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5 septembre 2015

Mélenchon, incohérences et responsabilités

Sur RUSSEUROPE

 

Jean-Luc Mélenchon a finalement décidé de ne pas se rendre à la réunion organisée par Jean-Pierre Chevènement, et il s’en est expliqué publiquement[1]. C’est son droit. Ce qui est plus gênant sont les raisons qu’il invoque. Elles donnent le sentiment d’une incohérence et d’une inconséquence dans la ligne politique. Ceci pose la question de la responsabilité du dirigeant politique.

 

Incohérence ?

Il faut ici rappeler qu’avant d’annoncer publiquement sa décision de ne pas participer à cette réunion, Jean-Luc Mélenchon avait tenu d’autres propos dans le journal Sud-Ouest[2]. Interrogé sur une possible sortie de l’Euro il a les propos suivant : « Avec ou sans euro, le traité budgétaire s’appliquerait. Nous ne sommes donc plus libres. Je propose un nouvel indépendantisme français. Mais il n’y a pas à menacer. Si l’on ne peut convaincre l’Allemagne, il faut la contraindre. Sinon, mieux vaut divorcer qu’une vie commune humiliante ». Remarquons la formule, que je n’ai volontairement pas extraite de son contexte : « Nous ne sommes donc plus libres. Je propose un nouvel indépendantisme français ». Ce sont des mots forts, surtout quand ils sont ainsi dits publiquement, et le constat qu’ils établissent est largement partagé. Il les fait précéder d’autres mots, qui, d’ailleurs, ne sont pas moins forts. Confronté à la question du journaliste de Sud-Ouest qui lui demande si la capitulation d’Alexis Tsipras ne risque de le décrédibiliser, il réponde : « Mais les gens savent que, moi, je ne suis pas homme à céder. Parmi les dirigeants français, je suis le seul capable de tenir tête à Mme Merkel. Les autres sont des galopins ».

Or, c’est une toute autre image de lui qui est donnée dans la lettre ouverte à Jean-Pierre Chevènement. La première raison qu’il avance pour justifier son refus est celle-ci : « Je t’avais bien informé en amont de mon refus complet d’être associé de quelque façon que ce soit à l’idée lourdement erronée à mes yeux de « l’alliance des républicains des deux rives ». Mon appréciation sur ce point est aussi ancrée que la tienne »[3]. Certes, et c’est affirmer de manière claire des divergences. Mais, cela ne cadre guère avec la formule « Nous ne sommes donc plus libres. Je propose un nouvel indépendantisme français ». Car, justement, si l’on pense que le problème aujourd’hui est celui de la souveraineté, et l’on sait que pour que l’on puisse parler de souveraineté populaire il faut, en amont, qu’il y ait la souveraineté de la Nation compris comme cadre à l’expression de cette souveraineté populaire, alors – au contraire – l’alliance des républicains des deux rives s’impose. On ne voit pas ce qui aurait changé dans la situation politique entre le 22 août (date de l’interview dans Sud-Ouest) et le 1er septembre (date de la lettre ouverte). Jean-Luc Mélenchon argumente dans un long paragraphe sur l’exemple de la Catalogne. Et il faut lire attentivement ce qui y est écrit. Il y a des choses vraies (l’alliance nationale a abouti à réduire au silence une partie de la gauche catalane) et des choses fausses comme : « L’union des républicains des deux rives, et n’importe quelle union nationale, se font partout et toujours au prix du silence de la gauche sur les ambitions de progrès humain de la société ». On peut d’ailleurs douter qu’une élection municipale soit le bon terrain pour réaliser un « front » des diverses forces indépendantistes. Cela limite largement la pertinence de l’exemple.

Les exemples où cette « union » s’est réalisée dans un cadre permettant l’expression du progrès humain sont nombreux. On rappellera, bien entendu, le cas du CNR dans la résistance. L’exemple de la Catalogne ne fait alors que rappeler à son tour cette évidence : il ne peut y avoir de « front » qui réussisse qu’à la condition que la gauche conserve son autonomie stratégique et politique au sein de ce front et pèse sur le programme de ce dit « front ».

Mais, le plus grave vient dans la seconde raison avancée par Jean-Luc Mélenchon pour refuser de se rendre à la réunion organisée par Jean-Pierre Chevènement. Il dit aussi : « je sais trop bien comment, quoique je dise ou explique sur place, la petite musique délétère des chiens de garde du système m’assignerait à cette ligne politique, que je désapprouve pourtant depuis toujours, comme je te l’ai expliqué de vive voix. Cette confusion achèverait le bouclage mental qui s’opère déjà autour de la thèse selon laquelle tous les défenseurs de la souveraineté populaire seraient voués à se retrouver unis alors même que leurs convictions écologiques et sociales s’opposent en tous points ». Autrement dit, d’une part Jean-Luc Mélenchon ne fait aucun lien entre des « convictions écologiques et sociales » et la question de la souveraineté (et comment prendre des mesures significatives si nous ne sommes plus souverains ?), mais surtout il avoue qu’il limite son projet politique à ce qu’impose la « petite musique délétère des chiens de garde du système ». Et il dit cela après avoir affirmé dans l’interview à Sud-Ouest, neuf jours auparavant, que : « Parmi les dirigeants français, je suis le seul capable de tenir tête à Mme Merkel. Les autres sont des galopins ».

Comment ne pas douter que quelqu’un qui se laisse à ce point impressionner par les « chiens de garde du système » puisse capable de tenir tête non seulement à Mme Merkel, qui tient le rôle de père fouettard dans le langage Mélenchonien, mais aussi de MM. Schäuble, Dijsselbloem, Juncker et Draghi ? En utilisant un langage qui peut laisser penser qu’il est sensible à ces « chiens de garde du système », Jean-Luc Mélenchon met à mal la figure de l’homme d’acier qu’il entend se construire par comparaison aux autres hommes politiques qu’il traite, pas si gentiment que cela, de « galopins ». Le moins que l’on puisse en dire est que ceci n’est guère cohérent.

 

Inconséquence

Le problème qui se révèle à la lecture de ces deux textes est double. D’une part, si Jean-Luc Mélenchon semble bien s’être rendu compte de la nouvelle situation qui a émergée en Europe après le coup de force de la Toïka, il n’en a pas tiré encore toutes les conséquences. Il se refuse à admettre que la souveraineté populaire ne prend sens que dans le cadre d’un espace politique donné, et historiquement construit, qui est la Nation. Il se refuse à considérer la problématique d’un « front » et à en envisager les conditions pratiques d’application. Car, et on l’a dit dans des notes antérieures[4], un « front » ne peut se réaliser uniquement avec ses amis politiques, et implique une définition précise tant du programme autour duquel ce « front » se constitue que des modes précis d’organisation, de préservation de l’autonomie stratégique et politique de chacun en son sein.

Quand il accuse Nicolas Dupont-Aignan d’être un partisan du « droit du sang », ou à tout le moindre de vouloir remettre en cause le « droit du sol », il le fait sans aucune preuve[5]. Le texte liminaire à ce passage du programme de « Debout la France » est d’ailleurs très clair : « L’idéal de la République, c’est d’abord une société où chacun se sent dépositaire du destin commun national. Ce sont les Institutions qui permettent au peuple de s’exprimer et de voir sa volonté traduite au niveau du gouvernement. Mais l’esprit de la Cinquième République a été trahi par ses successeurs, notamment avec la forfaiture du traité de Lisbonne. C’est aussi une société qui partage des valeurs fortes, de liberté, d’égalité et de fraternité sans faire le moindre compromis avec la tentation communautariste, totalement étrangère à la tradition Française »[6]. Jean-Luc Mélenchon aurait pu demander à Nicolas Dupont-Aignan de préciser sa pensée sur l’économie, de choisir entre le libéralisme effréné d’un Charles Beigbeder et la tradition du gaullisme social qu’avait incarné Philippe Seguin. C’est là un véritable débat que l’on peut avoir, et un journaliste a d’ailleurs bien pointé l’incohérence sur ce point de Dupont-Aignan[7]. Mais Jean-Luc Mélenchon a préféré se lancer dans de faux procès au lieu de poser de bonnes questions. C’est cela que l’on appelle l’inconséquence.

 

Réminiscence

Il faut alors se souvenir d’un événement de la politique française, qui se situe à la fin de l’été 1954 : le rejet de la Communauté Européenne de Défense ou CED. Ce souvenir est ravivé par une note que l’on trouve…sur le site du Parti de Gauche[8].

La CED fut une tentative pour créer une instance supranationale en matière de défense, qui aboutissait à mettre en commun, de fait sous commandement américain, les forces militaires des pays de l’Europe occidentale, tout en autorisant le réarmement allemand. Ce projet fut longuement combattu par des forces politiques allant du Parti Communiste au Rassemblement du Peuple Français, créé par le général De Gaulle, et qui pouvait passer, aux yeux de nombreux observateurs pour un parti d’extrême-droite. A tout le moins, les divergences étaient plus qu’évidentes entre PCF et RPF dont les militants s’affrontaient physiquement épisodiquement sur le pavé. On retrouvait parmi les opposants à la CED tant des personnes connues pour leurs opinions d’extrême-gauche (non communiste) comme Marceau Pivert (gauche de la SFIO) que des personnalités très marquées à droite, dont des généraux ayant servi le régime de Vichy.

Les raisons de l’opposition à la CED n’étaient pas moins variées. Cela allait de l’affirmation d’un pacifisme bon teint (chez les amis de Marceau Pivert et dans une partie de l’aile gauche de la SFIO) à l’affirmation de la nécessité pour la France de conserver son autonomie en matière de défense pour pouvoir continuer à mener des guerres coloniales. Certains, en particulier les proches du PCF mais pas uniquement, voyaient dans la CED le cheval de Troie de l’impérialisme américain. D’autres y voyaient un mécanisme privant la France des moyens de défense autonome et l’intégrant dans un ensemble supranational que l’on refusait au nom du nationalisme. Il était clair que les raisons des uns étaient irrecevables aux oreilles des autres, et réciproquement.

Document 1

Compte rendu sténographique du débat parlementaire aboutissant au rejet de la CED

 A – Débat Parl. rejet CED 1954

Néanmoins, ces divergences importantes ne furent nullement considérées comme suffisante pour interdire un minimum de coopération entre les forces qui s’opposaient à la CED. On vit des réunions ou l’on retrouvait sur la même estrade des proches du PCF et du RPF. Ce qui était compris par de nombreux acteurs était que si la CED était finalement ratifiée, et elle l’avait déjà été par les partenaires européens de la France, il en était fait de l’indépendance et de la souveraineté du pays. C’est la compréhension profonde que se jouait, autour de cette question, quelque chose d’essentiel qui fédéra les énergies. C’était la compréhension profonde que, cédant sur ce point la France cédait sans espoir de retour sur la question de sa souveraineté.

Parmi les promoteurs de la CED, et leurs partisans, on retrouvait à l’époque bien des arguments qui nous furent resservis en d’autres temps et d’autres lieux. On prétendait que la défense de la France passait nécessairement par une étroite coopération, que rejeter la CED serait porter un coup fatal à la construction européenne. On eut des arguments pseudo-technique, comme celui de l’un des partisans de la ratification de la CED, M. Coste-Fleuret qui cherche à faire croire au Parlement qu’un radar ne détecte un avion qu’au dessus de la frontière alors que la profondeur du champ d’investigation des radars de l’époque s’étendait déjà à plus de 250 km (soit 150 milles)[9]. En un mot, on eut sur avec ce débat une préfiguration de ce que l’on aurait, cinquante-et-un an plus tard avec le projet de Constitution européenne en 2005.

Si l’on revient donc sur cet exemple, c’est en raison de son exemplarité quant à la question de l’Euro et quant à la question de possibles « fronts » de circonstance. Le Parti de Gauche a fait le choix de nous rappeler cet épisode, et on ne peut que l’approuver. Mais il est clair qu’il n’en tire pas toutes les conséquences qui logiquement s’imposent.

 

Responsabilités

La position de Jean-Luc Mélenchon pose, enfin, la question des responsabilités qui sont prises tant par lui que par son parti. Refusant de penser un possible « front », rejetant même cette idée, il se condamne à une stratégie dans laquelle le Parti de Gauche serait appelé à croître rapidement pour évincer non seulement le Parti dit « socialiste » mais aussi une fraction importante de la droite. Dans cette stratégie, le Parti de Gauche serait progressivement rejoint tant par une fraction d’Europe Ecologie Les Verts, que par des segments entiers du PS. Ce n’est pas complètement impossible, en particulier si la France devait connaître une succession de tragédies politiques et sociales. Mais, néanmoins, c’est une hypothèse fort peu probable. De plus, pour que cette stratégie ait le minimum de chances de réussite, il importe que la ligne politique du Parti de Gauche soit parfaitement lisible. Or, quelques jours après les déclarations faites par Jean-Luc Mélenchon, le PdG propose une alliance avec EELV dont ont connaît les sentiments fédéralistes européens et le rejet, quasiment viscéral, de tout ce qui touche à la souveraineté. De ce point de vue, la position d’Arnault Montebourg serait plus en phase avec les déclarations faites par Jean-Luc Mélenchon dans Sud-Ouest. Il faut donc constater que dans le même temps ou est tenu un discours faisant de la « clarté » un principe, on s’ingénie à rendre illisible la ligne politique. Or, tant Jean-Luc Mélenchon que le Parti de Gauche ont déjà payé le prix de l’illisibilité de leur ligne politique, en particulier lors des dernières élections.

Cela pose, aussi, le problème de l’articulation entre le temps « politicien », c’est à dire celui qui est rythmé par des échéances électorales, et le temps « politique » qui est celui déterminé par la nature de la période politique et les problèmes, tant principaux que secondaires, qu’elle met à l’ordre du jour. On conçoit que ces deux temps ne soient pas toujours accordés. Nul ne fait grief à un parti politique d’être préoccupé par le temps « politicien ». Mais, ces deux temps doivent être rendus compatibles dans la stratégie d’un parti. A soumettre le temps « politique » au temps « politicien » on court le risque d’une perte totale de cohérence, ce qui rejaillit bien évidemment sur les résultats des échéances électorales. Si la stratégie du Parti de Gauche est désarticulée par cette perte de cohérence, son discours devient illisible, et il doit dire adieu au projet de transcroissance qui est aujourd’hui le sien. Il se condamne à n’être que le 4ème ou le 5ème parti politique du pays. Mais, la déception des militants, des adhérents et des électeurs sera, alors, à la hauteur des espérances qu’on leur aura fait miroiter. Cette déception pourrait alors les conduire à faire des choix politiques individuels qui pourraient être surprenants. Telle est la responsabilité prise par Jean-Luc Mélenchon, et il reste à espérer qu’elle a été mûrement réfléchie.

Enfin, Jean-Luc Mélenchon prend une autre responsabilité : celle de ne pas véritablement armer les adhérents et sympathisants du Parti de Gauche face au Front National. En se limitant à des anathèmes, il construit un tabou. Mais, ce dernier est de nature religieuse et non politique. Il en sera de ce tabou ce qu’il en fut des précédents ; il viendra un temps où il sera considéré comme caduc. S’il s’était engagé résolument dans la logique de constitution d’un « front » sur la question de l’Euro et de l’Union européenne, il aurait permis l’explicitation de véritables bornes frontières politiques avec ce dernier parti. Ce faisant, non seulement il aurait mieux armé les adhérents et sympathisants du Parti de Gauche qu’avec la gesticulation permanente autour d’un tabou, mais il aurait aussi confronté une partie des adhérents et des électeurs du Front National à de véritables questionnements. Rappelons que le 17 avril 1936, face aux « Croix de Feu » du colonel De la Roque, un mouvement abusivement considéré comme « fasciste »[10], Maurice Thorez disait ceci : « Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu croix-de-feu, parce que tu es un fils de notre peuple, que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux, comme nous, éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe »[11]. Rappelons, encore, que le Pari Social Français qui fut l’héritier politique du mouvement des Croix de Feu, se scinda sous Vichy et qu’une large partie de ses cadres et de ses militants, rejoignirent la résistance, préfigurant ce qui devait être le « gaullisme social » dans les années de l’après-guerre. Cette responsabilité là, de ne pas armer véritablement les adhérents, électeurs et sympathisants de la gauche radicale face non à un Front National mythifié mais face à se réalité, de ne pas permettre que de véritables questions soient posées, est certainement la plus grave.

Notes

[1] http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/09/01/lettre-a-jean-pierre-chevenement/

[2] http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/08/22/je-suis-le-seul-capable-de-tenir-tete-a-merkel/

[3] http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/09/01/lettre-a-jean-pierre-chevenement/

[4] On renvoie à http://russeurope.hypotheses.org/4232 et à http://russeurope.hypotheses.org/4244

[5] Voir http://www.debout-la-france.fr/une-republique-des-devoirs-des-droits

[6] http://www.debout-la-france.fr/une-republique-des-devoirs-des-droits

[7] Boughezala D., « NDA_Chevènement, pour un flirt avec toi », Causeur, 31 août 2015, http://www.causeur.fr/nda-chevenement-pour-un-flirt-avec-toi-34362.html

[8] https://www.lepartidegauche.fr/date/30-aout-1954-33219

[9] Voir la page 24 du compte-rendu de la séance au Parlement.

[10] Winock M., La Rocque et les Croix de Feu, in Vingtième siècle, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, avril-juin 2006, numéro 90

[11] http://www.gauchemip.org/spip.php?article19319

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