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1 novembre 2014

FRANCE ALLEMAGNE - Trois contrats de ventes d'armes françaises bloqués par Berlin

Le Point.fr


Publié le 30/10/14 à 08h03

 

Trois contrats de ventes d'armes françaises bloqués par Berlin

En violation d'accords bilatéraux formels, le ministre allemand Sigmar Gabriel interdit des ventes d'armes françaises. L'expert François Heisbourg revient sur les enjeux de ce dossier.

François Hollande et Angela Merkel. François Hollande et Angela Merkel. Walschaerts / Sipa

 

Une crise encore discrète, mais très sérieuse, a surgi entre la France et l'Allemagne. Cette dernière refuse depuis l'été d'autoriser les exportations d'armes de fabrication française, quand elles contiennent des composants allemands. À ce stade, trois contrats seraient concernés, ce que les autorités françaises et les industriels confirment en partie, sans entrer dans les détails. Il s'agirait d'un contrat de vente de missiles antichars Milan ER de nouvelle génération, produits par MBDA et achetés par le Qatar, dont la "tête militaire" est fabriquée en Allemagne. Deuxième contrat évoqué : celui de véhicules blindés Aravis, produits par la firme Nexter, dont le châssis est de fabrication allemande. S'agissant de cette affaire, des rumeurs non vérifiées évoquent une livraison partielle faisant fi de l'opposition allemande. Troisième cas litigieux : la vente d'hélicoptères Cougar d'Airbus Hélicoptères à l'Ouzbékistan. Cette fois, la boule optronique de l'appareil, fabriquée en Allemagne, serait concernée.

La politique appliquée par le gouvernement allemand et avalisée par la chancelière Angela Merkel est en fait imposée par son ministre de l'Économie Sigmar Gabriel, par ailleurs dirigeant du parti social-démocrate SPD membre de la coalition. Expert des affaires stratégiques, François Heisbourg - expert des relations internationales et stratégiques et conseiller à la Fondation pour la recherche stratégique - revient pour Le Point sur une crise qui prend de l'ampleur et qui pourrait avoir des conséquences gravissimes sur la coopération industrielle franco-allemande en matière d'armements, centrale dans le secteur des missiles (MBDA) ou des hélicoptères (Airbus Hélicoptères), mais également dans de nombreux autres domaines.

Au ministère français de la Défense, on n'entre pas dans le détail de cette nouvelle crise, en se contentant d'observer que le ministre Jean-Yves Le Drian est très actif sur ce dossier, et en phase avec son homologue allemande Ursula von der Leyen - qui n'a pas son mot à dire sur les ventes d'armes, du ressort exclusif de son collègue de l'Économie.

Le Point.fr : Que savez-vous des contrats concernés par les interdictions allemandes d'exporter du matériel militaire français comprenant des composants allemands ?

François Heisbourg : Il ne m'appartient pas d'être trop spécifique, mais on évoque deux contrats pour des pays du Golfe, l'un pour des missiles antichars, l'autre pour des véhicules blindés, ainsi qu'un contrat d'hélicoptères de manoeuvre pour l'Ouzbékistan. Chacun de ces cas est différent. Toutes les facettes de la coopération militaro-industrielle franco-allemande sont concernées par cette affaire. Elle n'est pas un incident de parcours. Et elle est d'autant plus sérieuse qu'elle est née d'un problème interne à la coalition allemande. Ministre de l'Économie, Sigmar Gabriel - également patron des socialistes du SPD - refuse les ventes d'armes dont il exerce la tutelle... Ce qui devrait pouvoir se régler au sein du cabinet entre SPD et CDU met en fait Sigmar Gabriel en porte à faux avec le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, membre du même parti que lui !

Pourquoi ce problème est-il si sérieux ?

Parce que c'est toute une architecture industrielle qui se trouve mise en oeuvre. L'autre jour à Berlin, le patron d'Airbus Tom Enders expliquait qu'il allait devoir fabriquer des hélicoptères militaires "german free", sans composants allemands ! Le problème est majeur, massif et devrait normalement empêcher toute nouvelle coopération entre la France et l'Allemagne en matière d'armement. Voilà la réalité du problème ! Si ces trois contrats capotaient, je ne vois pas les raisons faisant qu'il en irait autrement, les Français continueraient à coopérer avec les Britanniques, mais plus avec les Allemands... C'est très lourd. Cette affaire est potentiellement gravissime.

Les Allemands exportent plus d'armes que les Français. Voudraient-ils les gêner sur ces marchés ?

Lors d'une très récente visite à Berlin, j'ai été saisi par ce que m'ont dit des responsables de PME allemandes soulignant l'existence d'un réseau très dense de partenariats et de sous-traitances industrielles entre les deux pays. Ils se plaignaient amèrement de l'indétermination dans laquelle ils se trouvent plongés, du fait du bras de fer entre Sigmar Gabriel et les partenaires majoritaires de la coalition. Non pas sur cette affaire franco-allemande, mais sur les ventes d'armes en général. Le responsable politique qui en a la charge, c'est le ministre de l'Économie, c'est Sigmar Gabriel. Or, tous les signaux qu'il envoie sont pour dire : les ventes d'armes, c'est le mal ! M. Gabriel en veut en réalité autant aux exportations allemandes qu'aux exportations françaises...

Les accords Schmidt-Debré sont-ils sujets à interprétation ?

Si les accords entre les ministres de la Défense français et allemand sont signés en 1971 et 1972, c'est que les coopérations entre les industriels des deux pays mis en oeuvre dans les années cinquante et soixante débouchent alors sur la production et sur l'exportation. Michel Debré et son homologue Helmut Schmidt parviennent à la conclusion que des règles du jeu s'imposent. Celles-ci ne sont pas compliquées. L'article 2 dit ainsi : "Aucun des deux gouvernements n'empêchera l'autre d'exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers du matériel d'armement issu de développements ou de productions menés en coopération." Ce n'est pas très ambigu... Ce même article invite les deux partenaires à agir "dans l'esprit de la coopération franco-allemande". Quant à l'article 5, très important, il précise que les matériels concernés sont alors les missiles Milan, Hot, et Roland, le radar Ratac et les avions Transall et Alphajet, "ainsi que les projets futurs en coopération, sauf si les accords particuliers qui les régissent en disposent autrement". Il n'est nul besoin d'avoir fait du droit pour comprendre que les accords Schmidt-Debré s'appliquent à toutes les productions futures ! Par exemple ce Milan ER que la France souhaiterait vendre dans le Golfe. Les accords Schmidt-Debré s'y appliquent sans aucun doute. Sauf à considérer que l'esprit des relations franco-allemandes aurait changé !

Excluez-vous cette hypothèse ?

Je ne l'entends chez aucun Allemand... Mais peut-être que le fait pour la France de n'avoir pas respecté le pacte de stabilité entre-t-il en ligne de compte ! On se trouve avec ce blocage dans une situation très originale.

Que doivent faire les politiques français ?

De ce que j'en sais, les Français ont fait le job. À tout le moins au niveau ministériel. Des délégations sont allées à Berlin, mais je suis étonné que les industriels ne semblent pas beaucoup bouger. Ces syndicats patronaux comme le GICAT, le CIDEF, entre autres, n'ont pas élevé la voix, alors qu'il est temps de crier au loup ! Je ne sais pas expliquer ce silence. Auraient-ils oublié ces accords pourtant essentiels ? Je n'ignore pas, bien sûr, que la France est demandeuse vis-à-vis de l'Allemagne sur des sujets économiques lourds et je serais très surpris que le président de la République se soit lui-même emparé du dossier. N'oublions pas non plus qu'en criant fort, la France soulignerait son déséquilibre croissant avec l'Allemagne.

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