par Richard Le Hir

Décès du PDG de Total dans des circonstances tragiques à Moscou

Un accident bizarre qui en rappelle un autre

Qui pouvait avoir intérêt à ce qu’il disparaisse ?

Précisons d’entrée de jeu qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune indication que l’accident survenu à l’aéroport Vnoukovo de Moscou et qui a coûté la vie au PDG de Total, Chritophe de Margerie, et aux trois membres de l’équipage de l’avion privé qui devait le ramener à Paris, pourrait cacher un attentat.

L’Affaire Mattei

Cependant, les liens personnels du dirigeant de la pétrolière française avec , ses positions sur l’utilisation du dollar US comme référence dans les transactions sur le pétrole, et le contexte géopolitique actuel, nous forcent à faire un rapprochement avec la disparition dans des circonstances similaires d’un autre acteur important de l’industrie pétrolière il y aura exactement 52 ans dans quelques jours, Enrico Mattei, alors PDG de l’Ente Nazionale Idrocarburi, l’ENI, une société d’État italienne.

Rappelons les faits.

Le soir du 27 octobre 1962, en pleine tempête, l’avion privé qui le ramène de Catane, en Sicile, à Milan, s’écrase à la suite d’une déflagration dans un petit village de Lombardie quelques minutes avant l’heure prévue pour son arrivée. Selon les conclusions cumulatives de plusieurs enquêtes dont la dernière remonte au milieu des années 1990, l’ouverture du train d’atterrissage de l’appareil a déclenché le détonateur d’un engin explosif placé subrepticement à bord avant le décollage.

Héros de la résistance antifasciste italienne pendant la Deuxième Guerre Mondiale, il s’était vu confier par le gouvernement dès la fin de celle-ci la responsabilité de démanteler l’Azienda Generale Italiana Petroli (Agip), la pétrolière nationale créée sous Mussolini.

Découvrant son potentiel, il s’appliquera plutôt à restructurer l’entreprise et la transformer en l’un des atouts économiques les plus importants du pays. En 1949, la découverte d’un important champ pétrolier et gazier dans la vallée du Pô, le fleuve qui traverse le nord du pays, l’amène à déclarer que l’Italie pourrait devenir autosuffisante en matière d’énergie.

Profitant d’une très bonne couverture de la presse italienne, il suggère que le pays, à cette époque encore durement touché par les répercussions de la guerre, va enfin connaître la prospérité. Jouissant d’un statut juridique hybride qui lui permet d’être cotée en bourse bien qu’elle appartienne à l’État, Agip voit son titre grimper en flèche, et l’entreprise devient très rapidement l’une des plus solides et des plus importantes du pays.

Mais Mattei a pris quelques libertés avec la réalité. Le territoire de Cortemaggiore, dans la vallée du Pô, renferme en fait une certaine quantité de et seulement un peu de pétrole. Assez cependant pour en justifier l’exploitation commerciale.

La stratégie de Mattei est d’utiliser le gaz naturel pour alimenter le développement d’une industrie nationale dans le nord du pays. Elle sera couronnée de succès, au point d’être à l’origine de ce qu’on qualifiera de « miracle économique italien ». Mattei réinvestit les importants profits que génèrent les ventes de gaz naturel dans l’exploration, le développement, la production et la commercialisation du pétrole et du gaz, et dans le développement d’un réseau de gazoducs.

Avec l’obtention de l’exclusivité des droits pour l’exploration et la production de gaz et de pétrole sur le territoire national, Agip parvient à maintenir ses profits à un niveau élevé, ce qui déclenche rapidement les convoitises du secteur privé. Mais elle jouit du soutien de la gauche, influente à cette époque.

N’hésitant pas à soudoyer les politiciens au besoin, Mattei propulse Agip dans tous les secteurs économiques, et notamment la presse dont il a découvert la puissance. Agip devient ainsi propriétaire de plusieurs journaux et de deux agences de presse. En 1953, le italien adopte une loi créant l’ENI (Ente Nazionale Idrocarburi) et y incorpore Agip. Mattei est nommé PDG, et l’ENI devient sa chose.

Il commence alors à s’intéresser au marché international du pétrole. Vu le statut de son entreprise comme société d’État, il doit obtenir le soutien des milieux politiques, ce qu’il fait en exploitant la sympathie de l’opinion publique à son endroit. Habile communicateur, il sait trouver les mots qui font image. C’est à lui que l’on doit la paternité de l’expression « Les sept soeurs » pour personnifier les géants mondiaux du pétrole de l’époque. Le journaliste et auteur britannique Anthony Sampson reprendra cette image dans le best-seller mondial qu’il leur consacrera en 1975 pour décrire le cartel qu’elles sont parvenues à former.

Pour briser l’oligopole des Sept Sœurs, Mattei va conclure des ententes avec les pays les plus pauvres du Moyen-Orient et ceux de l’Europe de l’Est, alors sous la domination de l’Union Soviétique. En 1959, il se rend à Moscou, où il négocie avec les Russes un accord d’exportation de pétrole vers l’Italie en pleine Guerre froide, contre les protestations de l’ et des États-Unis.