Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 952
Newsletter
8 juin 2015

Congrès PS - Montebourg sort (à moitié) du bois

 

 

Montebourg sort (à moitié) du bois

Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse ont publié le dimanche 7 juin une tribune importante dans le Journal du Dimanche[1]. Ce texte, opportunément sorti le jour même où devait s’achever un consternant congrès du parti « socialiste », soigneusement cadenassé par Jean-Claude Cambadélis, promu gardien-chef, frappe par son ton et les vérités qu’il contient. Mais il frappe aussi par ce qui y manque. Si la stratégie du verre à moitié vide pouvait se comprendre du temps ou Montebourg était ministre, elle est plus surprenante aujourd’hui. Surprenante et même inquiétante : quand on a peur des mots on a peur des choses.

4618849

Un constat implacable

La première partie de ce texte est un réquisitoire contre la politique du Président de la République. Ce réquisitoire s’appuie sur un constat implacable. Après avoir dit que les discours de culpabilisation à l’égard des électeurs du Front National sont sans effets car vide de sens, les deux auteurs ajoutent : « On serait au contraire bien avisé d’agir sur les causes réelles et profondes qui rendent possibles la puissante progression du FN et jettent des millions de Français dans ses bras : l’explosion du chômage, la hausse de la pauvreté et la montée du sentiment de vulnérabilité dans presque toutes les couches de la société française ». Ce constat est indéniable. Les données sur la hausse des prélèvements fiscaux et parafiscaux, qui ont touché en priorité les classes moyennes le sont aussi. Dans une économie ouverte aux vents de la mondialisation et de la globalisation financière, les plus riches et les grandes entreprises trouvent toujours les moyens de s’évader du cadre fiscal. Je l’avais écrit, en son temps (en 2010) dans la Démondialisation[2] et je constate, avec plaisir, qu’Arnaud Montebourg, qui avait fait la campagne des primaires au P « S » justement sur la question de la mondialisation ne se dément pas.

Ils ajoutent aussi : « Ceux qui nient l’existence de l’austérité en prétendant que les salaires n’ont pas baissé (heureusement!) doivent ouvrir les yeux sur les pertes réelles et sérieuses de revenus pour les Français moyens. Cette politique répand la colère, le dépit, la violence chez des millions de nos concitoyens qui s’estiment bernés, trahis, et abandonnés ». Rien de plus juste. L’austérité est bien en marche, et ses effets délétères se font sentir en profondeur dans l’économie française, comme l’indiquent de multiples travaux d’économistes qui mettent en évidence l’importance du « multiplicateur budgétaire »[3] et les effets négatifs des politiques d’austérité[4].

Enfin, désignant la source de ces misères et de ces drames, car derrière les chiffres il y a une réalité humaine qui est véritablement dramatique, ils pointent sur : « L’absurde conformisme bruxellois de la politique économique de la France actuelle est devenue une gigantesque fabrique à suffrages du Front National. (…) le conformisme politique est désormais devenu le principal adversaire du renouveau économique du pays. C’est lui qui nous paralyse, et chaque mois qui passe le rend de plus en plus insupportable. Car au fil des élections nationales et des alternances, les Français votent en conscience pour la « rupture » ou le « changement » mais s’aperçoivent que la politique économique -donc européenne- qui s’ensuit est toujours la même ». Ici aussi, on ne peut qu’être d’accord avec Montebourg et Pigasse. En quelques lignes sont ainsi désignées la perte de souveraineté vis-à-vis des institutions européennes, la stupidité d’une politique qui ne regarde l’économie que d’un aspect comptable et l’effrayant déni de démocratie en provenance de l’Union européenne. Répetons le : tout ceci est dit et bien dit.

 

A qui s’adresse cette tribune ?

Mais dire les choses, et le faire avec cette force et cette brutalité, implique que l’on sache à qui ce discours est destiné. On a du mal à croire que ce soit aux hiérarques du P« S ». Ces derniers sont trop enfermés dans leurs querelles stériles, à mille lieux des préoccupations des français, dans leurs conflits d’égo, dans leurs petits calculs politiques mesquins, pour qu’ils puissent entendre ce discours. La réaction de Manuel Valls à cette tribune fut d’ailleurs symptomatique : il s’est drapé dans la « responsabilité » de gouvernement et a accusé les auteurs de cette tribune d’être des irresponsables. Mais, ce faisant, il a oublié deux choses. Tout d’abord, que ces personnes n’avaient pas de « responsabilités » et que, pour ce qui est d’Arnaud Montebourg, la faute lui en incombe directement. Mais, surtout, que la « responsabilité » n’est rien sans la capacité de décider d’une ligne politique. Or, ce que fait le gouvernement de Manuel Valls, et François Hollande au-dessus d’eux, ce n’est pas gouverner, et donc prendre ses responsabilités, mais « gérer ». Comme un directeur d’entreprise « gère » cette dernière pour le compte de ses actionnaires. En mobilisant le vocabulaire de la « responsabilité » Manuel Valls révèle ce que l’on savait pertinemment : la politique française ne se décide plus à Paris mais à Bruxelles. Il n’est que le bon « gestionnaire » d’orientations politiques qui ne sont pas les siennes. On ne pouvait trouver de meilleur exemple à cette perte de souveraineté justement dénoncée dans la tribune d’Arnaud Montebourg et de Matthieu Pigasse. Involontairement, Valls leur donne raison sur ce point.

Notons aussi que mobiliser un avion de l’Etat pour assister à un match de football n’est pas exactement l’expression la plus claire et la plus tangible de l’esprit de « responsabilité ». On finit toujours par penser comme l’on vit.

Cette tribune ne s’adresse donc pas aux hiérarques « socialistes ». On peut penser qu’elle s’adresse aux « frondeurs ». Mais ces derniers ont fait l’amère expérience des limites de l’exercice de la « fronde ». Dans un parti soigneusement cadenassé, qui a de plus acquis désormais la base sociale de sa nouvelle politique, l’expression d’une « gauche » est appelée à n’être plus qu’un geste symbolique. Je l’avais qualifiée de « butte témoin » dans une précédente note et je n’y reviens pas[5]. Il est donc plus que probable que cette tribune s’adresse au « peuple de gauche », une expression qui désigne en fait les électeurs dont une partie vote pour le P« S », un autre pour le Front de Gauche, une partie pour les Verts et les groupes d’Extrême-Gauche, une partie pour le Front National et une partie s’abstient. Cette tribune dessine ce que pourrait être une candidature « indépendante » d’Arnaud Montebourg en 2017, candidature qui affronterait directement François Hollande ou Manuel Valls. Mais, le relatif échec de Chevènement en 2002 impose de regarder les obstacles qui se dressent face à cette stratégie.

 

Les absences de cette tribune

Dire les choses est bien. Encore faut-il les dire toutes. Un texte est révélateur tout autant par ce qui s’y trouve que parce qui ne s’y trouve pas. Or, il y a trois sortes d’absence dans cette tribune.

Il y a tout d’abord une absence de programme. Ce n‘est pas la proposition de faire baisser les impôts sur les classes moyennes qui fait un programme. C’est à la limite une mesure possible de ce dit programme. Or, si on lit bien ce qu’écrivent Montebourg et Pigasse on voit qu’un programme alternatif n’est pas possible sans rompre avec certaines décisions de l’Union européennes et remettre en cause des traités. On sait que j’en suis aujourd’hui un farouche partisan. Mais, sur ce point, le texte est étonnamment silencieux. Comment Montebourg et Pigasse veulent-ils déployer une stratégie alternative dans le cadre de l’Euro, et par quelles voies entendent-ils mettre en œuvre cette stratégie ? Espèrent-ils, comme François Hollande, que des sourires feront plier les austéritaires de Bruxelles et de Berlin ? Telle est donc la première absence de texte. Si on pouvait comprendre que Montebourg, alors Ministre, ne pouvait en 2013 ou au début 2014 dire clairement quelles seraient les options alternatives et quelle en serait la cohérence, on ne comprend pas – et le mot est faible – qu’il ne les dise pas aujourd’hui.

Il y a, ensuite, une absence criante des leçons de l’affrontement de la Grèce avec les institutions européennes. Et cette absence est d’autant plus surprenante que Matthieu Pigasse et ses collaborateurs travaillent actuellement pour le gouvernement grec. La crise entre l’Eurogroupe et la Grèce dépasse en effet le seul cas de ce dernier pays. C’est un affrontement exemplaire et ce qui est en cause n’est rien moins que la question de la Démocratie. La question des relations avec l’Union européenne ne se pose plus désormais dans les mêmes termes où elle pouvait se poser en janvier dernier. Ici encore on ne comprend pas qu’Arnaud Montebourg, qui est redevenu un homme « libre » depuis son éviction du gouvernement ne dise pas fermement quelles sont les leçons qu’il tire de cet affrontement. Encore une fois, avoir peur des mots c’est avoir peur des choses.

Il y a une troisième absence, et qui n’est pas moins grave que les deux précédentes, c’est celle de toute réflexion sur l’évolution du Front National. On ne peut aujourd’hui à la fois dénoncer l’usage qui est fait du « danger » que représenterait le Front National par le gouvernement et reproduire cette même stratégie. On ne peut agiter la marotte d’un « risque » que ferait courir à la démocratie une possible victoire du Front National sans tenir un discours cohérent sur ce qu’est ce parti. Et c’est sans doute cela le problème. Car, une partie du discours d’Arnaud Montebourg s’adresse en réalité aux électeurs du Front National. Mais, il ne peut faire mine de penser que le Front National d’aujourd’hui est le même que celui de 2002, voire de 2012. Il doit tirer les leçons de l’évolution du discours mais aussi de la sociologie du Front National. J’ai écrit, et je confirme car telle est mon « intime conviction » pour user d’un vocabulaire que connaît bien Montebourg qui fut avocat pénaliste, que pour toutes les forces d’oppositions se pose « la question de leurs relations avec le Front National. Dans un espace politique où la question de la souveraineté, c’est-à-dire celle de l’Etat, est aujourd’hui la question centrale en cela que toutes les autres en dépendent, il faudra bien l’aborder de face et trancher ou renoncer »[6]. De la pertinence de son discours sur ce point, de la capacité à prendre en compte le processus d’évolution que connaît le Front National découlera en fait la crédibilité de son discours tant par rapport aux électeurs du Front National qu’à ceux des autres partis. Et de ce point découlera ou l’échec ou le succès de sa stratégie présidentielle.

[1] http://www.lejdd.fr/Politique/La-tribune-de-Montebourg-et-Pigasse-Hebetes-nous-marchons-vers-le-desastre-736460

[2] Sapir J., La Démondialisation, Paris, Editions du Seuil, 2010.

[3] Ou « Fiscal Multiplier » en anglais.

[4] Voir en particulier O. Blanchard et D. Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C., 2013

[5] Voir Sapir J., « 29 mai », note publiée sur Russeurope, le 28 mai 2015, http://russeurope.hypotheses.org/3875

[6] Sapir J., « 29 mai » op.cit..

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité