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20 décembre 2014

"L'empreinte légère", ce que cache la nouvelle stratégie américaine (1) - Caroline Galactéros

Sur LE POINT  

 

"L'empreinte légère", ce que cache la nouvelle stratégie américaine (1)

Publié le 27/11/2014  

 

Fini la "sale guerre", Washington intervient désormais dans l'ombre. Plus efficace ? Caroline Galactéros en doute et éclaire les enjeux de cette stratégie. (Caroline Galactéros est docteur en sciences politiques et dirige le cabinet de conseil en intelligence stratégique Planeting.)

 

Au Pakistan, des manifestants brûlent un drapeau américain pour protester contre les attaques de drones contre les zones tribales.

Au Pakistan, des manifestants brûlent un drapeau américain pour protester contre les attaques de drones contre les zones tribales. © S.S. Mirza/AFP

Par *

L'Amérique n'est plus ce qu'elle était. Son président a décidé de la retirer de la gestion offensive des affaires du monde. Le souffle impérial à la fois déstabilisant et protecteur - pas pour les mêmes - s'est dissipé, abandonnant l'Europe à ses désordres, le Moyen-Orient au feu et au sang, l'Afrique à la merci du plus offrant. Washington concentre désormais son énergie stratégique résiduelle sur le containment d'une puissance chinoise qui s'affirme chaque jour davantage et inquiète.

Ces assertions ne rendent pas compte de la complexité d'un positionnement américain forcé de se réinventer. "L'empreinte légère" (the light fooprint), "le commandement depuis l'arrière" (the leadership from behind), ou encore "le pivot vers l'Asie"(the shift towards Asia) signent la mue de la politique étrangère américaine, qui affiche, depuis l'élection de Barack Obama en 2007, une volonté de rupture avec ses anciens tropismes.

Les nouvelles modalités de la guerre

Mutation mais pas révolution. Les innovations sémantiques de Washington pour faire admettre à ses alliés son redéploiement stratégique ne sont pas ce qu'elles paraissent être. Certes, l'Amérique a tiré quelques leçons de la global war on terror (GWOT) engagée par George W. Bush après l'humiliation des attentats du 11 septembre 2001. La légitimité politique et le crédit moral de l'Amérique se sont abîmés dans les bourbiers irakien et afghan - ces "sales guerres" (mais elles le sont toutes) si peu libératrices qui ont épuisé l'esprit et les finances américaines -, et le déploiement massif de troupes au sol n'a pas produit les résultats attendus.

Exit donc les boots on the ground (forces au sol) et vive la light footprint, cette empreinte légère, presque gracieuse, permise par l'emploi de forces spéciales ramassées, quasi invisibles mais impressionnantes, l'usage massif de drones et la cyberguerre, les nouvelles modalités de la guerre désormais prisées à Washington ! L'heure n'est plus à la projection de force, mais à celle de la puissance, à des opérations chocs, le plus courtes possible, où l'on frappe l'ennemi intensément et avec le plus de précision possible avant de se retirer en croyant avoir "réglé le problème", un peu sur le mode fire and forget ("tire et oublie") qui désigne les missiles tactiques de troisième génération.

Guerres de l'ombre

Light footprint on the ground, donc, mais pas in the air... "L'utopie technicienne" joue ici à plein, illustrant le surclassement technologique dont jouissent encore les forces américaines, justifiant des budgets de défense toujours pharaoniques, nourrissant le gourmand complexe militaro-industriel et ses effets d'entraînement massifs sur l'économie "civile".

Ces nouveaux outils privilégiés d'intervention ne datent d'ailleurs pas de la présidence Obama. Ils ont été conçus sous Bush fils et même sous Bill Clinton. L'actuel président a repris l'héritage en lui rajoutant une "Obama's touch", qui ne consiste nullement en un effacement ou un retour à une quelconque forme d'isolationnisme. Il s'agit surtout, comme l'a résumé David Sanger, correspondant en chef du Washington Post à la Maison-Blanche, d'instaurer en silence un hard power secret, de substituer aux guerres conventionnelles militairement aléatoires, médiatiquement envahissantes et politiquement coûteuses, des guerres de l'ombre, dont seuls quelques faits d'armes spectaculaires seront rendus publics, bon gré, mal gré - cf. le raid contre Ben Laden ou l'opération Olympic games contre le programme nucléaire iranien.

Aucun contrôle parlementaire

L'ignorance de la réalité des affrontements dans laquelle est tenue la population américaine et mondiale a l'avantage de conduire progressivement à une indifférence telle que leurs atrocités et leurs limites en viennent à quitter aussi les consciences. C'est le new american way of war. Le président Obama est ainsi devenu le maître tout puissant de la kill list, l'ordonnateur d'"assassinats ciblés" opérés par des drones armés de la CIA au Pakistan, en Afghanistan, en Irak, en Somalie, au Yémen, sans aucun contrôle parlementaire à ce jour.

Selon le sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsay Graham, qui a malencontreusement brisé en 2013 la loi du silence, ce mode d'action aurait fait près de 5 000 victimes depuis 2004. Il suscite toutefois de lourdes controverses politiques : manque de transparence et de cadre légal et exemplarité dangereuse... Et si Vladimir Poutine faisait de même, l'Amérique pourrait-elle légitimement contester cette pratique ? Sa mise en oeuvre répand certes une ombre menaçante sur les sanctuaires de la terreur islamiste, mais faut-il vraiment s'en réjouir ? Rien n'est moins sûr, car si la guerre disparaît ici de nos vies quotidiennes, elle fait irruption là-bas dans bien des familles innocentes. La charge symbolique du drone armé comme arme de contre-insurrection, qui escamote le combat au sol et "prive l'ennemi d'ennemi", est en effet un carburant délétère puissant qui nourrit la radicalisation des populations terrifiées et n'épargne pas toujours : on parle de plus d'un millier de victimes civiles.

Une rivalité Pékin-Washington

Quant au "pivot vers l'Asie", the Asia rebalancing strategy, là encore, il renforce le complexe obsidional d'une Chine affranchie de sa posture de puissance retenue et déterminée à contrecarrer les projets américains, notamment celui du Partenariat transpacifique (TPP). Lequel est surclassé par le projet de zone de libre-échange Asie-Pacifique du président Xi Jinping, "plan Marshall" à la chinoise, destiné à faire changer les affidés de camp, et structuré autour d'un fonds d'investissements de 40 milliards de dollars dédié aux infrastructures pour créer une "nouvelle Route de la soie" pacifique.

Au-delà, le Xinjiang chinois, mais aussi Hong Kong, le Vietnam, le Japon, le Myanmar, les Philippines sont les nouveaux théâtres de cette rivalité régionale à résonance globale entre Pékin et Washington. La zone asiatique se réarme d'ailleurs massivement : 47 % des armements globaux depuis 2008 contre 40 % sur période 2004-2008.

Car tout se tient et l'on prend de gros risques à Washington ou à Paris, en séparant artificiellement, par commodité ou dogmatisme, les cases de ce "grand jeu" qui se joue à la fois sur les fronts européen, pacifique, moyen-oriental et africain.

L'axe Moscou-Téhéran-Damas

La négociation est plus que jamais globale. Affaires économiques et grande politique n'ont jamais été si liées. L'axe Moscou-Téhéran-Damas, coalition pragmatique d'intérêts entre récalcitrants à l'occidentalisme, détermine les avancées de certains dossiers. Pas de deal nucléaire sur l'Iran, par exemple, sans renoncement occidental à déstabiliser la Syrie ou à provoquer davantage la patience russe en Ukraine. Moscou aussi opère sans enthousiasme son shift towards Asia et cherche dans les bras accueillants de Pékin une consolation aux avanies et provocations subies en Europe. La Russie multiplie les accords gigantesques avec les Chinois, sur le gaz, le pétrole, les TGV, mais aussi avec l'Afrique - cf. l'accord récent entre Pretoria et Moscou pour la construction de centrales nucléaires.

Quant à l'Iran, il tire lui aussi profit de l'isolement russe pour renforcer sa main dans le jeu de poker menteur qu'il mène avec Washington sur le nucléaire - cf. l'accord de novembre sur la construction de huit réacteurs en Iran -, et manoeuvre pour assoir son émergence régionale et monnayer sa capacité d'intervention sur les théâtres irakien, syrien et turc. La Turquie et l'Arabie saoudite quant à elles, en rivalité pour l'influence sur le camp sunnite, balancent entre soutien à Daesh et crainte de l'autonomisation excessive des Kurdes ; Israël se demande de deux maux lequel sera le moindre, et Riyad mise sur l'Égypte pour contrecarrer sa vertigineuse perte d'influence globale et la crainte d'une alliance de revers américaine avec l'Iran...

La loupiote occidentale

Ainsi, face à l'Occident qui croit pouvoir encore dire le Bien et le Mal au monde entier, chacun cherche des alliés objectifs ou de circonstance pour échapper à nos oukases aux relents de Guerre froide à contretemps des enjeux. Les sanctions économiques, les embargos ne mènent plus quiconque à résipiscence. Les remontrances démocratiques ne sont tout simplement plus audibles et, avanie suprême, Vladimir Poutine s'offre le luxe de quitter sans façons le G20 avant le dîner de clôture.

Le "phare de l'Occident" devenu loupiote brille timidement et sans effet sur les fronts de la radicalité islamique, refusant de voir que l'affrontement qui surdétermine tous les autres est de plus en plus "civilisationnel", ne nous en déplaise, et requiert des alliances pragmatiques et adogmatiques. Car nos divisions entre princes d'un ordre révolu font le jeu des nouveaux "Rastignac de la puissance", prêts à tout pour pousser leur propre agenda en installant des franchises individuelles de leur "État islamique" aujourd'hui, d'autres phalanges ultra-violentes demain.

Caroline Galactéros est docteur en sciences politiques et dirige le cabinet de conseil en intelligence stratégique Planeting.

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