric Berardengo, qu'il a présenté à Spithakis. Un sacré pedigree que celui de Berardengo: condamné à huit ans de prison pour hold-up, en 1983, c'est un ancien militant d'extrême droite qui a bourlingué comme mercenaire en Rhodésie. Berardengo devient donc directeur commercial d'Efic. En principe. Car il passe son temps à faire des fausses factures. Les bénéficiaires? Sa propre société, EBC Conseil, qui, à ce petit jeu, gagnera 1,3 million de 1991 à 1993. Pelletier n'est pas oublié: les entreprises qu'il dirige de près ou de loin percevront près de 2 millions de francs. En tout, en trois ans, Efic versera sans contrepartie plus de 8 millions!
En 1992, enfin, Spithakis découvre - c'est ce qu'il nous a affirmé - la situation calamiteuse d'Efic. Et aussi le passé douteux de Berardengo. Le directeur général de la Mnef prend peur. D'autant plus que les élections législatives de 1993 approchent. La gauche risque de les perdre. Efic est mise en liquidation. Mais elle renaît sous une nouvelle dénomination: Spim. Laquelle continue à entretenir des relations privilégiées avec la Mnef, puisqu'elle réalise avec cette dernière 85% de son chiffre d'affaires. Que ce soit pour l'impression de cartes de visite, de papier à en-tête ou de certains formulaires de Sécurité sociale. 

 

Tracts et journaux de campagne
Adieu, donc, Pelletier et Berardengo. Le premier part pour Miami, en Floride, où il ouvre un restaurant; le second va travailler pour une compagnie aérienne à Madagascar comme chef d'escale... Fini aussi, le financement politique. Ce rôle est désormais dévolu à Policité, qui voit le jour en 1993. Sa mission? Toujours la même: fournir tracts, affiches, journaux de campagne et professions de foi aux candidats socialistes ou du Mouvement des citoyens. Ainsi, dès les législatives de mars 1993, Daniel Vaillant, actuel ministre des Relations avec le Parlement, sollicite cette agence. Deux autres candidats parisiens font pareillement: Christophe Caresche, député de la capitale depuis juin 1997, et Yvette Davant, épouse du président de la Fédération nationale de la mutualité française. Deux ans plus tard, lors des élections municipales, Policité devient quasi incontournable à Paris. De nombreux candidats ont recours à ses services. C'est le cas de Georges Sarre (montant de la prestation: 28 430 francs), de Roger Madec et de Michel Charzat, maires respectifs des XIe, XIXe et XXe arrondissements de la capitale. Dans la banlieue parisienne, le PS fait également appel, en 1995, à Policité. Ainsi Claude Dilain, qui conquerra la mairie de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), ou Dominique Strauss-Kahn, qui sera élu maire de Sarcelles (Val-d'Oise). La facture qu'il règle à Policité est minime: 23 720 francs.
Mais le client - presque attitré - de Policité s'appelle Jean-Marie Le Guen. A l'occasion des municipales de 1995, il paie 110 085 francs à l'agence de communication. Réglés en cinq factures. L'actuel député de Paris récidive deux ans plus tard, lors des élections législatives, où il commande pour 55 000 francs de travaux à Policité. L'Express a tenté de joindre Jean-Marie Le Guen. En vain: il se trouve en ce moment en mission en Asie avec la commission des Finances de l'Assemblée nationale. 

Pratiquement tous les candidats parisiens du PS aux législatives d'il y a deux ans bénéficieront du concours de Policité: Dominique Bertinotti, Jacques Bravo, Jean-Christophe Cambadélis, Lyne Cohen-Solal, Jean Tiberi, Patrick Bloche et Pierre Castagnou. C'est la fédération de Paris du PS qui prend en charge - ce que la loi autorise - la totalité des prestations de Policité. Notamment lors de la réalisation de plusieurs milliers de cartes postales à l'effigie des candidats. Montant global de la facture, en date du 30 avril 1997, référencée sous le n° 9704024: 43 555,50 francs. Pourtant, détail (apparemment) curieux: cette facture semble imputée à chaque candidat. S'agit-il d'une erreur? 

En tout cas, toutes ces prestations intéressent les juges Riberolles et Neher. A priori, aucun reproche ne peut être formulé à tous ces candidats. Les paiements ont bien été effectués - qui plus est, comme la loi l'exige, par leurs mandataires financiers ou les associations de financement. Seulement voilà: les deux magistrats se demandent si les prestations bien réelles fournies par Policité n'auraient pas été, d'aventure, sous-facturées. Pour une raison toute simple: éviter que les dépenses de campagne ne dépassent le plafond fixé par la loi. Les magistrats souhaitent aussi connaître la nature exacte des liens existant entre Policité et la Mnef. Ils souhaitent enfin savoir si Gérard Obadia a informé, en son temps, Olivier Spithakis de ses prestations. 

Quoi qu'il en soit, dans ces années 1994-1997, le directeur général de la Mnef est au sommet de sa puissance. Il contrôle tout. Ne préside-t-il pas neuf sociétés commerciales liées de près ou de loin à la Mnef? Pourtant, une première alerte a eu lieu, le 17 février 1994. Le président de la Commission de contrôle des mutuelles, André Holleaux, a en effet adressé une lettre inquiétante à la présidence de la Mnef. Certes, il reconnaît que le plan de redressement engagé en 1987 a produit des effets positifs, mais il note que "la Mnef a développé ces dernières années un ensemble complexe et coûteux de filiales, participations, associations qui suscitent des interrogations quant à sa maîtrise et à son opportunité". Remarque prémonitoire. Car cette politique de diversification et ses dérapages, décortiqués quatre ans plus tard par la Cour des comptes, conduiront la justice à enquêter sur la Mnef. 

Sa gestion se voit sévèrement épinglée. Le fonctionnement du conseil d'administration? "Ses comptes rendus ne fournissent aucune trace d'un débat sur le principe même de la diversification et encore moins sur son ampleur et ses points d'application." Le contrat de travail d'Olivier Spithakis? "A bien des égards, exorbitant au regard du droit commun." Les relations avec les fournisseurs? Certes, la Mnef n'est pas soumise au Code des marchés publics, mais, note la cour, "cette liberté de contracter ne justifie pas que les responsables d'un organisme mutualiste, gestionnaire d'un régime de sécurité sociale, ne s'efforcent pas de remplir leurs missions au moindre coût". Enfin, la Spim, qui a succédé à Efic? "Elle n'est pratiquement jamais mise en concurrence." 

Aucun nom de bénéficiaire
Au milieu de l'année 1998, ce rapport est transmis au parquet de Paris. Lequel ouvre une information judiciaire. Les jours d'Olivier Spithakis à la tête de la Mnef sont désormais comptés: en septembre, il quitte la direction générale de la Mnef. Pour lui succéder, celle-ci fait appel à Jacques Delpy, ancien directeur général de l'Agence nationale pour l'emploi. Jadis membre du club Jean-Moulin, Delpy a occupé les fonctions de trésorier de l'Association des anciens de l'Unef. Bref, c'est un homme qui connaît bien le monde étudiant. Dès son arrivée à la Mnef, Delpy constate, lui aussi, un certain nombre de dysfonctionnements: retard dans les dossiers de remboursement, faible productivité des agents, coût élevé des filiales mises en place par Spithakis, etc. Delpy, qui s'est depuis constitué partie civile, prend également connaissance des relations entre Policité et la Mnef. Et aussi de l'explosif dossier Efic. Quant au contrat de travail de Spithakis, il le trouve - comme la Cour des comptes - ahurissant. Aussi refuse-t-il de lui régler ses indemnités de licenciement (finalement, à la suite d'un arbitrage d'un ancien magistrat de la Cour de cassation, Spithakis obtiendra en partie gain de cause). 

Au fil des mois, la situation de Spithakis semble devenir infernale. En janvier 1999, un coup de théâtre vient obscurcir un peu plus son horizon. Bruno Pelletier, retrouvé à Lomé, au Togo, est en effet placé en état d'arrestation provisoire à la demande des juges Riberolles et Neher. Il reste six mois détenu, dans des conditions déplorables. Interrogé à plusieurs reprises, tant à Lomé qu'à Paris, il se montre peu bavard. Tout au plus reconnaît-il avoir rédigé des fausses factures et avoir été "viré comme un malpropre". Quant aux éventuels bénéficiaires de libéralités accordées à certains élus socialistes, il ne révèle aucun nom. Jusqu'à quand? En attendant, son avocat, Me Jean-Robert Nguyen Phung, du barreau de Montpellier, a demandé l'annulation de la procédure. D'abord parce que Pelletier a subi, en janvier 1999, une garde à vue de sept jours au Togo - ce qui est illégal - et ensuite parce que le juge d'instruction de Lomé l'a interrogé, au début d'avril, en dehors de la présence d'un avocat. 

Quant à Olivier Spithakis, qui ne doute plus d'être convoqué prochainement par les juges Riberolles et Neher, il fait de longues balades à cheval dans sa propriété du Castellet (Var). Il est sans illusions. Il confiait à L'Express, au début de mars 1999: "Je suis prêt. Je n'échapperai pas à la préventive." Et d'ajouter, avec une dose d'humour: "J'ai même prévu une paire de tongs, pour ne pas glisser lorsque je prendrai ma douche." Mais il n'en démord pas: aucune faute pénale dans sa gestion de la Mnef ne peut lui être reprochée. "Ce n'est pas moi, aime répéter Spithakis, qui ai inventé le capitalisme." Aux juges, désormais, d'apprécier. 


En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/informations/l-affaire-qui-inquiete-le-ps_634465.html#PTJYA2xF6GspG50D.99
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