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4 avril 2015

Lausanne et les antimissiles

Sur DEDEFENSA

04/04/2015 - Bloc-Notes

Lausanne et les antimissiles

Les Russes ont réagi à la vitesse de l’éclair, dès l’accord de Lausanne sur le nucléaire conclu. Puisque cet accord est conclu, puisque le nucléaire militaire iranien n’est plus considéré comme une possibilité, qu’il est en principe sur la voie d’être enterré, qu’est-ce qui justifie encore l’installation du réseau anti-missiles US en Europe (gardons l’appellation BMDE pour Ballistic Missile Defense in Europe), lequel fut officiellement lancé et développé contre une menace iranienne principalement ? Alors que les travaux et les initiatives en faveur du BMDE se poursuivent, avec il y a quelques jours la visite du général Breedlove, le SACEUR de l’OTAN, en Roumanie, pour convaincre les Roumains d’accepter l’installation d’un élément du BMDE sur leur sol, – toujours pour nous protéger encore mieux de la menace iranienne ?

(Les USA avaient parlé accessoirement de la menace nord-coréenne, mais le ridicule de l’argument, bien plus encore que l’argument iranien déjà proche du grotesque, fait qu’on ne l’a plus guère évoqué. Nous parlons d’argument de pure communication, c’est-à-dire pour le cas des USA de pure narrative, qui constituent des arguments aussi piètres que de circonstance pour justifier le BMDE. Il n’empêche, puisqu’ils ont toujours été avancés officiellement par les USA, il importe de les accepter comme tels, surtout au moment où la narrative se défait dangereusement. Ce cas est d’abord une affaire de communication et l’affrontement, la guerre” du bloc BAO avec la Russie est d’abord une “guerre de communication”.)

Les grands groupes russes de communication ont donc aussitôt rouvert le dossier BMDE. RT consacre un article à la question, le 4 avril 2015. La réaction de l’OTAN au premier abord est significative, du type très pavlovien “l’accord de Lausanne ne change rien à la nécessité du système BMDE parce que l’accord de Lausanne ne change rien à la nécessité du système BMDE parce que l’accord...” Si, il y a tout de même un argument, époustouflant de puissance, “la menace posée par la prolifération des missiles balistiques contre la pays de l’OTAN continue à s’accroître...” («The threat to NATO countries posed by the proliferation of ballistic missiles continues to increase… the framework [of the Iran nuclear program] agreement does not change that fact.») En matière d’activités de ses porte-parole, l’OTAN a, depuis longtemps, dépassé son maître en la matière, l’URSS brejnévienne au plus haut de sa dialectique relevant d’une sorte de parler automatique.

Sputnik-français a eu l’idée intéressante d’interviewer plusieurs experts de différents pays d’Europe et de l’Iran, en évitant comme la peste les experts en fonction des pays du bloc BAO dont il n’y a rien à attendre puisque tout est dit de leur pensée profonde dans la réaction de la porte-parole de l’OTAN telle qu’on l’a lue plus haut. Ces experts travaillent en général pour des think tank, y compris et surtout européens, qui peuvent continuer leur travail si nécessaire grâce à des donations qui vont bien, essentiellement US mais pas seulement... (Sputnik-français, le 3 avril 2015).

• Miroslav Lazanski, analyste militaire, éditorialiste du journal Politika (Belgrade): «Dès le moment où le déploiement du bouclier antimissile en Europe a été évoqué pour la première fois, j'ai toujours affirmé qu'il n'était lié ni au programme nucléaire iranien, ni aux missiles nord-coréens. Son unique vocation est de neutraliser le potentiel nucléaire russe.

»Les négociations avec l'Iran constituent le meilleur test pour l'Occident. A l'heure actuelle, il n'existe plus de raisons formelles pour poursuivre la création de ce bouclier. Cependant, les Etats-Unis continuent de le faire, car cela s'inscrit dans leur politique visant à «encercler» la Russie. Le danger principal du bouclier consiste dans le fait que les missiles intercepteurs peuvent être facilement remplacés par des missiles offensifs dotés d'ogives nucléaires.»

• Orhan Gafarli, expert en matière de sécurité eurasiatique, Centre analytique d'études stratégiques (Turquie): «Suite à la conclusion de l'accord de Lausanne, la nécessité d'installer des systèmes antimissiles américains en Europe de l'Est a disparu. Si le déploiement de ces systèmes près des frontières russes se poursuit, il sera clair pour tout le monde qu'ils sont dirigés contre la Russie. Dans ce cas, les Etats-Unis ne réussiront plus à induire l'opinion mondiale en erreur concernant leurs véritables intentions.»

• Marek Toczek, contre-amiral polonais à la retraite: «L'Iran n'est plus considéré aujourd'hui comme une menace, et je ne pense pas que la Pologne ait vraiment besoin de ce prétendu bouclier antimissile. Toute décision concernant le système de ce gendre profiterait à quelqu'un d'autre, mais pas à la Pologne. Si des structures et des sites de ce type étaient mis en place en Pologne, cela provoquerait manifestement une dissonance. Il fut un temps où nous étions fiers de voir les troupes étrangères quitter le territoire de notre pays. Nous sommes accédés à l'indépendance, tout au moins dans le domaine militaire. Si soutenons ce projet, cela signifie que nous n'avons tiré aucune leçon du passé. Nous accepterons donc une dictature qui nous causera à l'avenir un préjudice beaucoup plus important.»

• Emad Abshenass, expert en géopolitique, rédacteur en chef du journal Iran Press: «L'accord de Lausanne n'a pas apporté de changements fondamentaux aux relations irano-américaines. Mais les responsables politiques du monde entier savent que dans certains cas, des ennemis politiques jurés peuvent devenir amis et vice versa. Les dirigeants iraniens et américains continuent de se haïr. Des notes négatives à l'adresse de la République islamique se sont fait entendre hier dans le discours de Barack Obama. Il y a quelques jours, l'ayatollah Khamenei a pour sa part de nouveau employé sa formule habituelle “Mort à l'Amérique!” Donc, rien n'a changé dans les relations entre les deux pays. Washington n'a pas l'intention de démanteler ses éléments de défense antimissile en Europe de l'Est. Ces systèmes sont toujours dirigés à la fois contre l'Iran et la Russie.»

La rapidité de réaction de communication des Russes à peine l’accord de Lausanne bouclé pour faire ressortir l’affaire du réseau BMDE témoigne, outre leur maîtrise de la communication, de plusieurs points essentiels. Tous ces points ne sont pas que de simples constats, ils sont promis à un développement dans l’avenir et pourraient aggraver un cas ou l’autre, – une crise ou l’autre, – montrant par là qu’il est, aujourd'hui, dans le cadre de la crise d'effondrement du Système, absolument impossible de résoudre une crise seule, d’une façon indépendante, – si tant est que la crise du nucléaire iranien soit complètement et vraiment résolue, ce qui reste à voir. Justement, comme on va le voir, toutes les crises sont liées, interconnectées, dépendantes les unes des autres.

• Le premier point est une confirmation. Il s’agit de l’importance stratégique pour les Russes du réseau antimissiles US/OTAN, d’un point de vue stratégique. Cela explique en bonne partie la rapidité de leurs réactions au niveau de la communication. Les Russes n’abandonneront jamais cette affaire et n’accepteront jamais un compromis qui laisse passer la moindre possibilité que ce réseau BMDE représente pour eux une menace stratégique non contrôlée (quitte à prendre des contre-mesures draconiennes si le BMDE est tout de même installé). L’affaire du BMDE est, du point de vue stratégique nucléaire, aussi importante que la crise ukrainienne du point de vue de la stratégie géographique. Ce sont des domaines sur lesquels les Russes ne transigeront pas.... Ils transigeront d’autant moins que la crise ukrainienne a rendu d’autant plus importante, même si l’on n’en a guère parlé, la ”crise des antimissiles”. Les deux crises s’exacerbent l’une l’autre.

• Cela nous conduit au second point, qui est, justement, celui de l’interconnectivité des crises. On ne peut, aujourd’hui, traiter la crise iranienne sans prendre en considération ses connexions avec d’autres crises, dont certaines qui nous conduisent au cœur de la crise haute qui est celle de l’affrontement entre le bloc BAO et la Russie. Le cas du BMDE en est l’exemple-type, avec dans ce cas, la connexion avec la crise ukrainienne, ce qui lie indirectement la crise iranienne avec la crise ukrainienne. De ce point de vue, on ne peut donc considérer l’accord de Lausanne comme une démarche diplomatique achevée, qui clôt un chapitre crisique important. Tout juste peut-on parle d’une étape, qui peut conduire à d’autres développements qui ne seront pas nécessairement apaisés, tant s’en faut.

• Le troisième point est l’attitude des Russes vis-à-vis de l’Iran à l’ombre de l’affaire du BMDE. Nul doute qu’ils vont activer, en même temps que certaines sanctions devraient être levées, leur démarche consistant à finalement livrer des S-300 de défense aérienne à l’Iran, dans le cadre du marché qu’ls avaient d’abord refuse d’honorer (à cause des sanctions, du temps de Medvedev, en 2009), et qu’ils proposeraient finalement d’honorer. Mais on devrait aller bien au-delà des S-300, et les Russes devraient effectivement proposer des S400 beaucoup plus avancés. (Voir le 24 février 2015.) C’est une question d’abord commerciale, certes, mais, désormais, surtout stratégique. Les Russes feront tout pour renforcer la défense des Iraniens contre toute menace stratégique, à la fois pour réduire encore plus l’argument des BMDE mais aussi pour contrecarrer les menaces qui continuent à se développer d’une éventuelle frappe contre l’Iran, – des Israéliens, mais aussi des USA dans des cas extrêmes. Bref, les Russes feront tout pour renforcer la défense de l’Iran dans la balance stratégique face au bloc BAO, dans un cadre général stratégique où, à cause du réseau BMDE qui continue à se développer, ils doivent jouer à fond la carte du renforcement stratégique de l’Iran. D’autre part, certes, ils doivent tout faire pour renforcer leurs liens stratégiques avec l’Iran, et cela devrait commencer par l’admission comme membre effectif de l’Iran à l’Organisation de Coopération de Shanghai, en juillet prochain.

• Le paradoxe est ainsi que la résolution possible/probable de la crise iranienne pourrait conduire, sinon devrait conduire à un renforcement notable des tensions stratégiques générales du bloc BAO avec la Russie, notamment à partir de la crise ukrainienne qui en est son point de fixation central. L’Iran, “libéré” des contraintes internationales, et s’il l’est officiellement, va désormais être sollicité par les évènements eux-mêmes pour jouer un jeu important dans les grandes crises en cours. Certes, on pense naturellement et irrésistiblement à la crise générale et confuse du Moyen-Orient, mais c’est un aspect très opérationnel. Nous pensons surtout à l’aspect d’une grande stratégie diplomatique et de communication, et c’est vers le Nord et vers le Nord-Est que l’Iran va être sollicité, vers l’axe Moscou-Pékin, vers l’OCS ; et également vers des crises comme celles de l’Ukraine et les autres qui opérationnalisent le grand schisme entre le bloc BAO et les autres. L’Iran ne pourra pas observer une neutralité dans ce cas, il devra choisir son camp. On a vu (le 1er avril 2015) que ce n’est pas le camp du bloc BAO qui nous paraît le choix probable de l’Iran.

 

Mis en ligne le 4 avril 2015 à 10H54

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