sur France TV
Elles s’appellent Syngenta, Monsanto, Bayer ou Dow, vous ne les connaissez peut-être pas. Ce sont des multinationales de l’agrochimie qui fabriquent les pesticides utilisés dans l’agriculture. Leurs produits se retrouvent dans les aliments, dans l’eau du robinet et même dans l’air que l'on respire. Certains sont cancérigènes ou neurotoxiques, d’autres sont des perturbateurs endocriniens particulièrement dangereux pour les enfants. "Cash Investigation" a eu accès à une base de données confidentielle sur les ventes de pesticides en France, produit par produit, département par département, entre 2008 et 2013. En moyenne, ce sont près de 65 000 tonnes de pesticides purs qui sont épandues chaque année sur notre territoire. Aujourd’hui, l’Hexagone est le premier consommateur de produits phytosanitaires en Europe.
Des molécules dangereuses
Depuis 1980, les cancers infantiles augmentent de 1% par an en France, soit environ 2 500 cas supplémentaires chaque année. C’est la deuxième cause de mortalité chez l’enfant. Existe-t-il un lien entre ces maladies et l’exposition aux pesticides ? Pour les scientifiques du monde entier, il n’y a plus guère de doute.
Le folpel produit par Bayer, l’atrazine de Syngenta ou le chlorpyrifos-éthyl de Dow Chemical. Derrière ces noms inconnus du grand public se cachent des molécules aux risques sanitaires avérés. Des molécules qui rapportent des milliards d'euros aux multinationales. Après un an d'investigation en France, en Allemagne, en Suisse ou aux Etats-Unis, "Cash Investigation" révèle comment certains produits mettent nos enfants en danger.
La démocratie polluée par les pesticides
Le dernier volet de l’enquête a conduit l'équipe de "Cash Investigation" à Hawaï. Le climat de cet archipel paradisiaque permet quatre récoltes par an. C'est pourquoi les multinationales y testent leurs produits. Dans ce qui est probablement le plus grand labo à ciel ouvert d’expérimentation d’OGM au monde, elles font un usage massif de pesticides. On y recense dix fois plus d’anomalies congénitales que la moyenne aux Etats-Unis. La mobilisation des citoyens a permis de faire passer une loi locale pour limiter les dégâts. Les industriels ont immédiatement répliqué, attaquant cette loi devant les tribunaux, et ils ont gagné. A Hawaï, au grand jeu de la démocratie, c’est la chimie qui l’emporte.
"Cash Investigation. Produits chimiques, nos enfants en danger", une enquête de Martin Boudot, diffusée mardi 2 février à 20h55 sur France 2.
> Et un livre pour aller plus loin : les journalistes Martin Boudot et Antoine Dreyfus publient Toxic, aux éditions Les Arènes, une enquête sur l'étendue des dommages causés par l'industrie des pesticides.
2) La polémique Cash Investigation: De l’art d’empoisonner à petites doses
Marie Monique Robin
http://www.arte.tv/sites/robin/2016/02/18/la-polemique-autour-de-cash-investigation-2-de-lart-dempoisonner-a-petites-doses/
Je continue, comme promis, ma plongée dans la mécanique tordue du processus d’ « évaluation des risques » qui est censé nous protéger, nous les consommateurs, en nous permettant de manger des pommes ou salades présentant des résidus de poisons chimiques « dans les limites légales autorisées » ou sans « trace détectable », comme l’écrit le rapport de l’EFSA. Ah ! La belle affaire ! Vous allez voir que c’est tout sauf rassurant…
Hier, j’ai raconté que c’était René Truhaut, un toxicologue français (1909_1994) qui a eu l’idée d’inventer la fameuse DJA, la Dose Journalière Acceptable laquelle désigne la dose de poison que nous sommes « autorisés » à ingérer chaque jour sans tomber malades ou … raides morts. Dans les années 1950, l’initiative de Truhaut était carrément révolutionnaire et partait d’un souci réel de protéger les consommateurs. A l’époque, en effet, des milliers de produits chimiques – pesticides, additifs alimentaires, emballages plastiques- avaient envahi la chaîne alimentaire, sans aucune évaluation préalable ! En d’autres termes : n’importe quel industriel pouvait mettre n’importe quel produit toxique sur le marché (comme un colorant pour rendre le jambon tout rose) sans qu’il n’ait besoin de fournir aucun dossier toxicologique préliminaire !
C’est bien ce qui inquiétait René Truhaut, ainsi qu’on l’a vu dans la vidéo que j’ai mise en ligne sur mon post d’hier: « Un consommateur qui absorbe par exemple une petite quantité de colorant pendant deux semaines, pendant deux mois, pendant un ou deux ans, peut n’avoir aucun effet nocif, déclarait-il ainsi de sa voix haut perchée. Mais il faut prévoir que ces petites doses longtemps répétées, jour après jour, pendant toute une vie, peuvent parfois comporter des risques extrêmement insidieux et même parfois des risques irréversibles, car il y a certains colorants, par exemple, qui au moins chez l’animal se sont avérés capables de provoquer des proliférations malignes, c’est-à-dire des cancers[i].
Dans mon film Notre poison quotidien, j’ai aussi utilisé l’autre (unique) interview télévisée qu’il a donnée en 1964, où il faisait preuve d’une franchise qui est tout à son honneur : « Si vous me permettez de faire une comparaison, expliquait-il avec un souci pédagogique évident, au siècle dernier, lorsque ce citoyen du monde que fut Pasteur a découvert le danger des bactéries, eh bien dans le domaine alimentaire spécifiquement, on a accordé une très grande importance au contrôle microbiologique des aliments et on a fondé toute une série de laboratoires pour effectuer ce contrôle. Eh bien, il faudrait qu’il en soit de même dans le cadre du contrôle des agents chimiques ajoutés aux aliments, parce que leurs dangers, pour être plus insidieux, moins spectaculaires, si vous voulez, n’en sont à mon avis certainement pas moins graves[ii]. »
Donc, Truhaut eut une bonne intuition : les produits chimiques sont dangereux et il faut les réglementer. Pour cela, il proposa de s’inspirer de celui qui était considéré comme le père de la toxicologie, le médecin suisse …Paracelse.
Voici la présentation que j’en fais dans mon livre Notre poison quotidien :
L’utilisation perverse du principe de Paracelse : « Seule la dose fait le poison »
Né Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim (1493-1541), celui qui est entré dans l’histoire sous le nom de Paracelse était un alchimiste, astrologue et médecin suisse, à la fois rebelle et mystique, qui a dû maintes fois se retourner dans sa tombe en voyant comment les toxicologues du xxe siècle ont abusé de son nom pour justifier la vente massive de poisons. Parmi les coups de gueule légendaires du « médecin maudit[iii] », l’un mérite d’être médité par tous ceux qui sont chargés de la protection de notre santé : « Qui donc ignore que la plupart des médecins de notre temps ont failli à leur mission de la manière la plus honteuse, en faisant courir les plus grands risques à leurs malades[iv] ? », s’emporte en 1527 le professeur de médecine, alors qu’il vient de brûler les manuels classiques de sa discipline devant l’université de Bâle, ce qui, on s’en doute, lui valut quelques solides inimitiés.
« Allergique à tout argument d’autorité[v] » – ce que semblent aussi avoir oublié ceux qui appliquent les yeux fermés le principe qui porte son nom –, Paracelse est considéré comme le père à la fois de l’homéopathie et de la toxicologie, deux disciplines qui, aujourd’hui, ne s’apprécient guère. La première revendique l’une de ses maximes les plus célèbres, dont s’est aussi inspiré Pasteur lorsqu’il inventa le premier vaccin : « Ce qui guérit l’homme peut également le blesser et ce qui l’a blessé peut le guérir. » La seconde en préfère une autre, somme toute complémentaire : « Rien n’est poison, tout est poison : seule la dose fait le poison[1]. »
L’idée que « seule la dose fait le poison » remonte en fait à l’Antiquité. Dans leur livre Environnement et santé publique, Michel Gérin et ses coauteurs rappellent que « le roi Mithridate consommait régulièrement des décoctions contenant plusieurs dizaines de poisons afin de se protéger d’un attentat de ses ennemis. Il aurait si bien réussi que, fait prisonnier, il échoua dans sa tentative de se suicider à l’aide de poison[vi] ». C’est au roi grec que l’on doit donc le mot « mithridatisation », qui désigne « l’accoutumance ou l’immunité acquise à l’égard de poisons par exposition à des doses croissantes ». S’appuyant sur ses propres observations, Paracelse considère que des substances toxiques peuvent être bénéfiques à petites doses et que, inversement, une substance a priori inoffensive comme l’eau peut se révéler mortelle si elle est ingérée en trop grande quantité. Nous verrons ultérieurement que le principe « seule la dose fait le poison » – dogme intangible de l’évaluation toxicologique des poisons modernes – n’est pas valide pour de nombreuses substances, mais nous n’en sommes pas encore là…
Adepte inconditionnel de Paracelse, René Truhaut était titulaire de la chaire de toxicologie de la faculté de Paris et était considéré comme l’un des pionniers de la cancérologie française. Membre des académies françaises de médecine et des sciences, il avait son entrée dans toutes les grandes instances internationales, dont l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qu’il fréquenta assidûment pendant plus de trente ans. C’est dans le cadre de l’institution onusienne qu’il développa le principe de la DJA, ainsi qu’il l’a revendiqué dans un (rare) article publié en 1991 : « Je crois avoir vraiment été l’initiateur du concept de la dose journalière acceptable (DJA), comme cela a d’ailleurs été reconnu dans plusieurs articles écrits par des experts qui ont vécu avec moi, pendant la période des années 1950 à 1962, écrit-il alors avec une certaine retenue dont on ne sait si c’est de la prudence ou de la modestie. Malheureusement et paradoxalement, je n’ai, à l’époque, rien publié dans des périodiques scientifiques[vii]. »
C’est bien dommage, en effet, car l’enquête que j’ai menée pour Notre poison quotidien montre que la belle idée de René Truhaut n’a jamais été validée scientifiquement par aucune étude qui permette de confirmer la pertinence de la DJA… Mais n’allons pas trop vite, car, comme vous le savez, « le diable est dans le détail »… À ce stade de mon récit, il convient de savoir que c’est René Truhaut qui est à l’origine (avec d’autres) de la création de deux organismes onusiens très importants pour la suite de notre histoire : le JECFA (Le Comité d’experts FAO/OMS sur les additifs alimentaires) et le JMPR ((Le Comité d’experts FAO/OMS sur les résidus de pesticides), chargés de l’ « évaluation du risque chimique » et d’établir les « normes alimentaires internationales » dans le cadre du « Codex Alimentarius ». Ouah !
Voici ce que j’écris dans Notre poison quotidien :
L’initiative conduira à la création du Joint FAO/WHO Expert Meeting Committee on Food Additives (JECFA), dont la première session s’est tenue à Rome, en décembre 1956. Nommés par la FAO et l’OMS, les experts, dont faisait partie René Truhaut, adoptèrent le principe dit des « listes positives », selon lequel « l’emploi de toute substance, non autorisée sur des bases toxicologiques adéquates, est interdit[viii] ». Concrètement, cette recommandation signifie qu’aucun nouvel additif alimentaire ne peut être utilisé par l’industrie agroalimentaire sans avoir subi au préalable des tests toxicologiques qui doivent être soumis pour évaluation au JECFA (ou à une agence nationale). Sur le fond, c’était une avancée spectaculaire, allant clairement dans le sens de la protection des consommateurs. Mais nous verrons avec l’exemple de l’aspartame (voir infra, chapitres 14 et 15) comment ce système d’évaluation sera régulièrement détourné par l’industrie à son seul et unique profit.
Les experts soulignaient aussi la nécessité d’accorder une « importance primordiale à l’utilité technologique de l’additif soumis à l’évaluation toxicologique[ix] ». Cette remarque est intéressante, car elle permet de comprendre le contexte idéologique dans lequel s’inscrivait la démarche de René Truhaut et de ses collègues. À aucun moment, ils ne questionnent la nécessité sociale d’utiliser des substances chimiques pour la production d’aliments, même si celles-ci sont a priori toxiques. À l’évidence sincèrement soucieux des risques pour la santé publique liés à la présence d’adjuvants chimiques dans les aliments, René Truhaut exprime ainsi une préoccupation, pas si fréquente à l’époque, sur les « risques du progrès ». Pour autant, il n’entend aucunement remettre en cause l’idée que ces innovations auraient une « utilité technologique » : il ne s’agit pas pour lui de demander l’interdiction pure et simple de substances cancérigènes « ajoutées intentionnellement à la nourriture » dans le seul intérêt économique des fabricants, mais de gérer au mieux le risque qu’elles engendrent pour le consommateur, en essayant de le réduire au minimum. C’est ainsi que lors de la deuxième session du JECFA, qui s’est tenue à Genève en juin 1957, les experts ont longuement disserté sur le type d’études toxicologiques qu’il fallait exiger des industriels pour déterminer la dose de poison qu’on pouvait tolérer dans les aliments. Je dis bien « poison », car si la substance concernée n’était pas suspectée d’en être un, le JECFA n’aurait aucune raison d’exister, ni d’ailleurs la fameuse DJA.
Pour bien comprendre le caractère pour le moins approximatif de la démarche, il faut citer le récit qu’en a fait postérieurement René Truhaut, en 1991 : « J’ai contribué à introduire, dans le rapport final un nouveau chapitre “Évaluation des concentrations probablement inoffensives pour l’homme” avec les phrases suivantes : “En s’appuyant sur ces diverses études, on peut fixer dans chaque cas la dose maximale qui ne provoque, chez les animaux employés, aucun effet décelable (ci-après appelés pour plus de brièveté “dose maximum sans effet décelable”, en anglais, maximum ineffective dose). Lorsqu’on extrapole cette dose à l’homme, il est opportun de prévoir une certaine marge de sécurité”. » Et d’ajouter, avec une étonnante franchise : « C’était un peu flou[x]. »
C’est effectivement le moins que l’on puisse dire, mais cela n’empêcha pas le JECFA d’adopter le principe de la dose journalière acceptable lors de sa sixième session de juin 1961, où les experts décidèrent d’exprimer la « dose ne provoquant, dans l’expérimentation, aucun effet ayant une signification toxicologique en mg/kg de poids corporel/jour ». Avant d’expliquer plus en détail ce que signifie précisément cette unité de mesure cabalistique, il convient de souligner, une fois de plus, la lucidité du « père de la DJA », qui avoue dans un même élan les limites de sa création : « Lorsqu’on parle de doses sans effet dans l’expérimentation toxicologique, il faut savoir que seule la dose zéro doit être ainsi considérée, toute autre dose comportant un effet, si minime soit-il[xi]. » En d’autres termes : la DJA n’est pas la panacée, mais elle permet de limiter les dégâts que causeront immanquablement les substances chimiques ingérées, comme les additifs alimentaires, mais aussi les résidus de pesticides.
En effet, en 1959, alors qu’ont lieu les premières sessions du JECFA, la FAO propose la création d’un comité similaire, chargé d’étudier les « dangers posés aux consommateurs par les résidus de pesticides que l’on trouve sur et dans les aliments et fourrages[xii] ». Cette nouvelle initiative est la preuve, s’il en était besoin, qu’avant cette date personne ne s’était sérieusement préoccupé des effets que pouvaient avoir les pesticides sur la santé humaine, alors que les poisons agricoles avaient déjà largement conquis les champs des paysans. Trois ans plus tard, au moment où Le Printemps silencieux de Rachel Carson défraye la chronique internationale, la FAO réunit une conférence pour « formuler et recommander un programme d’action future concernant les aspects scientifiques, législatifs et réglementaires de l’usage des pesticides dans l’agriculture », ainsi que le rapportera en 1981 René Truhaut, qui fut l’un des principaux protagonistes de ces rencontres[xiii].
Il raconte notamment qu’il a participé à un groupe de travail « sur la lutte contre la mouche de l’olive, culture fort importante, comme chacun sait, dans le bassin méditerranéen ». Et de préciser : « J’ai été confronté au problème de la fixation, dans l’huile d’olive livrée à la consommation humaine, de limites maximales de résidus de divers insecticides organophosphorés et notamment du parathion[2]. La limite de concentration généralement adoptée dans les divers pays du monde était alors de 1 mg/kg d’huile. Mais, sur le plan toxicologique, tout dépend de la quantité d’huile consommée par jour. Le pâtre grec qui a des olives à sa disposition plonge son pain dans l’huile et peut en absorber jusqu’à 60 g par jour. Il absorbe donc beaucoup plus de parathion que des consommateurs qui n’ingèrent de l’huile d’olive qu’avec la salade. Et, raisonnant sur cet exemple, j’ai été conforté dans mon idée qu’il fallait inverser le problème et fixer une dose à partir de laquelle on pourrait calculer les tolérances à fixer pour tel ou tel aliment en fonction de la quantité moyenne consommée dans telle ou telle région[xiv]. » Ce que décrivait là le toxicologue français en 1991 correspond exactement à la tâche assignée au Joint FAO/WHO Meeting on Pesticides Residues (JMPR), le comité d’experts institué par l’OMS et la FAO en octobre 1963, pour établir la DJA des pesticides, mais aussi ce que l’on appelle les « limites maximales de résidus » (LMR), à savoir la quantité de résidus de pesticides autorisée sur chaque produit agricole traité (voir chapitre suivant).
Demain je raconterai en « détail » (ben oui !!) comment le processus d’évaluation des risques chimiques est verrouillé par les industriels, et, en fait, ne sert que leurs intérêts. Vous comprendrez alors pourquoi j’ai écrit hier que le rapport de l’EFSA était de « l’enfumage ». Au passage je souligne l’incroyable prouesse des experts qui ont contribué à la rédaction de ce rapport, car il n’est pas aisé de rendre un semblant de cohérence à un incroyable bricolage (et je pèse mes mots…)
Et finalement, je ne peux pas résister à vous transmettre un autre extrait de mon livre où je rends hommage au sociologue allemand Ulrich Beck qui dans son ouvrage La Société du risque dresse un réquisitoire implacable du rôle joué par les scientifiques dans le désastre sanitaire qui caractérise la « modernité avancée » :
« Les sciences telles qu’elles ont été conçues – avec leur répartition du travail ultraspécialisée, leur appréhension des méthodes et de la théorie, leur absence totale de rapport avec la praxis – se révèlent totalement incapables de réagir de façon adéquate aux risques liés à la civilisation, pour la bonne raison qu’elles participent activement à leur naissance et à leur développement, écrit Ulrich Beck. Elles se muent bien plutôt – que ce soit avec la bonne conscience de la “scientificité pure” ou avec des scrupules croissants – en protecteurs et légitimateurs d’une pollution industrielle planétaire de l’air, de l’eau, de l’alimentation, etc., et du déclin et du dépérissement des plantes, des animaux et des hommes qui en résultent[xv]. »
Ulrich Beck consacre ainsi de longues pages aux « scientifiques spécialistes du risque », qu’il appelle les « magiciens » ou les « acrobates des taux limites » : « Comme les scientifiques ne sont jamais totalement inconscients, ils ont inventé bien des mots, des méthodes et des chiffres pour masquer leur inconscience. Le mot “taux limite” est l’une des façons les plus répandues de dire que l’on ne sait rien. […] Les taux limites de présence “acceptable” de substances polluantes et toxiques dans l’air, l’eau et l’alimentation réussissent le tour de force d’autoriser les émissions polluantes tout en légitimant leur existence, tant qu’elle se cantonne en deçà de valeurs établies. En limitant la pollution, on fait le jeu de la pollution. […] Il est possible que les taux limites permettent d’éviter le pire, mais ils servent aussi à “blanchir” les responsables : ils peuvent se permettre d’empoisonner un peu la nature et les hommes. […] Les taux limites sont les lignes de repli d’une civilisation qui s’entoure elle-même de substances polluantes et toxiques en surabondance. L’exigence de non-intoxication, qui paraît pourtant le fait du bon sens le plus élémentaire, est donc rejetée parce qu’utopique. […] Les taux limites ouvrent la voie à une ration durable d’intoxication collective normale. […] Ils assurent une fonction de désintoxication symbolique. Ils font office d’anxiolytiques symboliques contre l’accumulation d’informations catastrophiques sur la pollution. Ils indiquent qu’il y a des gens qui se donnent du mal et qui restent vigilants[xvi]. » Et Ulrich Beck de conclure par un commentaire acerbe sur les « constructeurs de taux limites », qui sont à ses yeux des « chimistes magiciens de l’ère postindustrielle », doués de « talents de voyance extralucide » et d’un « troisième œil » : « En fin de compte, il s’agit de déterminer jusqu’où on peut aller sans que l’intoxication soit une intoxication, et à partir de quand une intoxication est une intoxication. […] Il est difficile de voir dans tout cela autre chose qu’une façon très élégante et très chiffrée de déclarer : nous non plus, nous ne savons pas[xvii]. »
[1] Rebelle invétéré, Paracelse n’écrivait pas en latin, mais en allemand. Pour les germanistes, la phrase originale est : « Alle Ding sind Gift, und nichts ohne Gift ; allein die Dosis macht, das ein Ding kein Gift ist ». Mot à mot : tout est poison et rien n’est sans poison. Seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison.
[2] Le parathion a été interdit en Europe en 2003, en raison de sa haute toxicité. Il fait partie des insecticides qui ont rejoint la liste de la « sale douzaine » des polluants persistants, à bannir à tout prix. Jusqu’à son interdiction, il avait une DJA de 0,004 mg par kg de poids corporel…
[i] Interview diffusée dans le journal télévisé de l’ORTF le 3 juin 1974.
[ii] Jean Lallier, Le Pain et le Vin de l’an 2000, documentaire diffusé sur l’ORTF le 17 décembre 1964. Ce film fait partie des bonus du DVD de mon film Notre poison quotidien.
[iii] René Allendy, Paracelse. Le médecin maudit, Dervy-Livres, Paris, 1987.
[iv] Paracelsus, « Liber paragraphorum », Sämtliche Werke, Éditions K. Sudhoff, tome 4, p. 1-4.
[v] Andrée Mathieu, « Le 500e anniversaire de Paracelse », L’Agora, vol. 1, n° 4, décembre 1993-janvier 1994.
[vi] Michel Gérin et alii, Environnement et santé publique, op. cit., p. 120. On soupçonne que les poisons utilisés par le malheureux roi – qui sera finalement tué par un mercenaire – étaient en fait éventés…
[vii] René Truhaut, « Le concept de la dose journalière acceptable », Microbiologie et Hygiène alimentaire, vol. 3, n° 6, février 1991, p. 13-20.
[viii] René Truhaut, « Le concept de la dose journalière acceptable », loc. cit.
[ix] Ibid.
[x] René Truhaut, « Le concept de la dose journalière acceptable », loc. cit. C’est moi qui souligne.
[xi] Ibid. C’est moi qui souligne.
[xii] René Truhaut, « 25 years of JECFA achievements », loc. cit.
[xiii] Ibid.
[xiv] René Truhaut, « Le concept de la dose journalière acceptable », loc. cit.
[xv] Ulrich Beck, La Société du risque, op. cit, p. 107.
[xvi] Ibid., p. 116, 117, 125 et 126. C’est Ulrich Beck qui souligne.
[xvii] Ibid., p. 118 et 124.
*
Elise Lucet: « Les lobbys industriels font tout pour restreindre au maximum l’investigation économique»
Mis à jour le 15/06/15 à 18h09
sur 20 minutes
La pétition lancée par la journaliste Elise Lucet contre la directive européenne « Secret des affaires » a recueilli ce lundi près de 300.000 signatures…
Elle est ravie que l’opinion publique soutienne sa démarche. La pétition lancée sur Change.org par Elise Lucet et soutenue par le collectif de journalistes Informer n’est pas un délit est en passe d’atteindre les 300.000 signatures ce lundi. Un beau succès à la veille de l’examen par la commission juridique au Parlement européenne d’une directive concernant la « Protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ». Mais Elise Lucet reste plus que jamais sur le qui-vive, d’autant plus que les journalistes des autres pays européens ne se sont pas encore vraiment manifestés.
« Seulement des énormes groupes ont été entendus »
Au cœur de l’inquiétude des journalistes, cette notion de « secret des affaires ». Le texte prévoirait en effet de sanctionner lourdement ceux qui l’enfreindraient. Pour la présentatrice du JT de 13h sur France 2 et rédactrice en chef de l’émission d’enquêtes Cash Investigation, cette directive menace clairement le droit d’informer : « C’est normal que les entreprises veuillent cacher leurs secrets industriels, explique-t-elle lors d’une conférence de presse à Paris ce lundi après-midi. On nous dit que c’est pour protéger les petites et moyennes entreprises. Mais à Bruxelles, ce sont seulement des énormes groupes qui ont été entendus, comme Air Liquide ou Dassault. Ces lobbys font tout pour restreindre au maximum l’investigation économique. »
Le risque de voir les sources se taire
Les sanctions financières prévues par la directive vont en effet peser sur les lanceurs d’alerte et les sources des journalistes, selon elle : « C’est totalement dissuasif pour les gens qui, choqués par les pratiques de leur propre entreprise, vont pouvoir à un moment travailler avec des journalistes en leur révélant des documents secrets. » Elise Lucet craint aussi un risque d' « autocensure » de la part de médias ou de sociétés de production qui éviteront de diffuser certains sujets. Elle assure qu’il ne s’agit pas d' « une défense corporatiste du métier de journaliste », mais celle du droit d’informer, rappelant que « l’affaire Mediator quand elle a été révélée a quand même empêché des morts supplémentaires ».
« Si la directive passe, tous les Etats membres vont devoir transposer dans leurs textes nationaux. Cela veut dire que le combat sur l’amendement dans la loi Macron n’aura servi à rien », remarque Virgine Marquet, avocate du collectif Informer n’est pas un délit. En effet, en début d’année, un amendement contenu dans la loi Macron avait tenté de faire passer subrepticement la notion de secret des affaires. Il prévoyait de punir quiconque prend connaissance, révèle sans autorisation ou détourne toute information protégée à ce titre d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende. L’amendement polémique avait finalement été retiré en février dernier, après que plusieurs médias sont montés au créneau.
Préjudice commercial contre droit de la presse
« Si le secret des affaires devient un principe, alors le droit à l’information devient une exception et c’est au journaliste de démontrer que ses informations sont d’intérêt général, pointe Virgine Marquet. Il y a donc un renversement de la charge de la preuve. On introduit le préjudice commercial dans le droit de la presse… » Elise Lucet soupire : « Il fallait qu’une entreprise prouve qu’on avait causé des dommages et intérêts pour nous faire condamner et maintenant ça va être l’inverse. »
Joel Metreau
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Le Parlement européen réfléchit à un assouplissement de la certification du label bio. Le règlement de la Commission européenne pourrait autoriser la présence de pesticides et d’OMG dans les produits labellisés bio. Explications.
Une tolérance réduite
La Commission Agriculture du Parlement européen envisage de supprimer le seuil de contamination afin de tolérer un certain pourcentage de pesticides. Cela n’est pas sans rappeler la réglementation sur les OGM adoptée en 2007 et proposée par Christine Lagarde qui autorise la présence de traces d’OGM à hauteur de 0,9% dans les produits bio.
Aujourd’hui, les produits issus d’une agriculture biologique sont garantis sans pesticides ni traitements chimiques après récolte. Jusqu’à présent, toutes traces de ces substances chimiques, même accidentelles, déclassent le produit ou le champs sur lequel il pousse. Dans le cas du non-respect des seuils du cahier des charges, le label biologique ne peut plus être utilisé. Toutefois, la labellisation bio de l’Union Européenne lancée en 2007 souhaite voir ses critères s’assouplir.
Le développement d’un bio low-cost ?
Bien que cette réglementation puisse faire du tort aux agricultures bio, elle permettrait aux grandes exploitations agricoles traditionnelles de tendre progressivement vers une production bio. Alors que la réglementation très stricte contraint parfois les agriculteurs à continuer de produire de façon conventionnelle, cet assouplissement pourrait permettre d’étendre considérablement la culture bio. Avec des coûts revus à la baisse, un bio low-cost se démocratiserait aussi bien chez les agriculteurs et que chez consommateurs.
À long terme, les exploitations qui produiraient du “quasi-bio” pourraient finir par ne plus produire que du 100% bio. Un label spécifiant la double production (conventionnelle et bio) serait alors judicieux par souci de transparence mais inciterait à encore plus de vigilance sur les origines de la part des consommateurs.
Il existe déjà plusieurs labels plus ou moins stricts tels que le label AB (Agriculture Biologique) qui respecte le cahier des charges européen tandis que le label Bio Cohérence qui, en plus des critères européens, impose des engagements spécifiques tels que l’interdiction totale d’OGM ou le refus de la coexistence bio/non bio. Le label Demeter, lui, repose sur l'agriculture biodynamique qui soigne la terre et préserve la fertilité des sols.
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L’Europe envisage d’assouplir les critères d’obtention du label bio
Le Parlement européen réfléchit à un assouplissement de la certification du label bio. Le règlement de la Commission européenne pourrait autoriser la présence de pesticides et d’OMG dans les produits labellisés bio. Explications.
Une tolérance réduite
La Commission Agriculture du Parlement européen envisage de supprimer le seuil de contamination afin de tolérer un certain pourcentage de pesticides. Cela n’est pas sans rappeler la réglementation sur les OGM adoptée en 2007 et proposée par Christine Lagarde qui autorise la présence de traces d’OGM à hauteur de 0,9% dans les produits bio.
Aujourd’hui, les produits issus d’une agriculture biologique sont garantis sans pesticides ni traitements chimiques après récolte. Jusqu’à présent, toutes traces de ces substances chimiques, même accidentelles, déclassent le produit ou le champs sur lequel il pousse. Dans le cas du non-respect des seuils du cahier des charges, le label biologique ne peut plus être utilisé. Toutefois, la labellisation bio de l’Union Européenne lancée en 2007 souhaite voir ses critères s’assouplir.
Le développement d’un bio low-cost ?
Bien que cette réglementation puisse faire du tort aux agricultures bio, elle permettrait aux grandes exploitations agricoles traditionnelles de tendre progressivement vers une production bio. Alors que la réglementation très stricte contraint parfois les agriculteurs à continuer de produire de façon conventionnelle, cet assouplissement pourrait permettre d’étendre considérablement la culture bio. Avec des coûts revus à la baisse, un bio low-cost se démocratiserait aussi bien chez les agriculteurs et que chez consommateurs.
À long terme, les exploitations qui produiraient du “quasi-bio” pourraient finir par ne plus produire que du 100% bio. Un label spécifiant la double production (conventionnelle et bio) serait alors judicieux par souci de transparence mais inciterait à encore plus de vigilance sur les origines de la part des consommateurs.
Il existe déjà plusieurs labels plus ou moins stricts tels que le label AB (Agriculture Biologique) qui respecte le cahier des charges européen tandis que le label Bio Cohérence qui, en plus des critères européens, impose des engagements spécifiques tels que l’interdiction totale d’OGM ou le refus de la coexistence bio/non bio. Le label Demeter, lui, repose sur l'agriculture biodynamique qui soigne la terre et préserve la fertilité des sols.