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21 novembre 2014

Pourquoi quitter l’Europe pour la Russie ? : l’expérience d’une top manager

Sur LE COURRIER DE RUSSIE

 

Pourquoi quitter l’Europe pour la Russie ? : l’expérience d’une top manager

 

Natalia Parmenova, directrice exécutive de SAP CEI, concepteur de logiciels à destination des entreprises, et mère de deux enfants, a renoncé à une carrière en Suisse pour vivre et travailler à Moscou. Elle ne regrette pas son choix.

sap

Siège de SAP à Walldorf, en Allemagne – Crédits : Wikipedia

Ces vingt dernières années, j’ai vécu dans plusieurs pays. J’ai quitté la Russie en 1997 dans le cadre d’un programme pour jeunes spécialistes. À l’époque, je travaillais à Saint-Pétersbourg pour l’entreprise RJ Reynolds (anciennement usine de tabac Ouritski), qui envoie régulièrement de jeunes employés au siège afin qu’ils s’y fassent une expérience. Après avoir réussi le concours, je me suis donc rendue à Genève. J’ai travaillé en Suisse et terminé mon MBA à l’INSEAD. Après mes études, je suis entrée chez SAP en Allemagne et, en 2001, je suis retournée à Moscou après avoir accepté l’offre alléchante d’un CDD chez SAP CEI. Comme l’entreprise commençait à se développer intensivement en Russie, j’avais un travail de création. J’étais directrice des ventes et du développement stratégique. Nous avons créé la structure de l’entreprise, qui n’existait pas en Russie sous la forme cohérente et définitive qu’elle avait depuis longtemps en Allemagne. Il a fallu faire en sorte que la machine soit prête à croître et à s’étendre. Ça a été un travail intéressant.

Russie

Natalia Parmenova

Je suis restée deux ans en Russie et, lorsqu’on m’a proposé un CDI, s’est alors posée la « question des enfants ». Dans ma tête, être directrice des ventes et devenir mère étaient deux choses tout à fait incompatibles.

Pourtant, je n’étais pas prête à quitter mon travail. C’est pour cette raison que mon mari et moi avons décidé de repartir en Europe et de nous concentrer pour un temps sur la famille plutôt que sur la carrière. J’ai vécu et travaillé huit ans en Suisse, où sont nées mes deux filles et où j’étais responsable d’un des plus gros clients de SAP dans le monde. La dernière année, j’étais chargée des relations de l’entreprise avec les banques.

Il y a trois ans, nous avons décidé de rentrer en Russie. Pendant un an environ, mon mari et moi avons réfléchi au meilleur endroit où vivre pour notre famille biculturelle : Grande-Bretagne (mon mari est Anglais) ou Russie ? Nous avons finalement opté pour la Russie. La priorité, pour moi, ce sont mes enfants – des emplois intéressants, il y en a partout.

Pourquoi ai-je quitté l’Europe pour la Russie ?

De nouveau, les enfants ont été la raison principale. Genève et Lausanne sont des villes cosmopolites. Outre l’ONU, on y trouve beaucoup de grosses sociétés et de familles mixtes. Vers l’âge de dix ans, une distinction nette s’opère, chez l’enfant, entre le temps passé en famille et en société. La journée, les enfants parlent français, et le soir, ils parlent avec leurs parents les langues de ces derniers.

Moi, j’ai envie que mes enfants et moi parlions la même langue – ma langue maternelle, c’est une partie de moi. Évidemment, c’est également possible à l’étranger. Mais au fur et à mesure que les enfants grandissent, cela devient plus compliqué. Par ailleurs, il est important que nous ayons une culture commune : que mes filles répondent la même chose que moi à la question « Pourquoi Napoléon a-t-il perdu la guerre ? ». Bien sûr, ce n’est qu’un exemple anodin, mais il me permet d’illustrer que, s’il est important pour tout un chacun de développer un sentiment d’appartenance, il est important pour moi de sentir que mes enfants et moi formons un tout.

J’ai envie que mes filles lisent les mêmes livres (en fait, qu’elles lisent tout court !), connaissent les mêmes personnages que moi : Denis Korabliov [héros de films soviétiques pour enfants, ndlr], Fifi Brindacier, Karlsson [autre personnage créé par l’auteur de Fifi Brindacier, ndlr] et Vinni Poukh. Nous leur achetons des livres en russe pour qu’elles assimilent ce pan culturel. À côté, il y a la culture du papa, qui doit aussi être mise en valeur. Il était donc difficile de trouver suffisamment de place pour une troisième culture et langue.

Aujourd’hui, mes filles ont 9 et 7 ans. Elles parlent couramment plusieurs langues : l’aînée – trois, la cadette, deux. Comment ont-elles vécu le déménagement ? Elles n’avaient que 6 et 4 ans lorsque nous sommes arrivés à Moscou – l’âge idéal. La meilleure ville, pour elles, c’est celle où se trouvent leurs parents. Nous discutons parfois ensemble de ce qui nous (leur) manquait – et nous sommes tous convaincus d’avoir fait le bon choix : elles sont très attachées à leurs cours de danse, de musique, de théâtre. Sans oublier l’école.

J’ai été à l’école et à l’université en Russie. Je suis la preuve vivante que le système éducatif y est bon.

Lorsque je discute avec des personnes de mon âge originaires de France, de Suisse et d’Allemagne (trois pays où j’ai vécu), je réalise qu’elles connaissent moins bien que les Russes la littérature de leur propre pays, sans parler des mathématiques. En Suisse, par exemple, personne n’a lu Friedrich Dürrenmatt, alors que je l’ai lu en version originale. Et en Allemagne, tout le monde ne connaît pas Heinrich Böll, et encore moins Hermann Hesse.

musée

Musée historique d’État, à Moscou – Crédits : Wikipedia

En outre, j’ai pu constater que la Suisse, par exemple, avait bien moins à offrir que Moscou en matière d’activités pour les enfants – musique, danse, couture, sport. Et ce qu’elle offre coûte cher. Mes filles suivent des cours de musique – à Moscou, ces leçons sont gratuites, on propose simplement aux parents de contribuer à hauteur de leurs moyens, le niveau est très haut et les professeurs excellents.

On ne trouve rien de tel en Europe, et ce, quel que soit le prix qu’on y mette.

Mes filles prennent beaucoup de plaisir à danser avec d’autres enfants dans leur troupe, fondée par des professionnels de Beriozka [troupe de danse folklorique russe, ndlr] – vous vous rendez compte du niveau ? Nous allons au théâtre presque toutes les semaines. Nos préférés : le Teatrium na Serpoukhovke et le Bolchoï. Et le nombre d’ateliers proposés dans chacun des musées de Moscou est ahurissant. Nous avons choisi celui de couture traditionnelle au Musée historique. Nous le suivons depuis deux ans déjà.

Beaucoup de mes proches ont essayé de me dissuader de revenir en Russie – ils me disaient que l’éducation n’y était plus ce qu’elle était, et que la sécurité et la nourriture laissaient à désirer.

Mais je savais que nous n’avions besoin que d’un appartement confortable, d’une bonne école d’enseignement général, d’une école de musique réputée et d’une cour avec de la verdure. Et on peut facilement trouver tout cela à Moscou : nous l’avons, et je suis actuellement comblée – tant sur le plan professionnel que familial.

On m’interroge souvent sur les embouteillages et sur la météo. Mais des embouteillages, il y en a partout : vous n’imaginez pas à quel point on s’amuse, parfois, entre Lausanne et Genève… Et pourtant, il n’y a pas grand monde qui habite par là-bas… Et la météo ? Nous savions avant de venir que nous ne serions pas au bord de l’océan… Personnellement, j’aime la neige. Mes enfants aussi. L’environnement ? L’être humain crée son environnement lui-même. Et si on prend la théorie des probabilités, il y a plus de chances d’être bien entouré parmi 12 millions de personnes que parmi 500 000 ! Plus sérieusement, « l’herbe est toujours plus verte ailleurs »… Mais cette illusion est hypertrophiée chez les Russes. Sans raison. Je ne comprends pas cette idée et je la partage encore moins – et je suis bien placée pour en parler.

On me parle de la nourriture et la qualité de l’air.

J’aborde ces questions avec philosophie. La situation environnementale n’est pas pire à Moscou que dans les autres mégapoles. À New York, par exemple, c’est à peine si on peut se promener en été, à cause de l’air conditionné des voitures qui fonctionne 24h/24. Quant à la nourriture, tout dépend de ce que l’on mange. Si on cuisine, il faut acheter ses légumes, ses fruits et sa viande au marché. Tout y est frais et sain. Lorsqu’on me demande si nous ressentons l’effet des sanctions, je réponds : pas du tout. Nous achetions et nous continuons d’acheter des légumes et des fruits arméniens ainsi que de la viande de Kalouga et des produits laitiers russes.

La Russie dispose d’atouts financiers considérables. L’impôt sur le revenu n’y est que de 13 % – pour 33 % en Suisse, et 52 % en Allemagne. Faites le calcul.

La crise ? Elle ne touche pas que la Russie, et je me rappelle parfaitement combien il faisait « bon » vivre en Suisse en 2008…

Et ensuite ? Mes filles doivent encore aller respectivement 7 et 9 ans à l’école. Elles le feront ici et décideront ensuite elles-mêmes où elles iront. La Russie a de très bons établissements d’enseignement supérieur pour certaines spécialités. Tous les pays en ont.

J’ai vécu 15 ans en tout à l’étranger, et je suis d’accord avec l’adage qui dit que l’herbe est plus verte dans le pré du voisin. Quand on visite un pays en touriste, on s’extasie sur l’herbe verte, la cuisine raffinée et l’architecture.

Mais la vie, ce n’est pas du tourisme.

En creusant un peu, on se rend compte d’une loi universelle : tous les pays ont plus ou moins la même proportion de personnes remarquables et ordinaires. Le principal est de savoir ce que l’on veut et de connaître ses priorités. Si on aime l’escalade, on ne s’installe pas dans les plaines allemandes et, si on préfère le ski nautique, autant ne pas déménager à Moscou. Pour le reste, le bonheur est accessible partout.

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