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4 novembre 2014

Éric de Montgolfier : la désillusion d'un proc

Sur LE POINT

 

Le Point - Publié le 25/10/2014 à 15:36

L'ancien procureur de la République, jeune retraité d'une longue carrière dans la magistrature, dénonce l'arrogance des élites dans son nouveau livre.

Éric de Montgolfier, ancien procureur de la République du TGI de Nice, ici en 2011 dans ses bureaux. Éric de Montgolfier, ancien procureur de la République du TGI de Nice, ici en 2011 dans ses bureaux. © BEBERT BRUNO/SIPA

Tous les juges ne sont pas des petits pois. Esprit libre pour certains, donneur de leçons pour d'autres, Éric de Montgolfier ne cherche en tout cas pas à être aimé. Celui qui s'est fait connaître en dénonçant le pouvoir de la franc-maçonnerie s'attaque maintenant à l'arrogance des élites. L'ancien procureur de la République est à la retraite depuis juin 2013. Il raconte les coulisses d'une longue carrière dans un ouvrage au nom qui claque comme une gifle : Une morale pour les aigles, une autre pour les pigeons*. Entretien.

Le Point.fr : Dans votre livre, vous vous demandez s'il n'y a véritablement rien à espérer des hommes lorsque leurs intérêts sont en cause. Avez-vous trouvé la réponse ?

Éric de Montgolfier : Je crois que les appétits parlent toujours plus fort que les consciences. Il y a statistiquement peu de personnes prêtes à sacrifier quelque chose qui les avantage. Par exemple, on ne peut pas demander à un ministre membre d'un parti de mettre quelqu'un de son parti en difficulté. La principale qualité de la justice, c'est son humanité. C'est aussi ce qui fait son imperfection. Elle est piégée entre sa nature humaine et la volonté des politiques qui cherchent à en faire un outil servile. La neutralité n'est réclamée que lorsqu'il s'agit d'adversaire. Un jour que je donnais une conférence publique à Saint-Raphaël, je suis accueilli chaleureusement par un des adjoints au maire. Je monte à la tribune et fais mon intervention dans laquelle je dis ce que je pense des élus. En redescendant de l'estrade, le type me dit : "Dites donc, vous n'êtes pas tenu à une obligation de réserve ?" Amusant, non ? À la vérité, j'ai servi la justice pendant quarante ans, et accomplir mon devoir n'a pas soulagé ma conscience. J'aurais aimé quitter l'institution une fois qu'elle serait devenue ce que je rêvais de voir. Hélas, après quarante ans de carrière, je ne suis pas parvenu à avoir une image de l'homme plus valorisante... La justice, je ne l'aime pas pour ce qu'ils en ont fait, mais pour ce que je voudrais qu'elle soit.

Comment expliquez-vous l'inflation de condamnations d'élus ?

Longtemps, l'impunité a favorisé la corruption des élus et, maintenant, se faire condamner est devenu un label, que les juges distribuent à tour de bras. Dans les années soixante-dix, il y a eu une volonté de rééquilibrer la justice. Jusqu'ici, ceux qui détenaient le pouvoir étaient libres de leurs mouvements. Historiquement, ils avaient pris de mauvaises habitudes. Fouquet a été puni par où il avait péché. Regardez Richelieu, Mazarin et Jacques Coeur... Nous sommes un pays qui est resté très latin, dans lequel la corruption est un phénomène naturel. Il y en a beaucoup moins qu'il ne pourrait y en avoir. Il existe pourtant le fameux article 40 du code de procédure pénale qui dispose que "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs".

Or, le problème des procureurs est précisément que l'information ne leur parvient pas. Bien sûr, nous avons parfois des courriers anonymes, ce qui n'est pas toujours reluisant. Mais c'est comme ça que j'ai découvert un jour que des fonctionnaires de la PAF (Police aux frontières, NDLR) faisaient passer des immigrés clandestins directement dans une machine à rayon X pour les bagages. Lorsque j'en ai parlé aux services de l'État concernés, j'ai découvert qu'on "n'avait pas cru utile" de me déranger pour ça. La justice est sous-informée et les préfets manquent à leurs obligations en conservant des informations dont on pourrait avoir l'utilité, sur des prises illégales d'intérêt par exemple. Il me vient une autre anecdote qui illustre bien le débat moral qui peut freiner l'information : dans les années quatre-vingt-dix, Toyota s'installe à Valencienne, zone sinistrée par le chômage. L'entreprise japonaise achète un terrain et, lors des premiers travaux, on retrouve des vestiges. Cela aurait normalement dû déclencher des recherches archéologiques qui auraient retardé le chantier. Si on me le disait, cela retardait, voire compromettait, la construction de l'usine, et remettait en cause le retour de l'emploi de centaines de personnes... Je l'ai su plus tard par des canaux moins officiels !

Pourquoi avez-vous fait ce choix - étrange - de juger ?

J'avais un père chef d'entreprise qui me racontait des affaires de corruption avec une grande décontraction. Il présidait un comité interprofessionnel du logement et dépendait à ce titre des permis de construire délivrés à l'époque par la DDE. Je me souviens qu'un jour, il avait appelé le directeur. Lorsque mon père lui a demandé s'il partait en vacances, le directeur avait répondu : "C'est impossible, au prix où sont les pneus." Mon père lui avait tout simplement fait porter un train de pneus. J'étais adolescent, cela m'avait secoué.

Selon vous, les élites vivent déconnectées de la réalité ?

Une bonne partie, oui. Lorsque j'étais en poste à Chambéry, un soir, le représentant de la chambre départementale des huissiers de justice m'appelle et m'explique que l'un de ses confrères a été mis en joue par un fermier alors qu'il venait pour saisir sa dernière vache. Je vais donc sur place et, en arrivant, je vois une Porsche. Je demande à qui elle appartient et on me répond que c'est celle de l'huissier ! Si ça, ce n'est pas un signe de l'arrogance du pouvoir... À Nice, cela m'a toujours frappé, on ne se cache pas. Il y a un restaurant qui jouit d'une grâce extraordinaire : sa terrasse, c'est le trottoir, à tel point que c'est la chaussée qui est devenue piétonne. Cela n'est pas normal. Peut-être que comme Sarkozy et beaucoup d'élus y viennent, le restaurateur s'est senti protégé ? Cela me choque. Tout ce qui est inégalité arrogante est une attaque contre la justice. Et elle nous met mal à l'aise, nous, les juges. Il faudrait que l'on apprenne la déontologie à l'école de la magistrature. Dans Le Palais indiscret, Jean-Paul Lacroix raconte cette petite anecdote : le tribunal doit juger une voyante. L'oeil goguenard, le président l'interroge : "Puisque vous lisez l'avenir, dites-moi à quoi le tribunal va vous condamner." Elle répondit : "Le tribunal va me relaxer, car je ne connais pas un magistrat digne de se moquer de celui qu'il va condamner." La liberté de parole du magistrat ne doit pas le dispenser d'exemplarité.

Qu'est-ce qu'un intouchable ?

Il y en a beaucoup, du moins le croient-ils. J'ai reçu un courrier d'un parlementaire, ancien magistrat, qui m'écrivait pour "interpeller mon attention" sur la situation d'une de ses connaissances qui s'était rendue coupable de je ne sais quelle infraction... Il attendait que je classe l'affaire. Je lui ai fait une autre faveur : j'ai accéléré la procédure pour la faire comparaître plus vite devant le tribunal ! Autre exemple, je vois un jour arriver dans mon bureau un gros entrepreneur du coin. Il me dit "je sais que vous admirez beaucoup ma maison qui a une vue imprenable", ce que je confirme. Il poursuit : "Il faudra que je vous invite à dîner avec votre épouse." Puis il en arrive au véritable motif de sa visite : il s'était fait arrêter pour excès de vitesse et venait me "demander conseil". Je lui ai donc conseillé de payer son amende, par chèque. Croyez-moi, j'attends toujours mon invitation à dîner !

Il m'est aussi arrivé d'avoir des amendes. Un jour, je m'étais garé sur une place réservée aux handicapés, je n'avais pas vu la signalisation. J'ai commencé à discuter avec l'agent. Le fonctionnaire me répond : "Adressez-vous au procureur." Il se trouve que j'étais le procureur. Eh bien, j'ai payé mon amende, comme la loi me le demandait.

Que faut-il changer ?

Je pense qu'il faut renoncer au modèle d'école de la magistrature. Il a vécu. L'égalité du concours est fictive : la plupart de ceux qui le réussissent sont passés par une prépa payante. Il faudrait aussi un Conseil supérieur de la magistrature (CSM) rénové et doté de moyens réels. Ceux que j'appelle "les soutiers de la magistrature" sont bien peu représentés, alors que les corps d'élite sont, eux, surreprésentés. Par ailleurs, au nom de quoi le président de l'Assemblée nationale, celui du Sénat, ainsi que le bâtonnier peuvent-ils nommer des personnalités ? Il y a peu de respect pour cette trilogie chère à Montesquieu, qui pourtant a plus de sens que jamais. La démocratie ne peut être efficace qu'avec fermeté. La justice ne pourra pas continuer comme cela.

Retrouvez les chroniques d'Éric de Montgolfier sur Le Point.fr

 

* Une morale pour les aigles, une autre pour les pigeons, par Éric de Montgolfier, paru chez Michel Lafon, 296 pages, 19 euros.

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