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30 octobre 2014

Discours de Valdaï." Poutine, un westphalien à toute épreuve" par Yannick Jaffré

 

Françoise Compoint

 
Discours de Valdaï. Poutine, un westphalien à toute épreuve
Discours de Valdaï. Poutine, un westphalien à toute épreuve
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Le dernier discours de Vladimir Poutine au club Valdaï a surpassé de par sa force celle de Munich en 2007.

Bien que les thèses avancées par le Président russe s’inscrivent toujours dans une optique polycentrique, souverainiste et rationnellement respectueuse du droit international, il n’en demeure pas moins que le développement qui leur a été donné la semaine dernière est sans précédent.

Poutine, aurait-il lancé un défi aux USA, considérant que le traitement actuel du dossier ukrainien ne laisse plus aucune place aux formules hautement diplomatiques ? La nouvelle idéologie d’Etat russe, permettrait-elle enfin de faire face, avec beaucoup plus d’efficacité qu’auparavant, au néo-impérialisme thalassocratique anglo-saxon et notamment à la théorie du Heartland mackindérien ou encore du containment de Kennen qui en sont les expressions les plus révélatrices? En serait-on venu à un stade où l’hégémonie transatlantique serait dépassée par l’ascendance économique des BRICS, si bien que la Russie n’hésite plus à dévoiler le jeu des puissances dites démocratiques en pointant du doigt, argumentaire détaillé à l’appui, les responsables d’un chaos déjà si peu contrôlable qu’il pourrait conduire à une guerre généralisée ?

Yannick Jaffré a plus d’une corde à son arc. Agrégé de philosophie, auteur d’un livre aussi édifiant qu’original intitulé Vladimir Bonaparte Poutine, il nous a livré son analyse du discours de Poutine au dixième forum du club Valdaï.

 

La Voix de la Russie. Le dernier discours de Poutine au club Valdaï a frappé plus d'un par sa tonalité. En effet, le Président russe remet en cause, clairement et radicalement, les fondements du leadership américain et la manière dont celui-ci s'opère. Pourquoi maintenant? La coupe, serait-elle sur le point de déborder? Peut-on considérer qu'il s'agit d'une réaction au discours d'Obama où ce dernier a comparé la menace russe à celle que présente l'EI ou le virus Ebola?

Yannick Jaffré. Je crois que cette déclaration d’Obama qui d’ailleurs est tout à fait symptomatique de la façon dont les USA, leurs alliés occidentaux et, pour ma grande honte, les Français conçoivent les relations internationales, n’a certes pas arrangé les choses. Ceci dit, je pense qu’en l’occurrence Poutine réagit à l’attitude américaine et européenne au cours de la crise ukrainienne et plus généralement encore à la conception du monde monopolaire ou maniaco-polaire qui est celle des atlantistes.

En effet, ladite conception détruit les conditions de cette rationalité qui devrait définir les relations internationales en garantissant la conservation d’un horizon de paix sans pacifisme. On passe par les rapports de force mais on ménage les portes de sortie. Or, la rhétorique obamienne fait penser à celle de Laurent Fabius lorsqu’il dit que « Bachar el-Assad ne mériter[ait] pas d’être sur terre » (août 2012). Elle détruit ainsi les conditions d’un dialogue diplomatique qui n’est certes pas un dialogue angélique mais qui permet à l’adversaire ou à l’antagoniste de formuler sa propre réponse. Or, quand on incarne le Mal absolu, quand on ne mérite pas d’être sur terre, ce droit nous est automatiquement refusé.

Je préciserai, pour ponctuer cette réflexion, que Poutine me semble encore plus dur vis-à-vis de l’UE que vis-à-vis des USA nonobstant leur rôle de meneur à l’échelle mondiale. Poutine n’a pas lancé dans ses discours d’appels forts en direction de l’UE, celle-ci étant au contraire l’objet de ses critiques. Il y a une belle mention vers la fin d’un partenariat entre l’Europe occidentale et l’Eurasie mais une mention assez peu accentuée, constat qui me semble être l’inflexion principale de ses discours.

La Russie a été profondément déçue par l’attitude de l’UE au cours de la crise ukrainienne. Les Européens ont joué aux va-t-en-guerre en renforçant une crise qui était parfaitement évitable et dont Poutine a énuméré d’une façon succincte les étapes de l’escalade provoquée par l’action conjointe de l’UE et des USA. A cet égard, on pourrait évoquer l’affaire du coup de fil entre Poutine et Barroso il y a quelques mois. Ce dernier avait affirmé que le Président russe était prêt à entrer à Kiev. En réalité, Poutine qui répugnait à parler directement au Président de la Commission européenne considérant qu’il n’était pas un chef d’Etat, avait fait remarquer qu’il se trouvait dans une posture de négociations et qu’il pourrait être à Kiev dans 15 jours. La déclaration de Barroso est tout aussi emblématique que celle d’Obama que vous avez évoquée. Elle témoigne du refus occidental d’entamer un dialogue raisonnable et raisonné avec la Russie.

LVdlR. "La prospérité des USA repose en grande partie sur la confiance des investisseurs et des détenteurs étrangers de dollars et de valeurs mobilières étasuniennes. Cette confiance est mise à mal et des signes de désillusion quant aux fruits de la mondialisation sont maintenant visibles dans de nombreux pays". A votre sens, peut-on interpréter cette phrase comme une allusion (entre autres) au fait que la Chine puisse finir par bouder la dette étasunienne? Si c'est le cas, à quoi rime-t-elle?

Yannick Jaffré. Je ne pense pas qu’il s’agisse exactement de cela. Les intentions des dirigeants chinois me semblent assez opaques dans leurs détails mais claires dans leur généralité. La Chine étend son Empire au moyen de lois qui sont plutôt celles de la pénétration économique. Effectivement, les banques chinoises pourraient mettre en défaut les USA mais je ne crois pas que cela soit dans leur intérêt immédiat, surtout que les liens entre les élites chinoises et les USA mériteraient sans doute d’être éclairés par de véritables journalistes qui feraient leur travail.

Je pense que Poutine essaye de créer à travers l’Organisation de coopération de Shangai et les BRICS une alternative au pétrodollar et aux excess dollars mais il est difficile de dire quelle est l’attitude de Pékin à cet égard.

En tout cas, quand Poutine en appelle dans son discours de Valdaï à la rationalité libérale du marché global qui est rompue par la logique des sanctions infligées par les USA et leurs alliés à la Russie, il essaye de retourner le libéralisme à l’envoyeur libéral et de construire des aires de cohérence économique qui échappent à la mainmise américaine.Mais tant que le dollar reste la monnaie de référence internationale soutenue par la puissance militaire des USA, les entreprises de Poutine – et il en a conscience – auront des effets limités.

Pour en revenir à la mise en défaut des USA par les banques chinoises, je n’y crois pas pour le moment. Ce qui en revanche est flagrant, c’est l’inspiration quasi-gaulliste de Poutine. Le remplacement en 1965 de l’étalon OR par le dollar avait suscité chez le Général des inquiétudes tout à fait prémonitoires dont on a pu constater depuis le bien-fondé : un pays, les USA, peut produire la monnaie d’échange de référence autant qu’elle le juge bon suivant ses intérêts. Il semblerait donc que Poutine essaye de contrer ce phénomène en impliquant la Chine mais étant assez sinosceptique je ne suis pas vraiment convaincu de ses succès dans l’immédiat.

LVdlR. Poutine parle de résoudre le dilemme entre les actions de la communauté internationale et les principes de la souveraineté nationale (clin d'œil à l'Ukraine). On peut se demander si ce dilemme est résoluble en pratique. Le gouvernement russe, croirait-il encore qu'une réactualisation d'Helsinki soit possible?

Yannick Jaffré. Il y a plusieurs aspects à relever sur ce point. Je l’écris dans l’ouvrage que je lui ai consacré (Vladimir Bonaparte Poutine, NDLR), Poutine est un westphalien, c’est-à-dire un tenant de la souveraineté nationale et territoriale ce qui est son attitude la plus constante. Il y a en effet une contradiction potentielle entre ce principe et ce qui serait le droit international ou une convergence internationale qu’il réfère à Helsinki. Assez curieusement, il y a comme une trace d’un Poutine soviétique derrière un Poutine westphalien. Ceci étant, je pense qu’il faut inscrire cette contradiction apparente dans une conception plus large. Poutine est westphalien. Il est diplomate et juriste et tient donc à la conception de l’équilibre des forces contre le messianisme américain aggravé par la situation d’hyperpuissance solitaire des USA portés à déifier leur mission hier au nom de Dieu, aujourd’hui, au nom des droits de l’homme.

Il me semble donc que Poutine aspire à former un espace intellectuel encadrant la rigidité du droit international en vue de contester le manichéisme des conceptions atlantistes. Pratiquement parlant, il s’agit pour lui de laïciser ou de rationaliser les rapports internationaux qui sont marqués par une logique religieuse. Ce n’est plus au nom de Dieu que l’on justifie aujourd’hui un certain nombre d’interventions militaires mais au nom de l’Homme et de ses droits. Dans ce cadre-là que Poutine conteste, on est condamné au manichéisme. Pourtant, Carl Schmitt, et bien d’autres avant lui, avertissaient qu’il fallait toujours considérer l’ennemi comme relatif et développer un discours qui puisse être entendu par un pair, c’est-à-dire un être humain. Pas un Dieu ou un Homme en général mais par d’autres nations, à savoir par l’ennemi.

Dans le cadre qui est celui que définissent les interventions américaines depuis 25 ans, il n’y a pas de dialogue possible. Il n’y a que le Mal, aspect qui exclue tout discours diplomatique et rationnel. C’est bien cette vision réductionniste que Poutine conteste et c’est bien dans cet esprit qu’il brandit la logique du droit international malgré la prédominance sous-jacente des rapports de force qui sont à sa racine.

Je pense donc que la maxime de Poutine n’est pas celle de l’impératif catégorique kantien selon lequel les principes de l’action d’une personne doivent fonder une morale universelle mais que le sens de cette maxime avoisine une stratégie qui pousse l’adversaire à reconnaître ta force et à accepter ton droit dans la mesure où tu reconnais le sien ou, a minima, fait en sorte que tu puisses revendiquer ton action devant un tiers, c’est-à-dire en l’occurrence l’ensemble des nations dans un contexte de multilatéralité, d’où la référence à l’ONU. Non pas que Poutine soit particulièrement épris du cadre des Nations Unies mais celui-ci permet malgré tout de construire une véritable multilatéralité.

Il y a en parallèle une référence à Helsinki qui à son tour s’inscrit dans une double référence à la guerre froide puisque, d’une part, Poutine semble considérer que les USA s’arrogent d’une manière abusive le titre de vainqueurs de cette guerreet que, de l’autre, ils la perpétuent puisqu’il leur faut des ennemis imaginaires, par exemple l’Iran, la Russie ou les rogue States (les Etats voyous) du début des années 2000. C’est en ce sens qu’Helsinki lui paraît une référence employable. Mais en pratique je suis d’accord avec vous, cette référence est quelque peu obsolète ce qui n’amoindrit nullement la portée du discours prononcé par Poutine.
Lire la suite: http://french.ruvr.ru/radio_broadcast/5646129/279388184/

 

 

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