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31 mars 2015

Dieudonné, de l’antiracisme… à l’antiracisme. Brève analyse d’un engagement sans faille

Sur BOURGOINBLOG

Aveuglement idéologique ? mauvaise foi ? soumission volontaire au pouvoir politique ? à quelques variantes près, le même discours tourne en boucle dans les medias depuis que l’exécutif a pris pour cible Dieudonné avec la ferme intention de ruiner sa carrière (et lui avec) : il serait passé de l’antiracisme à l’antisémitisme. Discours justificateur d’une guerre politico-juridique qui ne faiblit pas mais entaché de mauvaise foi. Le procédé est connu : prendre pour argent comptant des paroles d’humoriste sorties de leur contexte, instruire des procès d’intention sans droit de réponse, et au besoin travestir la réalité. Ce qui l’est sans doute moins, ce sont les raisons de son lynchage médiatique. Pourquoi autant de haine ? répondre à cette question, c’est identifier la frontière entre le dicible et l’indicible, la parole autorisée ou interdite, autrement dit la norme du politiquement correct. Et les limites de la liberté d’expression, atteintes plus vite qu’on ne le pense, nous en apprennent beaucoup sur les bases idéologiques du contrôle social…

 Dieudonne-Antisemite

Difficile de nier l’engagement sincèrement antiraciste de celui qui fut un opposant anti-FN de la première heure et qui reçut de l’ONU le titre honorifique « d’homme de bonne volonté dans sa lutte contre le racisme ». Le duo qu’il forma avec Elie Semoun fut considéré comme un symbole de la France antiraciste des années 1990. A cette période naissent ses premiers engagements politiques en faveur de la cause Kanak et contre le Front National. Son installation près de Dreux, terre d’élection traditionnelle du FN, le conduit à s’engager contre ce parti qu’il qualifie alors de « cancer » et qu’il analyse comme un facteur de « repli communautaire« .

C’est aussi à cette période qu’il lance le « Parti des utopistes », étiquette sous laquelle il s’oppose à Marie-France Stirbois candidate frontiste à Dreux aux législatives de 1997. Son combat électoral lui vaudra d’être encensé par des personnalités de gauche : l’écologiste Noël Mamère, les humoristes Marc Jolivet et Guy Bedos notamment. Il le poursuivra sous cette bannière pendant plusieurs années, notamment aux élections régionales de 1998. Dans le même temps, il prend position en faveur de la régularisation des sans-papiers et du droit de vote des immigrés, ainsi que du droit au logement en soutenant le DAL ponctuellement mais activement. Il militera même à l’occasion avec SOS Racisme dont il s’éloignera rapidement, le jugeant trop proche du Parti socialiste. En 2000, il rejoint un collectif d’humoristes européens anti-Haider réunis sous la bannière de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Lors des élections municipales de 2001, il entreprend de se présenter et reçoit le soutien de Daniel Cohn-Bendit, avant de renoncer et de soutenir dès le premier tour la liste de gauche radicale Les Motivés à Toulouse.

Ayant mis un terme à son duo avec Elie Semoun, il fait son premier spectacle intitulé Tout seul puis enchaîne avec Pardon Judas !, deux énormes succès. En 2002, quand Laurent Ruquier l’invite dans son émission, à l’occasion de son troisième spectacle Cocorico ! il est un artiste adulé dont l’indéniable talent est reconnu par (presque) tous. On loue son sens de la dérision et son humour caustique qui ne ménage personne, toutes catégories sociales confondues. En parallèle, il suit une carrière d’acteur en participant à une quinzaine de films entre 1997 et 2003, notamment Didier et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre tous deux réalisés par Alain Chabat.

Le contraste entre cette période faste et sa brutale mise en ban, peu de temps après, est saisissante. Son troisième spectacle, Le divorce de Patrick est annulé par L’Olympia début 2004 pour risque de troubles à l’ordre public et ses soutiens sont essentiellement politiques : le MRAP, la co-fondatrice des Verts Ginette Skandrani, les maoïstes de l’AGEN, l’association CAPJPO,… Dans le camp des humoristes, Daniel Prévost loue son courage et son talent mais il est bien seul et les personnalités des médias, dans leur immense majorité, lui tournent désormais le dos. Mis sur la touche, Dieudonné tentera même en octobre 2006 un rapprochement provocateur avec Jean-Marie Le Pen, autre paria d’envergure, à l’occasion de la fête des Bleus Blancs Rouges.

La raison de ce revers de carrière ? une pique contre George Bush comparé à Ben Laden qui lui vaudra une première mise en examen pour apologie du terrorisme (pour laquelle il a été relaxé), une autre contre la communauté juive (provoquant une plainte de l’UEJF et de la LICRA qui débouche également sur une relaxe), mais surtout son sketch télévisé de décembre 2003 dans lequel il met en scène un colon raciste israélien. Image évidemment caricaturale mais appliquée à une catégorie sociale qui ne l’est pas moins. Alors que le sketch était plutôt drôle et en rien antisémite – la cible étant davantage le colonialisme et l’intégrisme religieux que le judaïsme -, il fait de l’humoriste la bête noire des communautaristes juifs, notamment ceux de la Fédération sioniste de France, de la LICRA (qui porte à nouveau plainte) et de l’Union des Étudiants Juifs de France qui réussissent à faire annuler plusieurs de ses représentations courant 2004. Des réactions souvent violentes, révélatrices de la montée en puissance des crispations identitaires…

C’est parfois en transgressant les limites qu’on les découvre. Antiraciste de la première heure, il était logique que Dieudonné stigmatise le colonialisme israélien et la politique d’apartheid menée par l’État hébreu. Le sionisme avait d’ailleurs été assimilé par l’ONU à « une forme de racisme et de discrimination raciale ». Empêcher les palestiniens de vivre dans la dignité, en faire des citoyens de seconde zone, les réprimer sans discernement par la violence policière et même militaire a de quoi révulser le militant défenseur des Droits de l’Homme qu’est Dieudonné. Et l’engagement de gauche va souvent de pair avec l’anticléricalisme : en bon iconoclaste, Dieudonné s’est attaqué avec humour et talent aux religions monothéistes – dont l’Islam -sans s’attirer les foudres des communautaristes… excepté des sionistes.

La prise de conscience est brutale. Prise de conscience que la LICRA, derrière son engagement formel contre l’antisémitisme, défend la politique de l’État d’Israël en condamnant pénalement quiconque ose la dénoncer, assimilant ainsi antisionisme et antisémitisme, et que la critique du colonialisme, de l’impérialisme, de l’apartheid, du racisme et des religions en général a de strictes limites à ne pas franchir. Si l’on veut parler de l’influence du lobby pro-israélien, mieux vaut le faire en fin de carrière… Prise de conscience aussi de certaines hiérarchies officieuses : quand Dieudonné sollicite après du Centre National de la Cinématographie (CNC) une subvention pour l’écriture de son film sur le Code noir, celle-ci lui est refusée. Dieudonné reviendra à plusieurs reprises sur ce refus en accusant « les sionistes du CNC » de pratiquer un « deux poids, deux mesures », dénonçant par là l’injustice mémorielle fait selon lui à la traite des Noirs, en comparaison de celui réservé à la Shoah. Deux poids deux mesures banalisés jusqu’au sommet de l’État : quand, à la moindre provocation d’humoriste, Dieudonné est traduit devant les tribunaux, dans le même temps le chef de l’État ne craint pas d’ironiser sur certaines moeurs (supposées) des Algériens…

Dieudonné a-t-il réellement viré de bord ? La réponse, affirmative, est quasi-unanime pour la plupart des journalistes. Même Pascal Boniface, que l’on a connu plus inspiré, tombe dans le panneau en expliquant sa supposée radicalisation par son blacklistage à partir de 2004, oubliant au passage que le métier d’humoriste consiste avant tout à choquer et que ses saillies ne sont évidemment pas à prendre au premier degré…  En réalité, il faudrait plutôt parler de changement dans la continuité : si ses cibles actuelles sont différentes de celles de ses débuts c’est bien parce qu’il a intégré les différentes expériences de sa trajectoire politique et reconnu que  la plupart des formations politiques inféodées à la gauche libérale ne défendent pas les intérêts des dominés mais indirectement ceux de l’oligarchie mondialiste. La palme de la trahison revient bien au Parti socialiste, passé de la défense du travail à celle du capital, de la gauche de transformation sociale à la gauche morale, de la loi de nationalisation de février 1982 à la loi Macron. Sous l’apparent revirement de Dieudonné dont les journalistes et les personnalités du spectacle font mine de s’étonner, se cache en réalité la constance de son engagement : soutien à la lutte du peuple canaque pour son indépendance dans les années 1980, au Mouvement des Damnés de l’Impérialisme en 2008 au peuple martyr de Gaza agonisant sous les bombes israéliennes en 2014, participation aux listes Euro-palestine en 2004 et antisioniste en 2009… Un engagement en faveur des vrais opprimés de notre temps et que ses amis politiques d’hier – Parti socialiste et associations de l’antiracisme institutionnel -, devenus aujourd’hui ses pires ennemis, ne lui pardonnent pas.

 

Voir également sur ce site : un entretien à propos de mon dernier ouvrage « La République contre les libertés« .

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