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6 août 2015

Julian Assange : l’histoire détaillée et méconnue d’une bataille épique pour la justice

 

 

John PilgerJohn Pilger

Par John Pilger – Le 31 juillet 2015 – Source : CounterPunch

Le siège de Knightsbridge est à la fois l’emblème d’une grande injustice et une mascarade épuisante.  Pendant trois ans, le cordon de police entourant l’ambassade d’Équateur à Londres n’a pas eu d’autre but que d’afficher le pouvoir de l’État. Cela a coûté 12 millions de livres sterling. Le gibier est un Australien qui n’est accusé d’aucun crime, un réfugié dont l’unique sécurité est la pièce qu’un courageux pays d’Amérique du Sud lui a accordée. Son crime est d’avoir lâché une cargaison de vérités sur un océan de mensonges, de cynisme et de guerre.

 

La persécution de Julian Assange est sur le point de s’exacerber de nouveau car elle entre dans une phase dangereuse. Depuis le 20 août, les trois quarts de l’affaire traitée par la procureure suédoise contre Assange, concernant l’inconduite sexuelle de 2010, disparaîtront, puisque le délai de prescription expire. En même temps, l’obsession de Washington à propos d’Assange et de WikiLeaks s’est intensifiée. En effet, c’est la vindicte de la puissance américaine qui représente la plus grande menace – comme Chelsea Manning et ceux qui sont toujours détenus à Guantanamo peuvent en attester.

Les Américains poursuivent Assange parce que WikiLeaks a dénoncé leurs crimes inimaginables en Afghanistan et en Irak : l’assassinat systématique de dizaines de milliers de civils, qu’ils ont dissimulés, et leur mépris pour la souveraineté et le droit international, comme c’est démontré de façon éclatante dans leurs messages diplomatiques qui ont été divulgués. WikiLeaks continue à révéler l’activité criminelle des États-Unis, il vient de publier des interceptions US hautement secrètes – les rapports des espions états-uniens détaillant les appels téléphoniques privés des présidents de France et d’Allemagne, et d’autres importants responsables gouvernementaux, concernant des affaires politiques et économiques européennes internes.

Rien de tout cela n’est illégal sous la Constitution des États-Unis. Comme candidat à la présidence en 2008, Barack Obama, un professeur de droit constitutionnel, a salué les lanceurs d’alerte comme «faisant partie d’une démocratie saine [et qui] doivent être protégés des représailles». En 2012, la campagne pour la réélection du président Barack Obama fanfaronnait sur son site internet qu’il avait poursuivi plus de lanceurs d’alerte dans son premier mandat que tous les autres présidents des États-Unis ensemble. Avant même que Chelsea Manning ait bénéficié d’un procès, Obama avait décrété le lanceur d’alerte coupable. Il a été par la suite condamné à 35 ans de prison après avoir été torturé pendant sa longue détention provisoire.

Il y a peu de doutes que si les États-Unis mettent la main sur Assange, un destin semblable l’attende. Les menaces sur la capture et l’assassinat d’Assange sont devenues monnaie courante chez les extrémistes politiques aux États-Unis après les calomnies absurdes du vice-président Joe Biden selon lesquelles le fondateur de WikiLeaks était un cyberterroriste. Ceux qui doutent du degré de cruauté auquel Assange peut s’attendre devraient se souvenir de l’atterrissage forcé de l’avion du président bolivien en 2013 – suspecté à tort de transporter Edward Snowden.

Selon des documents publiés par Snowden, Assange est sur une liste de cibles de chasse à l’homme. L’offre de Washington pour s’emparer de sa personne, affirment des câbles diplomatiques australiens, est «sans précédent par son ampleur et sa nature». A Alexandria, Virginie, un grand jury secret a mis cinq ans pour tenter de trouver le moyen d’accuser Assange d’un crime pour lequel il pourrait être poursuivi. Ce n’est pas facile. Le Premier amendement de la Constitution américaine protège les éditeurs, les journalistes et les lanceurs d’alerte.

Face à cet obstacle constitutionnel, le Département américain de la Justice a arrangé les chefs d’accusation d’espionnage, de conspiration pour commettre l’espionnage, de conversion (vol de propriétés du gouvernement), de fraude et abus par ordinateur (piratage informatique) et de conspiration générale. L’Espionage Act [loi fédérale sur l’espionnage] prévoit des dispositions pour la prison à vie et la peine de mort.

La capacité d’Assange de se défendre dans ce monde kafkaïen a été handicapée par le fait que les États-Unis ont déclaré son cas secret d’État. En mars, une cour fédérale à Washington a bloqué la publication de toute information sur l’enquête relevant de la sécurité nationale contre WikiLeaks, parce qu’elle était «active et en cours» et que cela porterait atteinte aux «poursuites en cours» contre Assange. La juge, Barbara J. Rosthstein, a dit qu’il était nécessaire de montrer un «respect approprié envers l’Exécutif en matière de sécurité nationale». Telle est la justice d’un tribunal bidon.

Le premier rôle dans cette sombre farce est tenu par la Suède, interprété par la procureure suédoise Marianne Ny. Jusqu’à récemment, Ny a refusé de se conformer à une procédure européenne de routine qui exigeait d’elle qu’elle se rende à Londres pour interroger Assange et faire ainsi avancer l’affaire. Pendant quatre ans et demi, Ny n’a jamais vraiment expliqué pourquoi elle refusait de se rendre à Londres, exactement comme les autorités suédoises n’ont jamais expliqué pourquoi elles refusaient de donner à Assange la garantie qu’elles ne l’extraderaient pas aux États-Unis en vertu d’un arrangement secret entre Stockholm et Washington. En décembre 2010, The Independent a révélé que les deux gouvernements avaient discuté de sa prochaine extradition aux États-Unis.

Contrairement à sa réputation des années 1960 d’être un bastion de la liberté, la Suède est devenue si proche de Washington qu’elle a autorisé des restitutions secrètes de la CIA – y compris la déportation illégale de réfugiés. La restitution, et la torture qui a suivi, de deux réfugiés politiques égyptiens en 2001 avait été condamnée par le Comité contre la torture de l’ONU, Amnesty International et Human Rights Watch ; la complicité et la duplicité de l’État suédois sont documentées dans un procès civil intenté avec succès et dans des câbles de WikiLeaks. A l’été 2010, Assange s’était envolé vers la Suède pour parler des révélations de WikiLeaks sur la guerre en Afghanistan – dans laquelle la Suède avait des forces armées sous commandement états-unien.

«Les documents publiés par WikiLeaks depuis qu’Assange est en Angleterre, a écrit Al Burke, directeur du magazine en ligne Nordic News Network, une autorité sur les multiples rebondissements et dangers auxquels est confronté Assange, indiquent clairement que la Suède a subi des pressions constantes de la part des États-Unis sur les questions relatives aux droits civils. Il y a toutes les raisons de s’inquiéter du fait que, si Assange devait être placé en détention par les autorités suédoises, il pourrait être remis aux États-Unis sans prise en compte de ses droits légaux.»

Pourquoi la procureure suédoise n’a-t-elle pas résolu l’affaire Assange?  Beaucoup de membres de la communauté juridique en Suède jugent son comportement inexplicable. Autrefois implacablement hostile à Assange, la presse suédoise a publié des gros titres comme: «Va à Londres, pour l’amour de Dieu.»

Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait? Ou plutôt, pourquoi n’autorise-t-elle pas le tribunal suédois à accéder aux centaines de messages SMS que la police a extraits du téléphone d’une des deux femmes impliquées dans les allégations d’inconduite? Pourquoi ne les remet-elle pas aux avocats suédois d’Assange? Elle dit qu’elle n’est pas tenue légalement de le faire jusqu’à ce qu’une inculpation formelle soit prononcée et qu’elle l’ait interrogé. Alors pourquoi ne l’interroge-t-elle pas? Et si elle l’avait interrogé, les conditions qu’elle lui poserait, à lui et à ses avocats – qu’ils ne pourraient pas lui contester – feraient d’une injustice une quasi certitude.

Sur un point de droit, la Cour suprême de Suède a décidé que Ny peut continuer à faire obstruction sur la question vitale des messages SMS. Cela ira maintenant à la Cour européenne des droits de l’homme. Ce que Ny craint, c’est que les messages SMS détruisent son affaire contre Assange. L’un des messages indique clairement que l’une des femmes ne voulait pas qu’une plainte soit portée contre Assange, «mais les policiers étaient désireux d’avoir prise sur lui». Elle a été «choquée» lorsqu’ils l’ont arrêté, parce qu’elle «voulait seulement qu’il fasse un test [HIV]». Elle «ne voulait pas accuser JA de quoi que ce soit» et «c’est la police qui a constitué les charges». (Dans un témoignage, elle est citée disant qu’elle «s’était fait avoir par la police et les autres autour d’elle».)

Ni l’une ni l’autre femme n’ont affirmé avoir été violées. En effet, toutes deux ont nié l’avoir été et l’une d’elles a tweeté depuis : «Je n’ai pas été violée.» Il est évident qu’elles ont été manipulées par la police et que leurs souhaits ont été ignorés – quoique leurs avocats puissent en dire maintenant. C’est certain, elles sont victimes d’une saga qui ruine la réputation de la Suède elle-même.

Pour Assange, le seul procès a été celui tenu par les médias. Le 20 août 2010, la police a ouvert une enquête pour viol et immédiatement – et illégalement –, les tabloïds de Stockholm ont dit qu’il y avait un mandat d’arrestation d’Assange pour «le viol de deux femmes». C’est la nouvelle qui a fait le tour du monde.

A Washington, un Secrétaire américain à la Défense souriant, Robert Gates, a dit aux journalistes que l’arrestation était «une bonne nouvelle» pour lui. Des comptes Twitter associés au Pentagone ont décrit Assange comme un violeur et un fugitif.

Moins de 24 heures plus tard, la procureure en chef de Stockholm, Eva Finne, a repris l’enquête. Elle n’a pas tardé à annuler le mandat d’arrêt, disant : «Je ne crois pas qu’il y ait une raison quelconque de soupçonner qu’il a commis un viol.» Quatre jours plus tard, elle a complètement rejeté l’enquête sur le viol, affirmant : «Il n’y a aucune suspicion de quelque crime que ce soit.» Le dossier était clos.

Entre en scène Claes Borgstrom, un éminent politicien du Parti social-démocrate alors candidat aux élections générales en Suède qui devaient se dérouler tout prochainement. Dans les jours qui ont suivi le non-lieu déclaré par la procureure en chef, Borgstrom, un avocat, a annoncé à la presse qu’il représentait les deux femmes et qu’il avait cherché un autre procureur dans la ville de Gothenberg. C’était Marianne Ny, que Borgstrom connaissait bien, personnellement et politiquement.

Le 30 août, Assange s’est rendu volontairement dans un poste de police à Stockholm et a répondu à toutes les questions qui lui étaient posées. Il a compris que c’était la fin de l’affaire. Deux jours plus tard, Ny a annoncé qu’elle rouvrait le dossier. Borgstrom était questionné par un journaliste suédois demandant pourquoi l’affaire reprenait alors qu’elle avait déjà été rejetée, citant l’une des femmes disant qu’elle n’avait pas été violée. «Ah, mais elle n’est pas juriste.» L’avocat australien d’Assange, James Catlin, a répondu : «C’est un sujet de dérision… C’est comme s’ils l’inventaient au fur et à mesure.»

Le jour où Marianne Ny a réactivé le cas, le chef des renseignements militaires suédois – dont l’acronyme est MUST – a dénoncé publiquement WikiLeaks dans un article intitulé WikiLeaks [is] a threat to our soldiers [WikiLeaks [est] une menace pour nos soldats]. Assange était averti que les services de renseignement suédois, le SAPO, avaient été informés par leurs homologues états-uniens que les arrangements sur le partage des renseignements entre les États-Unis et la Suède seraient rompus si la Suède le protégeait.

Pendant cinq semaines, Assange a attendu en Suède que la nouvelle enquête suive son cours. Le Guardian était alors sur le point de publier les Journaux de la guerre en Irak basés sur les révélations de WikiLeaks, qu’Assange devait superviser. Son avocat à Stockholm a demandé à Ny si elle avait une objection quelconque à ce qu’il quitte le pays. Elle a dit qu’il était libre de partir.

Inexplicablement, sitôt qu’il a eu quitté la Suède – à l’apogée de l’intérêt des médias et du public pour les révélations de WikiLeaks – Ny a émis un mandat d’arrêt européen et une alerte rouge Interpol, utilisée normalement pour les terroristes et les criminels dangereux. Diffusé en cinq langues tout autour de la terre, il a suscité la frénésie des médias.

Assange s’est rendu dans un poste de police à Londres, a été arrêté et a passé dix jours à la prison de Wandsworth, à l’isolement. Libéré sous une caution de £340 000, il était surveillé électroniquement, tenu de se présenter à la police quotidiennement et placé en résidence surveillée virtuelle tandis que son affaire commençait son long voyage vers la Cour suprême. Il n’avait encore été inculpé d’aucune infraction. Ses avocats répétaient son offre d’être interrogé par Ny à Londres, soulignant qu’elle lui avait donné l’autorisation de quitter la Suède. Ils ont proposé de recourir à un dispositif spécial de Scotland Yard, communément utilisé dans ce but. Elle a refusé.

Katrin Axelsson et Lisa Longstaff de Women Against Rape [Femmes contre le viol] ont écrit: «Les accusations contre [Assange] sont un écran de fumée derrière lequel certains gouvernements tentent de punir WikiLeaks pour avoir audacieusement révélé au public leurs plans secrets de guerres et d’occupation avec les viols, meurtres et destructions qui les accompagnent… Les autorités se soucient si peu de la violence contre les femmes qu’ils manipulent les allégations de viol à volonté. [Assange] a clairement fait savoir qu’il est disponible pour être interrogé par les autorités suédoises, en Grande-Bretagne ou par Skype. Pourquoi refusent-elles cette étape essentielle dans leur enquête? De quoi ont-elles peur?»

Cette question est restée sans réponse lorsque Ny a lancé un mandat d’arrêt européen (MAE), un produit impitoyable et aujourd’hui disqualifié de la guerre contre la terreur, prétendument destiné à arrêter des terroristes et des criminels organisés. Ce MAE a aboli l’obligation pour l’État requérant de fournir la moindre preuve d’un crime. Plus d’un millier de MAE sont lancés chaque mois ; seuls quelques-uns ont quelque chose à voir avec des charges potentielles de terrorisme. La plupart sont émis pour des infractions mineures, telles que des frais bancaires et des amendes. La plupart de ceux qui sont extradés subissent des mois d’emprisonnement sans inculpation. Il y a eu un grand nombre de dénis de justice, que les juges britanniques ont très fortement critiqués.

L’affaire Assange est enfin arrivée en mai 2012 à la Cour suprême du Royaume-Uni. Dans un jugement qui a maintenu le MAE – dont les exigences rigides n’ont laissé presque aucune marge de manœuvre aux tribunaux – les juges ont trouvé que les procureurs européens pourraient émettre des mandats d’extradition au Royaume-Uni sans surveillance judiciaire, même si le Parlement l’entendait autrement. Ils ont dit clairement que le Parlement avait été induit en erreur par le gouvernement Blair. La Cour était divisée, 5 contre 2, et par conséquent s’est prononcée contre Assange.

Toutefois, le président de la Cour suprême, Lord Phillips, a fait une erreur. Il a appliqué la Convention de Vienne sur l’interprétation des traités, autorisant la pratique de l’État à déroger à la loi. Comme l’avocate d’Assange, Dinah Rose QC, l’a souligné, cela ne s’applique par au MAE.

La Cour suprême n’a reconnu cette erreur cruciale que lorsqu’elle a traité un autre recours contre le MAE en novembre 2013. La décision Assange avait été erronée, mais c’était trop tard pour revenir en arrière. Avec une extradition imminente, la procureure suédoise a dit aux avocats d’Assange que celui-ci, une fois en Suède, serait immédiatement placé dans l’un des infâmes centres de détention provisoire suédois.

Le choix d’Assange était difficile : être extradé vers un pays qui avait refusé de dire si oui ou non il l’enverrait aux États-Unis ou rechercher ce qui semblait sa dernière chance de refuge et de sécurité. Soutenu par la plus grande partie de l’Amérique latine, le courageux gouvernement de l’Équateur lui a accordé le statut de réfugié sur la base de preuves documentées et d’avis juridiques attestant qu’il était confronté à la perspective d’une punition cruelle et inusitée aux États-Unis ; que cette menace violait ses droits humains fondamentaux ; et que son propre gouvernement, en Australie, l’avait abandonné et était de connivence avec Washington. Le gouvernement travailliste du Premier ministre Julia Gillard avait même menacé de lui retirer son passeport.

Gareth Peirce, la célèbre avocate des droits humains qui représente Assange à Londres, a écrit au ministre des Affaires australien d’alors, Kevin Rudd: «Compte tenu de l’ampleur du débat public, fréquemment sur la base d’hypothèses entièrement fausses [] il est très difficile de tenter de préserver pour lui toute présomption d’innocence. Aujourd’hui, ce n’est pas une mais deux épées de Damoclès qui menacent Assange, l’extradition potentielle vers deux juridictions différentes, à leur tour pour deux crimes présumés différents, dont aucun ne sont des crimes dans son propre pays, et sa sécurité personnelle est devenue risquée dans des circonstances qui sont extrêmement chargées politiquement.»

Ce n’est que lorsqu’elle a contacté la Haute commission australienne à Londres que Peirce a reçu une réponse, qui ne répondait à aucun des points pressants qu’elle avait soulevés. Dans une assemblée où je m’étais rendu avec elle, le consul général d’Australie, Ken Pascoe, a fait la déclaration étonnante qu’il ne savait «que ce que je lis dans les journaux» sur les détails de l’affaire.

Pendant ce temps, la perspective d’une erreur judiciaire grotesque était noyée dans une campagne injurieuse contre le fondateur de WikiLeaks. Des attaques personnelles graves, vicieuses et inhumaines ont visé un homme qui n’était accusé d’aucun crime mais se trouvait soumis à un traitement qui ne serait même pas infligé à un justiciable menacé d’extradition parce qu’accusé d’avoir assassiné sa femme. Le fait que la menace des États-Unis contre Assange était une menace pour tous les journalistes, pour la liberté d’expression, s’est perdu dans le sordide et l’ambitieux.

Des livres ont été publiés, des contrats pour des films ont été conclus et des carrières dans les médias ont été lancées, ou ont commencé, sur le dos de WikiLeaks, en partant de l’idée qu’attaquer Assange était de bonne guerre et qu’il était trop pauvre pour engager des poursuites. Des gens ont gagné de l’argent, souvent beaucoup d’argent, tandis que WikiLeaks a lutté pour survivre. Le rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, a appelé les révélations de WikiLeaks, que son journal a publiées, «l’un des plus grands scoops journalistiques des 30 dernières années». C’est devenu une partie de son plan marketing pour augmenter le prix de couverture de son journal.

Sans qu’un centime aille à Assange ou à WikiLeaks, un livre très en vogue du Guardian a débouché sur un film de Hollywood très lucratif. Les auteurs du livre, Luke Harding et David Leigh, ont décrit Assange, de manière gratuite, comme une «personnalité abîmée» et «insensible». Ils ont aussi révélé le mot de passe secret qu’il avait donné au journal en toute confiance, et qui était destiné à protéger un fichier numérique contenant les câbles de l’ambassade des États-Unis. Avec Assange pris au piège dans l’ambassade équatorienne, Harding, debout dehors avec la police, s’est vanté sur son blog que «Scotland Yard pourrait rire le dernier».

L’injustice infligée à Assange est l’une des raisons qui ont poussé le Parlement à réformer la loi sur l’extradition afin de prévenir l’utilisation du MAE. Le fourre-tout impitoyable utilisé contre lui n’existe plus aujourd’hui ; des inculpations devraient être déposées et l’interrogatoire ne constituerait pas un motif suffisant pour une extradition. «Son cas a été gagné en bloc, m’a dit Gareth Peirce, ces changements dans la loi signifient que le Royaume-Uni reconnaît maintenant comme correct tout ce qui a été argumenté dans son cas. Simplement, il n’en bénéficie pas.» Autrement dit, les modifications de la loi britannique en 2014 signifient qu’Assange aurait gagné son affaire et qu’il n’aurait pas été contraint de devenir un réfugié.

La décision de l’Équateur de protéger Assange en 2012 est née dans une affaire internationale importante. Même si l’octroi de l’asile est un acte humanitaire, que tous les États ont le pouvoir d’accorder en vertu du droit international, tant la Suède que le Royaume-Uni ont refusé de reconnaître la légitimité de la décision de l’Équateur. Ignorant le droit international, le gouvernement Cameron a refusé d’accorder à Assange un passage sécurisé vers l’Équateur. En lieu et place, l’ambassade équatorienne a été assiégée et son gouvernement a été persécuté par une série d’ultimatums. Lorsque le Foreign Office [ministère des Affaires étrangères] de William Hague a menacé de violer la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, avertissant que cela supprimerait l’immunité diplomatique de l’ambassade et y enverrait la police pour prendre Assange, l’indignation dans le monde entier a contraint le gouvernement à reculer. Pendant une nuit, la police est apparue aux fenêtres de l’ambassade dans une tentative évidente d’intimider Assange et ses protecteurs.

Depuis lors, Julian Assange a été confiné dans une petite chambre sous la protection de l’Équateur, sans lumière du soleil ni espace pour prendre de l’exercice, encerclé par la police qui a l’ordre de l’arrêter à vue. Pendant trois ans, l’Équateur a dit clairement à la procureure suédoise qu’Assange est disponible pour être interrogé dans l’ambassade de Londres, et pendant trois ans celle-ci a persisté dans son intransigeance. Pendant la même période, la Suède a interrogé quarante-quatre personnes au Royaume-Uni en relation avec des enquêtes policières. Son rôle, et celui de l’État suédois, est manifestement politique ; quant à Ny, qui prendra sa retraite dans deux ans, elle doit gagner.

En désespoir de cause, Assange a contesté le mandat d’arrêt auprès des tribunaux suédois. Ses avocats ont cité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme confirmant qu’il avait été placé en détention arbitraire et indéfinie et qu’il avait été un prisonnier virtuel pendant plus de temps que toute peine de prison effective qu’il pourrait subir. Le juge de la Cour d’appel a été d’accord avec les avocats d’Assange : la procureure a en effet manqué à ses devoirs en suspendant l’affaire pendant des années. Un autre juge a émis un blâme à l’endroit de la procureure. Et pourtant, elle a défié la Cour.

En décembre dernier, Assange a porté son cas devant la Cour suprême de Suède, qui a ordonné au supérieur de Marianne Ny – le procureur général de Suède Anders Perklev – de s’expliquer. Le lendemain, Ny a annoncé, sans explication, qu’elle avait changé d’avis et interrogerait maintenant Assange à Londres.

Dans son mémoire à la Cour suprême, le procureur général a fait quelques concessions importantes : il a soutenu que la coercition d’Assange avait été intrusive et que la période passée dans l’ambassade avait été une grande tension pour lui. Il a même concédé que si l’affaire avait débouché sur une inculpation, un procès, une condamnation et une peine en Suède, Julian Assange aurait quitté ce pays depuis longtemps.

Dans une décision non unanime, un juge de la Cour suprême a fait valoir que le mandat d’arrêt aurait dû être révoqué. La majorité des juges a statué que puisque la procureure avait dit qu’elle irait à Londres, les arguments d’Assange étaient devenus sans objet. Mais la Cour a statué qu’elle aurait intenté une action contre la procureure si elle n’avait pas subitement changé d’avis. Justice par caprice. Écrivant dans la presse suédoise, un ancien procureur suédois, Rolf Hillegren, a accusé Ny de perdre toute impartialité. Il a décrit son engagement personnel dans l’affaire comme anormal et a demandé qu’elle soit remplacée.

Après avoir dit qu’elle se rendrait à Londres en juin, Ny n’y est pas allée elle-même, mais a envoyé un adjoint, sachant que l’interrogatoire ne serait pas légal dans ces conditions, notamment parce que la Suède n’avait pas pris la peine d’obtenir l’autorisation de l’Équateur pour la rencontre. En même temps, son bureau a averti le tabloïd suédois Expressen, qui a envoyé son correspondant à Londres planquer devant l’ambassade équatorienne pour glaner des informations. L’information était que Ny annulait le rendez-vous et accusait l’Équateur de confusion et, implicitement, Assange de non-coopération – alors que c’est le contraire qui était vrai.

Comme la date du délai de prescription approche – le 20 août – un autre chapitre de cette épouvantable histoire suivra certainement, avec Marianne Ny tirant un autre lapin de son chapeau et les commissaires et les procureurs à Washington qui en seront les bénéficiaires. Peut-être que rien de tout cela n’est surprenant. En 2008, une guerre contre WikiLeaks et Julian Assange était prédite dans un document secret du Pentagone préparé par la Cellule d’analyse du contre-espionnage informatique. Il décrivait un plan détaillé pour détruire le sentiment de confiance qui est le centre de gravité de WikiLeaks. Ce serait atteint avec des menaces d’exposition et de poursuites pénales. Faire taire et criminaliser une source aussi rare de divulgation de la vérité était le but, la calomnie le moyen. Tandis que ce scandale continue, la vraie idée de la justice se ratatine, en même temps que la réputation de la Suède, et l’ombre de la menace de l’Amérique nous atteint tous.

Ecoutez l’interview de John Pilger par Eric Draitser dans Episode 12 sur le podcase de Radio CounterPunch.

C’est une version actualisée de l’enquête réalisée en 2014 par John Pilger, qui raconte l’histoire non écrite d’une campagne incessante, en Suède et aux États-Unis, pour dénier toute justice à Julian Assange et réduire WikiLeaks au silence.

Pour des informations complémentaires importantes, cliquez sur les liens suivants:

http://justice4assange.com/extraditing-assange.html

http://www.independent.co.uk/news/uk/crime/assange-could-face-espionage-trial-in-us-2154107.html

https://www.youtube.com/watch?v=1ImXe_EQhUI

https://justice4assange.com/Timeline.html

https://justice4assange.com/Timeline.html

http://pdfserver.amlaw.com/nlj/wikileaks_doj_05192014.pdf

https://wikileaks.org/59-International-Organizations.html

https://s3.amazonaws.com/s3.documentcloud.org/documents/1202703/doj-letter-re-wikileaks-6-19-14.pdf

http://www.theguardian.com/media/2015/jul/23/julian-assange-ecuador-and-sweden-in-tense-standoff-over-interview?CMP=twt_gu

http://assangeinsweden.com/2015/03/17/the-prosecutor-in-the-assange-case-should-be-replaced/

https://justice4assange.com/Prosecutor-cancels-Assange-meeting.html

John Pilger peut être joint sur son site internet: www.johnpilger.com

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker francophone

 

 

 

SOURCE SAKER FRANCOPHONE

 

 

 

 

 

 

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