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8 janvier 2017

Natacha Polony : «Vincent Peillon ou quand le philosophe ne pense plus»

sur premium.lefigaro.fr

Par Natacha Polony
Publié le 06/01/2017 à 17h12

CHRONIQUE - Cette gauche qui se régénère en s'inventant un fascisme d'opérette fait aujourd'hui les affaires d'un nouveau totalitarisme qui entend régner sur les musulmans français en les enrôlant de force.

Bien sûr, il a «précisé sa pensée» qu'une «contraction de phrases a pu déformer». Bien sûr, il n'a jamais «voulu dire que c'était la laïcité qui était à l'origine de l'antisémitisme de la France de Vichy». Il n'empêche. Vincent Peillon est professeur de philosophie. On ne va pas lui demander de réfléchir au lien complexe entre dire et vouloir dire, mais il aura du mal à prétendre, lui qui, plus que tout autre, a le devoir de maîtriser les mots, que les siens ne nous racontent pas toute l'ambiguïté des élites françaises sur la question de l'islam.

Quand un politique prétend «rassembler à gauche», il dénonce le fascisme.

Ces mots, les voici, prononcés mardi dernier sur France 2: «Certains veulent utiliser la laïcité - ça a déjà été fait dans le passé - contre certaines catégories de population, c'était il y a quarante ans, les juifs à qui on mettait des étoiles jaunes. C'est aujourd'hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans qu'on amalgame d'ailleurs souvent avec les islamistes radicaux.» Suit une explication: ce qu'il met en cause, c'est «le fascisme rampant de Mme Le Pen». On s'en doute: quand un politique prétend «rassembler à gauche» (surtout s'il communie dans cette foi européiste qui oblige à renoncer à toute remise en cause du système libre-échangiste), il dénonce le fascisme. Certains, perplexes, se sont demandé ce qu'avait bien pu faire Valéry Giscard d'Estaing en 1977, les autres auront compris qu'à force de ressasser ce type d'argument, on mélange quarante ans et les années 40. Allez, on ne va pas pinailler. Il aurait pu résumer par «les heures les plus sombres de notre histoire», tout le monde aurait compris.

Certains ont voulu nuancer: la formulation serait, certes, malvenue, mais il n'est pas illégitime de comparer les réactions actuelles face à l'islam à l'antisémitisme des années 30. On ferait des musulmans des boucs émissaires, dans une ambiance de suspicion généralisée. Ceux-là n'ont pas relu depuis longtemps la littérature et la presse des années 30, dans laquelle la violence, les comparaisons ordurières et les appels au meurtre des Juifs peuvent difficilement trouver un équivalent aujourd'hui à l'égard des musulmans, même sur les pires sites d'extrême droite.

Mais surtout, Vincent Peillon n'est pas le premier à gauche à s'essayer à ce genre de comparaison. On en trouve diverses variantes. Chez Jean-Christophe Cambadélis: «Le FN, c'est le retour de Vichy. Il y a la même volonté de stigmatisation. Sous Vichy, c'étaient les juifs, maintenant ce sont les musulmans.» Là encore, la référence à Vichy est explicite. De son côté, Jean-Luc Mélenchon déclarait cet été: «Dans notre pays, on a persécuté les Juifs, les protestants, et aujourd'hui les musulmans. La solution, c'est la laïcité.» Persécuté… On peut donc mettre sur le même plan les dragonnades, où l'on embrochait les enfants vivants, la rafle du Vél' d'Hiv', qui les envoyait dans des fours, et les arrêtés antiburkini de quelques maires?

Faut-il rappeler à Vincent Peillon ce que fut le régime de Vichy et de quelle nature fut sa collaboration avec le nazisme ?

Vincent Peillon, lui, nous explique que Vichy, au nom de la laïcité!, marquait les Juifs d'une étoile jaune. La «contraction des phrases» a bon dos. Surtout, il accrédite à son tour l'idée qu'il puisse y avoir quoi que ce soit de comparable entre le sort des musulmans en 2017 et le sort des Juifs sous Vichy. Certes, il plaidera qu'il accuse seulement le FN de nourrir ces sombres desseins. Mais, quoi qu'on pense du programme du FN, à quel endroit peut-on y lire qu'il faudrait distinguer par quelque marque précise les musulmans? À quel endroit y prône-t-on des lois d'exception ou l'interdiction d'exercer certains métiers? Faut-il rappeler à Vincent Peillon ce que fut le régime de Vichy et de quelle nature fut sa collaboration avec le nazisme? Faut-il lui signaler qu'en France, ce ne sont pas des musulmans qui, en ce début de XXIe siècle, sont tués pour ce qu'ils sont? User ainsi les mots par des comparaisons simplistes signe la défaite de la pensée.

Mais il y a plus grave encore. Cette gauche qui se régénère en s'inventant un fascisme d'opérette fait aujourd'hui les affaires d'un nouveau totalitarisme qui entend régner sur les musulmans français en les enrôlant de force. Car, notre philosophe semble l'oublier, nul ne prétend aujourd'hui, pas même le FN, imposer un signe distinctif aux musulmans, et surtout pas au nom de la laïcité. Mais la laïcité est attaquée par les fondamentalistes religieux parce qu'elle défend les individus contre l'enfermement communautaire en limitant les signes distinctifs qui séparent les citoyens et fracturent la communauté nationale. Feindre de l'ignorer, c'est cautionner les thèses d'Edwy Plenel et de Tariq Ramadan, qui prétendent qu'il existerait en France un «racisme d'État», c'est prêter main-forte aux intégristes qui recrutent des ouailles en les persuadant que la France les discrimine en tant que musulmans.

Il y a deux ans, des journalistes et des dessinateurs ont payé de leur vie le fait d'avoir défendu leur droit à rire de toutes les religions. Ils étaient abandonnés de tous. Et deux ans après leur mort, plus personne ne se risquerait à dessiner Mahomet.

En ce 7 janvier, nous célébrons le triste souvenir de ce que peut engendrer le mélange de la frustration et du fanatisme. Il y a deux ans, des journalistes et des dessinateurs ont payé de leur vie le fait d'avoir défendu leur droit à rire de toutes les religions. Ils étaient abandonnés de tous. Et deux ans après leur mort, plus personne ne se risquerait à dessiner Mahomet. La terreur progresse. Elle se nourrit de la lâcheté, de la bêtise, même agrégée de philosophie, et de l'instrumentalisation politique. La conquête de l'espace public par l'islam radical a ses complices, qui refusent de voir le séparatisme qui sévit dans certains quartiers. Elle a ses idéologues, qui travaillent depuis trente ans à expliquer à de jeunes Français que leur pays les flétrit dans leur identité, cette identité qu'ils doivent brandir comme un étendard. Et puis elle a Vincent Peillon et les autres, qui ne se donnent pas la peine de penser parce que ce n'est pas compatible avec leur façon de faire de la politique. Français, musulmans ou non, de tous bords et de toutes origines, nous en paierons tous les conséquences.

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 07/01/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici

Natacha Polony
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