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20 décembre 2014

"L'empreinte légère", une nouvelle stratégie américaine? (2)

Sur Le Point -

Publié le 06/12/2014 à 08:34

"L'empreinte légère", une nouvelle stratégie américaine? (2)

par Caroline GALACTEROS (Caroline Galactéros est docteur en sciences politiques et dirige le cabinet de conseil en intelligence stratégique Planeting.)

Que cache cette manière plus discrète d'intervenir prônée par les stratèges américains ? Un affaiblissement de l'Europe et une guerre économique totale.

Le Point - Publié le 06/12/2014 à 08:34 - Modifié le 06/12/2014 à 12:31

Le général Carter Ham prend la tête de la force américaine en Afrique (Africom), le 9 mars 2011. Le général Carter Ham prend la tête de la force américaine en Afrique (Africom), le 9 mars 2011. © Mandel Ngam/AFP

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Alors, qu'en est-il vraiment du leadership from behind, ce "commandement depuis l'arrière", "en soutien", qui réjouit ceux qui trouvent l'Amérique trop directive et inquiète ceux qui lui confient leur sécurité les yeux fermés ? Il faut reconnaître qu'il fonctionne assez bien en Afrique, où Washington a su laisser la France et la Grande-Bretagne diriger les opérations en Libye et soutient aujourd'hui Paris au Sahel via sa base du Niger. Mais ne nous y trompons pas. Africom, le nouveau commandement régional américain mis en place en 2008, est très actif, occupe 5 000 soldats américains en moyenne et prend de l'ampleur. Installé pour appuyer la lutte antiterroriste sur le continent et notamment dans la Corne de l'Afrique et au Sahel, il sert aussi de tête de pont aux intérêts économiques américains dans la région notamment face à la présence commerciale massive de la Chine.

Quant à l'Europe, les États-Unis semblent l'avoir passée par pertes et profits. Ce n'est plus le centre de la croissance économique mondiale, encore moins celui de la puissance. Même les Français paraissent avoir renoncé à faire exister "l'Europe puissance", submergés par la tiédeur de leurs alliés traditionnels et plus encore par l'opposition des nouveaux entrants de l'UE qui voient toujours en l'Otan l'alpha et l'oméga de la sécurité du continent. Même à eux, toutefois, l'Amérique demande désormais de "partager le fardeau" financier de la défense collective.

 

Faire payer les Européens

Le burden sharing est d'ailleurs une vieille lune. Lors de la première guerre américaine en Irak, en 1991, Washington avait réussi à faire financer son intervention par les pays de la région et le Japon. La question du coût de la sécurité est en soi très légitime. Il faudra bien que les Européens comprennent un jour que l'UE demeurera un ensemble politiquement hémiplégique tant qu'elle ne se donnera pas les moyens d'exister militairement de façon crédible. Mais, si l'on paie, on devrait aussi pouvoir décider. Or, si Washington se place parfois volontairement en second rideau comme en Libye, sur bien d'autres théâtres, il n'entend nullement laisser la main.

L'Amérique cherche à structurer à son avantage un condominium avec Pékin, son nouveau peer competitor. Pour cela, elle doit empêcher la consolidation du rapprochement de la Chine avec la Russie, tout en limitant les convoitises russes et chinoises sur la cible commune que constitue désormais l'Afrique.

La light footprint ne veut donc pas dire renoncement à la puissance ou à l'influence, tout au contraire. Elle signifie réduire la facture, faire payer les Européens pour leur sécurité et changer les modalités d'intervention pour les rendre plus courtes, plus discrètes, moins coûteuses en hommes et en argent, tout en faisant travailler l'industrie américaine afin de maintenir l'avance technologique.

 

Le dossier iranien

En fait, nous assistons à l'émergence d'un nouvel avatar du processus permanent de "transformation" de la doctrine, de la technologie et de l'organisation des forces armées américaines, infiniment plus intégrées au processus décisionnel économico-politique qu'en France. Cette nouvelle "révolution dans les affaires militaires" (RAM) à bas bruit prend la suite de celle des années 1990, plus tonitruante, fondée sur les progrès technologiques en matière d'information et de communication, puis de la "guerre réseau centrée" (network centric warfare) des années 2000, couplée à des avancées en matière de furtivité et de précision des vecteurs de combat.

Toutefois, si la "faiblesse" ou l'indécision américaine perçue conduisait au retour des républicains au pouvoir, on assisterait rapidement à une repolarisation agressive des rapports de force qui ferait le jeu de nos adversaires (souvent aussi partenaires) dans le monde islamique et servirait aussi la Chine. À cet égard, l'évolution du dossier iranien est dirimante. Une administration redevenue républicaine appuyée sur un Congrès de même couleur pourrait remettre en cause un éventuel accord conclu par Obama avec Téhéran en cas de non-respect, réel ou non, par l'Iran de ses termes. On ne peut s'empêcher d'observer avec inquiétude l'alliance objective des républicains américains et des plus intransigeants responsables iraniens pour empêcher tout véritable apaisement.

 

Guerre économique

L'Amérique conserve donc son tropisme impérial et messianique dont l'un des fondamentaux demeure l'affaiblissement politique et militaire de l'Europe, d'où la pression maintenue sur la Russie à propos de l'Ukraine, stratégie ancienne dont l'impulsion décisive a été donnée dès la fin de la guerre froide, avec les encouragements américains appuyés à l'Europe pour intégrer rapidement les anciens satellites soviétiques. La Pologne et les pays Baltes sont les proxys politiques privilégiés de cette stratégie, et Moscou a beau jeu de rendre la pareille à Washington en cherchant à recréer ses propres clientèles au sein même de l'UE (Serbie, Hongrie, République tchèque, Bulgarie). Jusqu'où peut-on déstabiliser la Russie sans risquer d'attiser d'autres théâtres de crise plus lointains mais tout aussi importants pour nos intérêts stratégiques que l'intégration d'une Ukraine en faillite et minée par la corruption ?

En fait, la jolie expression de light footprint semble avoir plus d'avenir dans le monde des affaires, depuis que des stratèges américains de l'US Army ont lancé un nouveau mantra civilo-militaire : le Vuca stratagème. "Le monde est Vuca", c'est-à-dire volatile, incertain, complexe et ambigu. Ce n'est pas un scoop, me direz-vous. Mais l'Amérique des affaires tire de ce constat des conclusions opérationnelles intéressantes dont nous pourrions nous inspirer. Pour répondre à cet environnement volatile, complexe et imprévisible, il faut être en perpétuelle posture d'innovation rapide, préserver la confidentialité des données et développer des réseaux de partenaires de confiance qui sont autant de sentinelles et d'agents indirects d'une puissance "déportée" et d'une influence aux vecteurs nouveaux et discrets. Tout un programme de guerre économique sans merci.

 

Mercenaires

De ce cadre conceptuel, on peut sans doute déjà anticiper, en matière militaire, une évolution des engagements armés occidentaux (y compris à moyen terme chez nous si les tendances actuelles se poursuivent) vers des interventions sous-traitées à des sociétés militaires privées (SMP) composées de mercenaires professionnels, qui donneront corps à des "coalitions" présentées comme politiquement neutres donc prétendument plus crédibles (mais pas forcément moins coûteuses, car l'externalisation coûte très cher). Leur fonction serait d'assurer un maintien de l'ordre déterritorialisé et de généraliser une forme de guerre préventive permanente à basse visibilité au nom d'une vigilance profitable à l'ensemble du monde.

On peut toutefois craindre que cette légitimité politique revendiquée et ses modes d'action expéditifs ne convainquent guère au-delà des clientèles occidentales résiduelles. Car c'est l'idée même de l'universel normatif incarné par l'Occident qui est désormais mise en cause tous azimuts et ses contradictions qui sont exploitées sans vergogne par les mouvements ultraviolents. Le monde pourrait bien ne s'en trouver ni plus sûr ni plus juste. "Le bel avenir de la guerre" est assuré.

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