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8 septembre 2015

Les migrants, prétexte à une nouvelle donne économique

Sur CONTREPOINTS

 

Publié le 7 septembre 2015 dans Europe

L’arrivée massive de migrants est l’occasion de proposer un transfert à l’Europe de la souveraineté économique et politique des pays européens.

Par Éric Verhaeghe

Pendant que des vagues de migrants arrivent en Europe par tous les moyens et cristallisent les passions, un autre scénario se joue, qui devrait beaucoup plus inquiéter les esprits : malgré les interventions massives de la BCE, l’inflation ne repart toujours pas. Le pire est-il à venir, pour l’Europe, dans le domaine économique ?

L’Europe submergée par l’émotion face aux migrants

Les partisans d’une ligne dure sur la question des migrants (notamment les partisans d’une fermeture des frontières) ont dû se rendre à l’évidence : l’émotion suscitée par la photo du petit Aylan, enfant syrien de trois ans retrouvé mort sur une plage turque face à l’île grecque de Kos, prouve que le continent n’est pas prêt à payer le prix humain d’une politique répressive. En dehors d’Arno Klarsfeld, on trouve d’ailleurs très peu de réactions hostiles aux décisions prises en urgence par l’Allemagne et la France au nom de l’Union sur une répartition « mathématique » des réfugiés.

Jour après jour, les images de ces colonnes où se pressent des milliers de réfugiés envahissent les écrans. 350 000 migrants ont traversé la Méditerranée en 2015, dont 230 000 migrants pour la seule Grèce. Pour ce seul jeudi, 5 600 migrants seraient arrivés en Macédoine. En Allemagne, ce sont 10000 migrants qui sont attendus en une journée en provenance de Hongrie. Tous ces cortèges de misère donnent lieu à de spectaculaires représentations où les Européens ont le sentiment d’un continent submergé par des flux migratoires.

L’Europe et l’échec de la politique répressive

Ces images stupéfiantes infirment en tout cas l’idée selon laquelle un « mauvais traitement » des réfugiés permettrait de juguler les flux d’arrivée. La façon dont les 230 000 migrants arrivés en Grèce sont accueillis est par exemple ahurissante. Voici quelques extraits d’un rapport d’Amnesty International sur le sujet :

« L’organisation a été témoin d’une attaque violente contre des réfugiés dans la nuit du 3 au 4 septembre et elle a recensé les conditions extrêmement difficiles auxquelles sont confrontés les réfugiés sur l’île. Elle a trouvé des enfants n’ayant parfois pas plus d’une semaine parmi les foules forcées à attendre dans une chaleur étouffante, parfois pendant des jours, pour se faire enregistrer par les autorités locales. Les chercheurs ont par ailleurs recueilli les propos de mineurs non accompagnés détenus dans des conditions déplorables auprès d’adultes. (…)

Dans la nuit du 3 au 4 septembre du personnel d’Amnesty a vu un groupe de 15 à 25 personnes brandissant des battes se ruer sur des réfugiés sur l’île de Kos en scandant « rentrez dans votre pays » et des insultes. Le groupe a également menacé des militants, dont des membres du personnel d’Amnesty International. Une militante qui prenait des photos s’est fait arracher son appareil et a été légèrement blessée. La police n’a pas empêché le groupe de s’approcher, et les forces anti-émeutes ne sont intervenues qu’une fois que l’assaut avait commencé ; elles ont alors utilisé du gaz lacrymogène pour disperser la foule. »

L’ironie de l’histoire veut que le commissaire européen aux migrations soit le Grec Dimitris Avramopoulos. Face à la situation à Kos, il a déclaré, à propos d’une amélioration des conditions d’accueil :

« La Grèce pourra bénéficier de 474 millions d’euros d’ici 2020 pour mettre en place infrastructures et mécanismes requis.

Une première enveloppe de 33 millions d’euros peut être débloquée dès la semaine prochaine si le pays se dote comme prévu d’une autorité de gestion de ses fonds, a-t-il précisé. »

On a curieusement entendu peu de voix, à gauche, pour dénoncer l’incurie de Tsipras sur ce sujet depuis son arrivée au pouvoir en janvier.

L’Europe joue aux marchands de tapis

Toute la semaine, les Européens ont réagi à la situation en jouant aux marchands de tapis.

Jeudi, Donald Tusk, le président du Conseil, affirmait qu’il fallait répartir au moins 100 000 réfugiés en Europe (contre 40 000 évoqués au sommet de juin 2015). Vendredi, Jean-Claude Juncker surenchérissait à 160 000 réfugiés. De son côté, l’ONU estime que l’Union devrait répartir 200 000 réfugiés sur son territoire. Qui dit mieux ? Angela Merkel se montrait plus prudente en insistant sur l’enjeu principal : faire admettre une politique communautaire d’asile.

« Mais, face aux flux constants de migrants, il est impossible de fixer un chiffre précis, a prévenu Angela Merkel. Il s’agit d’abord d’en faire accepter le principe par tous. »

Un sommet européen devrait se tenir le 14 septembre et trancher la question.

Que cache le projet d’Angela Merkel ?

Sous le coup de l’émotion, personne ne semble mesurer clairement le transfert de souveraineté que rend effectif la politique commune d’asile voulue par Angela Merkel, sous peine de faire éclater l’espace Schengen.

Une habile communication a permis de présenter l’Allemagne comme la bienfaitrice des migrants face à des voisins européens égoïstes. En réalité, l’affichage généreux de Merkel pourrait être une posture tactique transitoire. L’Allemagne, qui est le pays le plus prospère de l’Union et le plus éloigné des frontières par où passent les migrants, mais aussi le principal pays de destination de ces migrants, a semble-t-il besoin de nous faire avaler la pilule : la maîtrise des flux migratoires par la Commission européenne (qui ne fait jamais rien contre l’avis allemand) permettrait d’imposer aux pays de l’Est et à la Grande-Bretagne les migrants dont l’Allemagne ne voudra plus dans quelques mois.

Sur ce point, Angela Merkel pose le marché en main : c’est ça ou l’Allemagne ferme ses frontières et remet en cause l’ouverture des frontières voulue par Schengen. La Bavière a déjà commencé à faire pression pour que le sujet soit mis sur la table.

L’Europe prépare une nouvelle vague de transfert de souveraineté

Si l’Allemagne rêve de « quotas contraignants » qui lui permettront de soulager son fardeau, la France en profite pour avancer ses pions sur un nouveau transfert de souveraineté, dans le domaine économique cette fois.

Emmanuel Macron est le principal missi dominici de cette opération imaginée par François Hollande, sur une logique europhile dont les tenants et aboutissants semblent encore plus fous que les critères de Maastricht. Lors d’un sommet économique en Italie, notre ministre de l’Économie a brillamment déclaré :

« La question est de savoir si nous voulons aller plus loin, et dans ce cas cela veut dire plus d’intégration, faire des réformes au niveau national et des transferts au niveau européen. »

Pêle-mêle, il s’est prononcé en faveur d’un budget de la zone euro, d’un commissaire en charge de ce budget, et même d’un parlement de la zone euro.

Pierre Moscovici, dont la clairvoyance économique est bien connue, lui a emboîté le pas, et a indiqué lors d’une conférence de presse à Paris :

« Je défends depuis des années une meilleure gouvernance de la zone euro, avec un gouvernement spécifique doté d’un budget propre pour plus de convergence, sous l’autorité d’une sorte de ministre des Finances de la zone euro qui, pour moi, pourrait être membre de la Commission européenne. »

Priver les gouvernements nationaux de leur politique migratoire et de leur politique économique, voilà une vision forte au moment où le nationalisme s’exacerbe en Europe. Cela s’appelle avoir du flair.

Les financiers inquiets pour l’Europe

Cette offensive en bonne et due forme ne tombe pas à n’importe quel moment économique. Tout montre en effet que la politique monétaire de la BCE ne suffira pas à relancer la croissance, et qu’il faut la compléter par une politique budgétaire commune. La BCE vient d’ailleurs d’abaisser ses prévisions économiques, malgré une injection massive d’argents frais dans les circuits financiers de l’Union.

« L’institut monétaire table désormais sur une croissance en zone euro de 1,4% cette année (contre 1,5% précédemment), de 1,7% en 2016 (contre 1,9%) et de 1,8% en 2017 (contre 2%). Quant à l’inflation, elle devrait atteindre 0,1% en 2015, 1,1% en 2016 et 1,7% en 2017, contre + 0,3%, + 1,5% et + 1,8% respectivement jusqu’à présent, a précisé M. Draghi. La BCE envisage même un recul passager des prix « dans les prochains mois ». En cause cette fois, la faiblesse des cours du pétrole, qui tire la moyenne des prix vers le bas. »

Autrement dit, la déflation menace, malgré l’utilisation d’armement lourd pour la combattre. Le cours du pétrole a évidemment bon dos : la crise en Chine et le patinage américain dans la semoule sont les vraies causes de l’apathie des marchés européens. Cette semaine encore, l’emploi aux États-Unis a plombé les marchés.

Vers un nouveau big one financier ?

Le sujet européen du moment se trouve là, en réalité : alors que la BCE a épuisé toutes ses armes, le danger d’un effondrement des marchés est toujours présent. Il est d’abord dû à la panne mondiale de croissance, à laquelle l’Europe prend généreusement sa part.

L’idée d’un gouvernement économique européen est l’ultime farce inventée pour sauver un monde finissant dont personne ne connaît aujourd’hui le destin futur. On peut prendre les paris d’une remise en cause, dans les douze mois qui viennent, des fondements sur lesquels le modèle européen est bâti depuis 30 ans.

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