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19 décembre 2014

Le pacificateur et l’agresseur

Sur LCDR

Le pacificateur et l’agresseur

Si le Kremlin parvient à faire chuter la tension dans la guerre civile en Ukraine, Moscou pourrait non seulement obtenir les Mistral, mais aussi renouer le dialogue avec l’UE, et Paris pourrait jouer le rôle de principal intermédiaire dans ce processus


Traduit par : , source : Guevorg Mirzanian, Expert publié Vendredi 19 décembre 2014
 

« Nous devons éviter que d’autres murs nous séparent », a déclaré François Hollande à Vladimir Poutine lors de sa visite-express dans la capitale russe, le 6 décembre dernier. Alors que Paris tente de rétablir le dialogue entre Russie et UE, Berlin continue de durcir le ton face à Moscou. La revue Expert analyse les stratégies adoptées par la France et l’Allemagne sur la résolution du conflit ukrainien.

La visite de Vladimir Poutine en France. Crédit : kremlin.ru

La visite de Vladimir Poutine en France. Crédit : kremlin.ru

La question des Mistral n’est pas d’une importance critique pour la Russie. Un certain nombre d’experts russes considèrent que les navires français ne sont pas adaptés à la flotte de la Fédération, et qu’un éventuel refus de la France de les livrer n’aurait aucune influence sur la capacité de défense du pays. D’autres analystes estiment pour leur part que, dans sa situation financière actuelle, la Russie aurait plus à gagner à obtenir les pénalités de plusieurs milliards pour non-livraison que les navires eux-mêmes. « Si les Mistral sont livrés, nous serons heureux. Dans le cas contraire – si l’on nous verse une compensation – nous serons heureux aussi », a ainsi déclaré l’ambassadeur de la Fédération de Russie en France, Alexandre Orlov.

Certes, la Russie devra réclamer cette compensation en justice, mais il est peu probable qu’elle n’obtienne pas satisfaction. « Il y a un contrat, et il possède une force juridique. Tous les débats politiques autour de cette affaire, selon moi, se briseront sur le mur de la force juridique du document », a fait savoir Maria Zakharova, directrice du département de l’information et de la presse du ministère russe des affaires étrangères.

D’un autre côté cependant, Moscou comprend que la livraison des Mistral aurait une signification politique cruciale. En obtenant l’exécution de ce contrat, Moscou emporterait une victoire symbolique sur les forces qui lui sont opposées et prouverait l’impossibilité d’une consolidation antirusse de l’Occident. En outre, la livraison des porte-hélicoptères constituerait un signal désagréable à l’adresse de Kiev : le pouvoir ukrainien verrait que la position de l’UE dans le conflit qui l’oppose à la Russie est en train de changer et, peut-être, commencerait de se conduire de façon plus responsable.

François Hollande dispose de suffisamment de temps encore pour trouver une issue à cette question. Les conditions du contrat autorisent la France à reporter la livraison du premier Mistral de trois mois (soit jusqu’en février 2015). La Russie est prête à attendre. « Tout nous va, ce sont les Français que ça n’arrange pas ; nous attendrons, a déclaré le vice-ministre russe de la défense, Iouri Borissov. Tout est mentionné au contrat, et nous agirons en correspondance avec ce document, comme des gens civilisés. »

Vraisemblablement, le Kremlin suppose que le président français attend simplement un moment opportun pour livrer le navire. Ce moment pourrait être la signature d’un nouvel accord de cessez-le-feu dans le Donbass entre les insurgés et le pouvoir de Kiev. La Russie fait actuellement tout son possible pour que le conflit en Ukraine soit suspendu en hiver. Moscou impose notamment aux insurgés de négocier avec Kiev et contraint les commandants de guerre insoumis à quitter les républiques populaires de Donetsk et Lougansk (ce fut le cas notamment de l’ataman cosaque Nikolaï Kozitsyne, que l’on a poliment prié de quitter à jamais le territoire de la RPL).

Si le Kremlin parvient à faire chuter la tension dans la guerre civile en Ukraine, Moscou pourrait non seulement obtenir les Mistral, mais aussi renouer le dialogue avec l’UE, et Paris pourrait jouer le rôle de principal intermédiaire dans ce processus.

 


 
La visite de Vladimir Poutine en France. Crédit : kremlin.ru

La visite de Vladimir Poutine en France. Crédit : kremlin.ru

 

Ambitieuse Frau kanzler

Toutefois, François Hollande se heurte à un sérieux obstacle sur la voie de la normalisation des rapports entre Moscou et Bruxelles : la position agressive d’Angela Merkel. La chancelière voit dans cette crise une chance historique pour son pays.

Le Kremlin attendait de Merkel une toute autre attitude dans la question ukrainienne ; Moscou comptait que l’Allemagne prenne la tête d’un bloc d’États d’Europe occidentale qui adopteraient une position pragmatique dans les rapports avec la Russie et s’opposeraient à la ligne de Washington. Le Kremlin espérait en outre que Berlin choisirait d’affaiblir ses liens avec Washington pour devenir un centre de force indépendant. Une partie significative de la jeunesse allemande (40 %) semblait d’ailleurs soutenir cette idée. Mais Angela Merkel en a décidé autrement.

Cette transformation s’explique par un certain nombre de raisons. Premièrement, par ses agissements en Crimée et en Ukraine, Vladimir Poutine a fait évoluer le rôle de la Russie dans les rapports entre les deux pays ou, plus précisément, la vision que l’Allemagne avait de ce rôle.

« Le partenariat stratégique russo-allemand de ces dernières années a toujours été basé sur la supposition, par Berlin, que la Russie finirait par s’inscrire dans le système des relations extérieures de l’UE comme faisant partie de sa périphérie. On se disait que la Russie allait partager la vision selon laquelle l’Europe n’a qu’un centre – l’UE, et qu’un centre à l’intérieur de l’UE – Berlin. Mais aujourd’hui, ces illusions se sont définitivement effondrées, explique le directeur adjoint des Recherches européennes et internationales de l’École des hautes études en sciences économiques de Moscou, Dmitri Souslov. En outre, l’Allemagne s’est impliquée dans l’intégration des pays de la CEI à l’orbite de l’UE : elle a été la locomotive de ce processus et l’a indissociablement lié avec sa propre position de leader au sein de l’Union. De fait, dans cette question, la Russie est définitivement devenue, pour Berlin, un adversaire. »

Parallèlement, l’élite allemande est en train de repenser sa place en Europe. « Angela Merkel est animée par la vision d’une autre Allemagne : celle d’un pays qui veut jouer un rôle dominant en Europe et non seulement y être un banquier universel, suppose le politologue russe Fedor Loukianov. L’époque où l’Allemagne se tenait dans l’ombre, fuyait tout rôle politique et s’efforçait de se montrer agréable sous tous rapports s’achève. La France se noie dans ses problèmes intérieurs, et la Grande-Bretagne largue les amarres du Vieux Monde pour une destination inconnue. »

Et cette domination en Europe, Berlin veut l’obtenir en jouant la carte russe. « L’Allemagne en est arrivée à la conclusion qu’il n’existe qu’un seul moyen, aujourd’hui, de parvenir à un leadership non seulement économique mais aussi politique dans l’UE : y diriger le camp antirusse.

Toutes les autres stratégies, vu le rôle des nouveaux pays-membres et le renforcement de l’influence américaine en Europe, sont, pour Berlin, vouées à l’échec. Ainsi, la marche antirusse de Merkel est en fait une tentative par la chancelière de prendre la tête de l’UE, dans un sens politique et géopolitique », conclut Dmitri Souslov.

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