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1 octobre 2015

L’illégitime défense de la France contre Daech en Syrie

 

L'armée française a-t-elle le droit d'intervenir contre l'Etat islamique au nom de la légitime défense, comme le prétend le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian? Doctorant en droit international, Jean-Baptiste Maillart critique ce point de vue

«La France a frappé ce matin en Syrie», annonçait François Hollande ce dimanche. Promises dès le 7 septembre, les frappes françaises contre Daech sont menées au nom de la «légitime défense», martèle l’Exécutif. Dans un entretien accordé au Monde le 18 septembre, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait d’ailleurs précisé ces propos sous l’angle du droit international en affirmant que «le cadre légal est l’article 51 de la Charte des Nations unies qui porte sur la légitime défense». Or, disons-le d’entrée de jeu: la France n’a aucun droit de légitime défense contre Daech en Syrie.

Depuis janvier, il est vrai que la France a dû faire face à une menace terroriste sans précédent et que la plupart des attentats commis ou déjoués ont été revendiqués par Daech. La prise d’otage de l’Hyper Cacher n’est qu’un exemple de la barbarie exportée du prétendu Califat. En bombardant Daech en Syrie, la France entend ainsi réagir à ces attaques au nom de la «légitime défense». Selon Manuel Valls, interrogé dimanche, «c’est ce que nous permet la Charte des Nations unies, l’article 51».

Cet article prévoit en effet le «droit naturel de légitime défense» des Etats. Toutefois, l’exercice de ce droit est assorti de plusieurs conditions. La plus importante parmi elles est certainement le fait que l’Etat qui recourt à la légitime défense doit avoir été préalablement l’objet d’une «agression armée», telle que définie par la Résolution 3314 de l’Assemblée générale (AG) qui, en son article premier, exige qu’elle soit perpétrée, directement ou indirectement, «par un Etat». Autrement dit, l’agression armée doit toujours être attribuée à l’Etat dont le territoire est la cible prospective d’un recours à la force en légitime défense. Cette exigence fut d’ailleurs rappelée à de nombreuses reprises par l’AG elle-même mais aussi par le Conseil de sécurité et la Cour internationale de justice, comme en 2005 dans l’affaire des activités armées au Congo. En ce qui concerne Daech, les crimes que ses membres commettent ne sont bien évidemment pas imputables à l’Etat syrien, si bien que, aussi terrifiantes furent-elles, les récentes attaques terroristes qu’a subies la France ne constituent pas des «agression(s) armée(s)» au sens de l’article 51. Elle ne peut donc pas invoquer la légitime défense contre Daech en Syrie.

A cette affirmation, certains pourraient rétorquer que cette lecture strictement interétatique de l’article 51 s’est infléchie depuis le 11 septembre 2001, la pratique étatique acceptant plus facilement le recours à la force en légitime défense contre des acteurs armés non étatiques. Cela est indéniable. Toutefois, cette pratique est encore trop récente pour que l’on puisse véritablement parler d’évolution coutumière du droit international. Elle ne concerne, qui plus est, qu’une poignée d’Etats. Certains autres pourraient avancer l’argument de la «légitime défense préventive» pour tenter de justifier l’intervention française: elle aurait alors pour objet non pas la riposte contre les attaques passées mais la volonté de se prémunir contre des attaques futures, fomentées depuis la Syrie. Mais ce serait oublier que cet argument a toujours été fermement rejeté par les plus hautes instances internationales, notamment la Cour internationale de justice et le Conseil de sécurité qui n’y voient aucun fondement en droit international.

Alors, que faire? On pourrait bien sûr plaider pour une refonte complète du droit relatif au recours à la force. Mais le temps presse; il faut agir vite car les victimes de Daech sont plus nombreuses chaque jour. Partageant le même avis que Jean-Yves Le Drian, «nous ne pouvons (…) pas accepter d’avoir en France, dans sa vision des menaces et des risques, un angle mort sur la Syrie». La progression rapide de Daech doit être interrompue très rapidement, que la réponse soit militaire et/ou politique, du moment qu’elle est appropriée. C’est le rôle et le devoir de la France, mais aussi de la communauté internationale tout entière. Cette réponse doit néanmoins se faire dans le respect des normes de droit. Il en va là de la survie de la paix et de la sécurité internationales. L’absence de consensus des membres permanents du Conseil de sécurité sur le rôle que doit jouer Bachar al-Assad dans la transition politique semble pour le moment paralyser l’action militaire du Conseil.

Toutefois, la recherche du compromis est une priorité! La France, qui semble vouloir prendre en main le dossier, ne pourrait-elle pas là jouer un rôle clé de médiateur? Deux autres solutions semblent pertinentes, même si elles ne peuvent qu’être complémentaires à une action du Conseil de sécurité. L’une serait une action politique concertée des Etats au niveau transnational afin d’endiguer la montée de l’islamisme radical dans leurs sociétés et diminuer ainsi l’afflux de combattants étrangers dans les rangs de Daech. L’autre serait de multiplier les manœuvres diplomatiques avec les Etats soutenant financièrement le groupe afin qu’ils cessent. Avec des ressources humaines et financières diminuées, Daech reculera.

Jean-Baptiste Maillart est doctorant en droit international public à l'Université de Genève.

 

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