A la fin de la projection de votre film, Bertrand Tavernier s’est exclamé : "voilà ce que Emmanuel Macron prépare pour la France". Moi, Daniel Blake est-il une mise en garde face aux politiques libérales à l’œuvre dans nos pays respectifs ?
J’ai entendu parler de votre ministre de l’Economie, oui. Et je crois que ce qu’on voit dans le film est inévitable si on ne continue pas à se battre. Vous savez, c’est quelque chose qui est à l’œuvre à travers toute l’Europe, à différents stades. Depuis 40 ans, la Grande-Bretagne est le pays qui applique les préceptes du néo-libéralisme de la façon la plus agressive. Depuis Margaret Thatcher, nous sommes ceux qui avons lancé les premiers la privatisation de l’industrie et des services publics. Des politiques qui ont entraîné la destruction de l’Etat-providence et de ses bienfaits pour les citoyens. Aujourd’hui, c’est l’Union européenne qui pousse en faveur de ces décisions qui favorisent les profits des grandes corporations. On voit le résultat en Grèce… Et ne vous trompez pas : ça va vous arriver aussi en France !
Lorsqu’un banquier d’affaires comme Emmanuel Macron devient ministre de l’Economie dans un gouvernement socialiste, peut-on encore faire la différence entre la gauche et la droite ?
Mais les sociaux-démocrates n’ont jamais été de gauche ! Pour moi ils ont toujours été de droite, d’une façon ou d’une autre. De droite extrême ou modérée. Mais jamais de gauche. Blair n’était pas un homme de gauche, Brown n’était pas un homme de gauche. La guerre impérialiste en Irak à laquelle nous avons participé, ce n’est pas la gauche, c’est la droite dure ! Pour les sociaux-démocrates, la première priorité est que le patron fasse des profits. Avant tout le reste. Pour moi la vraie gauche doit se distancier au maximum des sociaux-démocrates et mettre la défense des travailleurs en tête de ses priorités.
"Ce qu’ils oublient, c’est que le profit réclame des travailleurs mal payés"
Pensez-vous que Blair hier, Hollande aujourd’hui, se mentent lorsqu’ils disent qu’ils sont de gauche ?
Je pense que c’est leur vision de la politique. Ils estiment qu’être de gauche, c’est se mettre au service des entreprises pour qu’ils fassent des profits. Et que si à la fin on peut laisser un euro aux pauvres, c’est suffisant. Ce qu’ils oublient, c’est que le profit réclame des travailleurs mal payés, des taxes les plus faibles possibles et des compagnies privées qui contrôlent tout. Les sociaux-démocrates veulent peut-être faire le bien. Mais face à la loi du marché, c’est perdu d’avance.
Moi, Daniel Blake est-il né d’une histoire qu’on vous a raconté, d’un article de presse ?
Avec Paul Laverty, mon scénariste, nous avons conscience de la vulnérabilité des plus pauvres depuis hélas bien longtemps. On s’envoie des SMS, on partage des articles. Il y 18 mois, on s’est dit qu’on devrait faire quelque chose sur la situation des chômeurs car c’est tragique. Nous sommes allés rencontrer des gens dans différentes villes d’Angleterre, nous avons recueilli leurs témoignages et Paul a écrit les personnages de Daniel et Rachel en s’inspirant d’eux.
Avez-vous vu La loi du marché ? Les rendez-vous de Daniel au Job Center ressemblent à ceux de Vincent Lindon à Pôle Emploi…
On m’a dit que c’était bien mais je ne l’ai pas vu parce que je ne voulais pas être influencé.